COP16 désertification : comment les terres fertiles se changent-elles en désert ?
"Depuis des décennies, j'entends répéter cette phrase : 'le désert avance'. L'Afrique ne devrait plus être qu'un immense désert à l'heure où je vous parle". A l'ouverture, lundi 2 décembre en Arabie saoudite, de la 16e Conférence de l'ONU sur la désertification (COP16), la paléoécologiste et directrice de recherche au CNRS Anne-Marie Lézine souligne, non sans ironie, qu'on ne délivre pas à la légère le titre de "désert". "Un désert, c'est un biome – l'association de conditions météorologiques, de plantes, d'animaux, etc. – On ne remplace pas comme ça un biome par un autre", résume la spécialiste, qui étudie les interactions entre les plantes, le climat et l'homme, dans les régions les plus arides de la planète.
La Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CCUNCD), qui chapeaute le sommet onusien en cours à Riyad, admet qu'il ne s'agit pas en effet de lutter contre une quelconque "expansion de déserts existants", mais de limiter "la dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches". Car derrière ce terme fourre-tout se cache une menace existentielle : celle de voir les espaces cultivables se réduire comme peau de chagrin sous l'effet des activités humaines.
Quand les effets de la sécheresse s'installent
Pour qu'un territoire privé d'eau devienne proprement désertique, "les échelles de temps ne sont pas celles que vous imaginez", prévient Anne-Marie Lézine. Mais si l'emploi du mot "désertification" contrevient ici aux logiques géomorphologiques et climatiques qui ont donné naissance puis façonné les déserts sur plusieurs millions d'années, le terme traduit la transformation de millions d'hectares chaque année. Des dégradations observables à l'œil nu, de la Chine à Espagne en passant par l'Afrique du Sud, au rythme d'épisodes de sécheresse. Plus intenses et fréquents – notamment sur le pourtour méditerranéen, en Asie de l’Ouest, dans plusieurs zones d'Amérique du Sud, dans une grande partie de l’Afrique et de l’Asie du Nord-Est, selon le rapport du Giec sur la désertification (lien en PDF) –, ces épisodes ne sont pas qu'un fléau de passage. Ils sont "une nouvelle norme".
"Une sécheresse prolongée, sur deux ou trois ans par exemple, peut avoir des effets irréversibles sur le couvert végétal", explique le physicien Mehrez Zribi, directeur de recherche au CNRS et directeur du Centre d'études spatiales de la biosphère. Quand elles sont "prolongées et répétitives", elles "impliquent un fort risque de passage à la désertification", poursuit-il, pointant des effets négatifs sur "la résilience [des sols] face à ces phénomènes extrêmes".
Dans les zones concernées, "la fertilité des sols diminue, les réserves en eau diminuent, la biodiversité diminue", liste Jean-Luc Chotte, directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et président du Comité scientifique français sur la désertification. Sous une végétation propice à partir en fumée, "les sols deviennent plus fragiles face à la prolifération des espèces invasives et aux chocs hydriques".
Bref, "on produit moins et de moins bonne qualité, [ce qui entraîne] un risque d'insécurité alimentaire et nutritionnelle. La santé humaine est affectée", continue le spécialiste, qui décrit un cercle vicieux. "Les services que rendent les sols, notamment en piégeant du carbone, sont affaiblis, contribuant à la hausse des émissions de gaz à effet de serre". Ce qui alimente le réchauffement climatique, premier vecteur de nouvelles sécheresses.
Quand se nourrir accélère la désertification
Cette "aridification des paysages combine cependant un ensemble de facteurs", complète Anne-Marie Lézine. Ainsi, la sécheresse dramatique qui a frappé le Sahel dans les années 1970 n'en a pas fait un désert. Mais "quand vous couplez la sécheresse à une pratique intensive de l'utilisation des sols, vous permettez le début d'une évolution vers le désert, même si, bien sûr, cela ne va pas se faire en dix ans", tempère-t-elle. La scientifique insiste donc sur la nécessité de veiller à la santé de cette zone vulnérable, prise en sandwich entre la savane et le Sahara. "C'était toute l'idée du projet de 'grande muraille verte'", continue Anne-Marie Lézine : "renforcer la qualité du couvert végétal existant dans cette zone sensible et peuplée, pour qu'elle soit en mesure de faire face aux épisodes de sécheresse."
Car dans le Sahel, rappelle-t-elle, les populations nomades dépendent de leurs troupeaux, qui se nourrissent de la végétation.
Or, le surpâturage "dénude le sol et le rend plus sensible à l'érosion", poursuit Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d'histoire naturelle, biologiste et mycologue. Le labour, l'arrachage des haies ou encore le maintien de sols nus, des pratiques agricoles répandues dans le monde entier, dégradent les sols, qui s'appauvrissent en matière organique, stockent moins d'eau, s'érodent et produisent moins de plantes en retour, explique-t-il.
Quand l'irrigation fait avancer "le désert"
Mais parfois, c'est le maintien artificiel de végétaux sur un territoire qui menace de condamner le sol. Au Chili, la culture intensive de l'avocat assèche les cours d'eau. En Espagne, la production industrielle de fruits et légumes sous serre et par irrigation aggrave la sécheresse et attaque la nappe phréatique. "Quand on irrigue beaucoup, on finit par assoiffer l'aval", remarque Marc-André Selosse, qui cite le cas tragique de la mer d'Aral, qui s'étalait autrefois entre le Kazakhstan et l'Ouzbékistan.
A partir des années 1960, l'eau des fleuves qui traversaient ce paysage de steppes arides a été détournée pour étancher la soif des cultures de coton. Soixante ans plus tard, la mer a perdu 90% de son volume et toutes les formes de vie qui la peuplaient autrefois, à l'exception de l'artémie, un petit crustacé à peine plus grand qu'un grain de riz. La mer a laissé place à du sable à perte de vue et, donc, à du sel.
Poussé par le vent, le sel se répand et stérilise les sols, empêchant la repousse de toute végétation, comme si le désert n'avait pas besoin, pour progresser, de conditions proprement désertiques. Marc-André Selosse qualifie d'ailleurs "la salinisation" des lacs et des cours d'eau de "point d'entrée vers la désertification".
"Il y a des désertifications liées à des usages intensifs des sols et des nappes d'eau", poursuit Mehrez Zribi. "On retrouve ces situations particulièrement en zones semi-arides avec des exploitations intensives pour l'agriculture. Il y a des cas de zones agricoles basées uniquement sur l'exploitation des nappes." Or, quand ces dernières sont asséchées, les territoires "sont abandonnés". Mais pour aller où ?
Dans le delta du Mékong ou certaines parties de l'Indonésie, c'est l'évaporation des eaux de surface causée par la chaleur qui rend les eaux impropres à la consommation, ruinées par leur teneur en sel. Sans l'apport d'eau de pluie, la population est alors contrainte de puiser dans les nappes phréatiques, qui se dégradent à leur tour. Un autre cercle vicieux favorisant la désertification.
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