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"Aberrant", "dramatique"... Les distances entre zones d'épandage de pesticides et habitations ne contentent ni les agriculteurs, ni les riverains

A partir du 1er janvier 2020, tous les agriculteurs devront respecter une distance de 5 à 20 mètres entre les habitations et les champs traités avec des produits phytosanitaires.

Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Un épandage d'herbicide sur une exploitation agricole, en Argentine, le 8 février 2018. (PABLO AHARONIAN / AFP)

"Il faut de l'écologie, pas de la connerie !" Depuis sa voiture, Wilfrid ne décolère pas. "Cette mesure va me faire perdre 10% et 15% de revenus", calcule cet agriculteur drômois. Cette mesure ? C'est celle annoncée par le gouvernement, vendredi 20 décembre, concernant les épandages de pesticides en France. A partir du 1er janvier 2020, tous les agriculteurs devront respecter une distance comprise entre 5 et 20 mètres entre les habitations et les champs traités avec des produits phytosanitaires. Une décision qui ne satisfait ni les agriculteurs, ni les riverains inquiets des conséquences des pesticides sur la santé.

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Lavandin, thym, immortelles, céréales... "Une grosse partie de l'exploitation se trouve à proximité des lotissements, s'inquiète Wilfrid. Avec ces nouvelles distances à respecter, on aura moins de plantations, donc moins de revenus, mais un loyer et un impôt foncier toujours aussi élevé !" Et pour cause, les cultures basses devront désormais être traitées à une distance de 5 mètres des habitations, contre 10 pour les cultures hautes et jusqu'à 20 mètres pour les cultures traitées par les pesticides les plus dangereux. "C'est 600 ou 700 euros de revenus annuels en moins", a calculé Philippe, céréalier, qui s'est installé il y a peu dans la Marne.

Face à cette situation, le gouvernement a annoncé qu'il "accompagnera les agriculteurs dans le déploiement de ces mesures" avec un budget de 25 millions d'euros. Cette somme doit servir à "accompagner financièrement l'achat de matériel d'application des produits phytosanitaires le plus performant au regard de la maîtrise des risques de dérive".

"Je trouve ça totalement illogique"

Mais les conséquences pourraient être encore plus larges que les simples distances annoncées, selon ces agriculteurs. "Dans la parcelle, on va avoir au moins 5 mètres de mauvaises herbes. Elles vont grainer et se propager dans tout le champ, s'inquiète Wilfrid. Du coup, on va devoir utiliser des pesticides encore plus agressifs pour le reste du champ !" Un constat partagé par David, producteur de lait et de céréales en Ille-et-Vilaine : "Je trouve ça totalement illogique. D'un point de vue technique : tout arrive toujours par la périphérie des champs, c'est là que l'on doit mettre les protections."

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David, agriculteur

à franceinfo

Plus largement, les agriculteurs interrogés dénoncent une nouvelle attaque contre leur profession. "Il serait intéressant de savoir quelle est la surface cultivable perdue avec cette mesure, mais je pense que c'est très important !" s'inquiète David. "C'est tout de même un moindre mal, souffle de son côté Philippe. On s'est fait peur avec les 150 mètres réclamés par les écolos, qui rendaient des parcelles totalement incultivables !"

"Cinq ou dix mètres, ça ne sert à rien"

Face à ces inquiétudes économiques, les riverains opposent leurs inquiétudes sanitaires, toujours bien présentes malgré les annonces du gouvernement. "Cinq ou dix mètres, ça ne sert à rien, s'agace Sandrine, qui vit tout près des vignes du bordelais. Nous, on vit dedans, dès qu'il [le vigneron] arrive en combinaison pour l'épandage, on rentre dans la maison." Avec ses deux enfants de 2 et 7 ans, elle réfléchit toujours à déménager.

Plus au nord, dans le Morbihan, Thierry ne décolère pas. "Je trouve ça complètement aberrant !" répète celui qui habite à une trentaine de mètres des champs. Il réfute aussi les arguments des agriculteurs : "Ils disent qu'ils vont perdre des revenus, mais rien ne les empêche de cultiver dans ces zones-là, ils n'auront simplement pas le droit d'utiliser des produits phytosanitaires. Et connaissant la volatilité des produits, ne vous inquiétez pas, ces plantations seront aussi traités."

Face à cette opposition, le collectif des maires anti-pesticides tente de concilier les préoccupations environnementales et l'accompagnement financier des agriculteurs. L'adjointe du maire de Sceaux (Hauts-de-Seine) et coordinatrice de l'association, Florence Presson, se réjouit ainsi de l'aide à la transition annoncée par le gouvernement. Mais sur les distances de 5 à 10 mètres, le compte n'y est pas. "Un zéro a été oublié ! Ça, c'est assez dramatique", regrette-t-elle, avant de proposer son aide pour arriver à une solution acceptable. On a eu de la déception, mais nous sommes à la disposition du gouvernement pour échanger avec eux."

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