Sera-t-il bientôt impossible de produire du vin en France ?
Nathalie Ollat, chercheuse à l'Institut national de la recherche agronomique, explique comment la France se prépare aux effets du réchauffement climatique sur son prestigieux vignoble.
Le réchauffement climatique s'apprête à redessiner la géographie viticole mondiale. Une étude publiée lundi 8 avril dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) (lien en anglais) prédit une révolution des terroirs, qui pourrait frapper la France en pleine bouteille.
D'ici 2050, la surface de terres propices à la culture de la vigne "va se réduire dans de nombreuses régions traditionnellement productrices de vin, comme la région de Bordeaux, la vallée du Rhône ou la Toscane, en Italie", souligne Lee Hannah, biologiste coauteur de l'étude. En Europe, cette surface se réduirait de 68%, selon une donnée médiane, et le phénomène frapperait en particulier les régions du Sud. Simultanément, l'Europe du Nord pourrait devenir une grande productrice de vin.
Francetv info a demandé à Nathalie Ollat, chercheuse à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) et membre du programme Accaf, qui étudie l'impact des changements climatiques sur l'agriculture, s'il fallait s'inquiéter. Réponse : avec modération.
Francetv info : Les viticulteurs sont-ils déjà confrontés à des problématiques liées au réchauffement climatique ?
Nathalie Ollat : Les changements climatiques observés depuis vingt ans vont dans le sens d'un réchauffement moyen. Cela a favorisé la maturation des raisins, donnant des vins sucrés, avec un degré d'alcool plus élevé. Dans la plupart des régions, cela a été considéré comme quelque chose de plutôt positif. Mais aujourd'hui, la perspective de voir le thermomètre gagner un ou deux degrés fait craindre une perte en qualité du raisin, qui se traduit, entre autres, par des arômes moins optimaux.
En Alsace, par exemple, les vins recherchés sont plutôt issus de raisins pas très mûrs, mais très aromatiques. Or, si les conditions de maturation sont plus chaudes, on aura des difficultés à produire ce type de vins. Par ailleurs, dans certaines zones du Midi, le manque d'eau peut déjà empêcher un rendement économiquement viable, ce qui pose la question de l'irrigation des vignes. On parle de changement climatique plus que de réchauffement, car la pluviométrie est centrale dans la viticulture. Or son évolution est beaucoup plus difficile à prévoir que celle des températures.
Les viticulteurs sont conscients de ces évolutions, mais beaucoup considèrent que c'est un phénomène encore lointain. Surtout que l'on a longtemps favorisé les cépages précoces, les zones les plus exposées et les vignes à faibles rendements. Aujourd'hui, il faut faire l'inverse. Notons aussi le fait que les bouleversements arrivent plus rapidement que par le passé et constituent d'énormes enjeux économiques.
Doit-on en déduire que certaines zones sont en péril ?
Non. Globalement, l'avenir de la viticulture française n'est pas remis en question. Je ne suis pas alarmiste. Les Français disposent de nombreux atouts pour s'adapter. Modifier le type de vin produit dans une région fait partie des options. En revanche, cela nécessite de reconstruire une image, plus en phase avec le nouveau produit.
Nous pouvons également adapter les cépages en fonction des régions climatiques. Ils ont évolué au cours de l'histoire : par exemple, au début du XXe siècle, il y avait très peu de merlot dans les bordeaux [c'est aujourd'hui le cépage le plus répandu dans le Bordelais]. Les Français ont diffusé leurs cépages à travers le monde pendant des années. Aujourd'hui, nous pouvons aussi observer comment les autres pays les ont travaillés et s'inspirer de ce qui se fait déjà dans les régions plus chaudes. La France, avec son histoire, son savoir-faire, ses œnologues, dispose des atouts pour s'adapter en douceur, tout en continuant de produire des vins de très grande qualité.
Enfin, il est possible de favoriser les pentes moins exposées ou les zones plus froides. Pour cela, nous savons qu'il n'est pas nécessaire de traverser la France. Au contraire, ces délocalisations peuvent avoir lieu au sein d'une même région.
L'étude publiée par la revue américaine PNAS estime que ces adaptations seront lourdes de conséquences sur l'environnement, notamment parce qu'elles poussent des agriculteurs à occuper de nouveaux terrains, à puiser dans les ressources en eau et à utiliser des fertilisants et des fongicides. Le facteur écologique est-il sous-estimé ?
La situation de la France est particulière. La surface viticole n'a cessé de diminuer pendant des années, laissant des zones quasiment à l'état de friches. Les coteaux ont été délaissés au profit des plaines, qui présentaient de nombreux avantages. Or, s'il est question de cultiver en altitude, pour aller chercher la fraîcheur, ces terres existent déjà. Il s'agit plutôt d'une démarche de retour sur certaines zones. Il n'est pas question, comme en Argentine ou dans d'autres régions viticoles jeunes, de créer d'immenses surfaces viticoles en sacrifiant la faune et la flore locales.
Par ailleurs, de nombreux efforts ont été réalisés ces dernières années pour limiter l'impact écologique de l'activité viticole. La France travaille déjà en ce sens, et ne va pas abandonner cette trajectoire du jour au lendemain.
Quant à la problématique de l'eau, notamment dans les régions où elle se fait rare, cela pose la question du partage. Au sein des activités agricoles, je ne pense pas que la viticulture soit prioritaire (elle n'est d'ailleurs pas une activité parmi les plus gourmandes en eau). Si les infrastructures se développent dans des régions afin d'irriguer les terres agricoles, la viticulture pourrait en bénéficier à la marge.
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