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Le safran, l’or rouge de l’Espagne

Le safran est une épice à la belle couleur rouge orangée et sans doute la plus chère du monde. Il vient essentiellement d’Iran et a depuis longtemps traversé la Méditerranée. Avec la montée de son prix qui dépasse les 3-4000 euros le kilo (voir jusqu’à 40.000 euros le kilo), sa production, qui nécessite une importante manipulation humaine, a repris dans certaines régions d’Espagne.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
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Devant la télévision, extraction des pistils des crocus pour le safran en Espagne, dans la Manche. (DOMINIQUE FAGET / AFP)

Sur les arides plateaux de la Manche espagnole, les producteurs de safran profitent du retour en grâce de cette précieuse épice introduite par les Arabes au Moyen Âge. Et en misant sur la qualité, ils échappent même à la crise qui plombe le pays.

Une épice mythique
Le safran est connu depuis la plus haute antiquité. Les Grecs anciens en avaient fait un mythe, Crocos, et les fresques minoennes de Santorin dans les Cyclades montrent la plante et des cueuilleuses de safran.
 
Cette épice vient d’une fleur, le crocus. Plus exactement, le safran provient des stigmates séchés de la fleur de safran le Crocus sativus. Il est utilisé comme aromate et sa saveur est légèrement amère, mais aussi comme colorant donnant aux plats une couleur orangée caractéristique ou encore, pour apporter une touche exotique.

Fresques d'Akrotiri à Santorin (Grèce) montrant des cueilleuses de safran. (AFP)

Chaque kilogramme de safran exige environ 150.000 à 300.000 fleurs et 75 à 200 heures de ramassage. Il faut ensuite en extraire les pistils (ou plus exactement les stigmates) qui concentrent le goût de cette épice. Au point qu'un seul gramme peut enrichir un plat pour une nombreuse tablée. 

Mais si l’épice et la plante étaient facilement cultivées autrefois en Europe, en Espagne et même en France, sa production a fortement chuté du fait de son grand besoin en main d’œuvre. «Il faut les couper manuellement, un à un, et compter en moyenne une heure pour cueillir 2000 fleurs et 5 heures pour en récupérer les filaments», témoignait La Tribune à propos de la production française.

Aujourd’hui, la hausse des prix permet un redemarage de la production de ce côté-ci de la Méditerranée. Cette plante venue du Sud peut se cultiver jusqu'en Normandie.
Safran produit dans le Quercy (AFP)

Les Arabes l’introduisent en Espagne
«Le safran est un condiment profondément enraciné dans l'économie et la culture de Castille-La Manche et il ne doit pas être considéré comme un simple produit agricole, mais comme un élément du patrimoine historique et culturel de la région qui doit être protégé et conservé», affirme l'Espagne. Depuis le 17 mars 2001, il porte l'appellation d'origine protégée.
 
La culture de cette plante originaire d'Asie centrale fut introduite dans la péninsule par les Arabes, grands connaisseurs d'épices, et elle devint un condiment monopolisé par la haute bourgeoisie andalouse. Depuis son introduction dans la région de la Manche, elle n'a cessé d'être cultivée.
 
De 100 tonnes au 19e siècle à 1,9 tonne aujourd’hui
Le safran espagnol «est parmi les meilleurs de tous», affirme Pat Heslop-Harrison, professeur de biologie agricole à l'université britannique de Leicester: «Le type de sol, le climat, la façon dont il est récolté et séché (...), La Castille-La Manche a des conditions parfaites» pour sa culture.
 
Pourtant, cette production traditionnelle a failli disparaître. L'Espagne qui entrait dans la prospérité a vu son agriculture se moderniser et les cultivateurs de safran, qui travaillaient à la main, n'ont pas réussi à suivre: trop cher à produire. Supérieure à 100 tonnes par an au début du XXe siècle, la production espagnole de safran s'est effondrée jusqu'à connaître un plus bas historique en 2005, à moins d'une tonne.
 
«Le safran, dans les années 1980, c'était la ruine», se rappelle Juan Antonio Ortiz, un agriculteur espagnol qui a maintenu sa production. Aujourd’hui, la culture a redémarré, mais il faut souvent de la main d'œuvre étrangère. Ce sont en général des journaliers bulgares, sénégalais ou maliens armés d'un panier tressé qui cueillent depuis l'aube les fleurs encore fermées. Ils sont rémunérés 5,20 euros le kilo.
 
Mais le ramassage n'est qu'une partie du travail. A la pince à épiler, il faut trier les stigmates, puis les sécher pendant 30 minutes à 85 degrés sur une toile en soie posée au-dessus d'un brasero. On les range ensuite dans de petits sacs en plastique, en attendant que des experts viennent contrôler leur composition, AOP oblige. Les brins seront vendus en flacon de verre, au prix de 4 euros le gramme. Et non moulus: c'est interdit, pour éviter les mélanges.
 
Depuis quelques années, la production remonte doucement et a atteint 1,9 tonne en 2014, le dernier chiffre officiel. Car la crise économique qui a frappé l'Espagne avec l'éclatement de la bulle immobilière a poussé des gens à revenir vers cet «or rouge». En misant sur la qualité.
              
La production espagnole a ainsi doublé depuis 2005. Et celle de safran bénéficiant d'une Appellation d'origine protégée (AOP) a battu un record en 2015, à 754 kilos pour 267 producteurs.

Khorasan : récolte des fleurs donnant le safran en octobre 2016 (Fatemeh Bahrami / ANADOLU AGENCY)

90% de la production vient d’Iran
Reste qu'en 2015, 93% de la production mondiale venait d'Iran (soit 350 tonnes annuelles) où la main-d'oeuvre est moins chère et la sélection des stigmates moins stricte, les autres pays se partageant le reste (Espagne, Maroc et le Cachemire). «Les caractéristiques climatiques du plateau iranien conviennent à cette fleur, qui pousse de préférence dans les régions sèches et froides à plus de 1000 mètres d’altitude ; c’est pourquoi le safran d’Iran a été de tout temps le meilleur du monde. L’Iran détient depuis des siècles le quasi-monopole de la production de ce produit agricole le plus cher du monde, surnommé l’or rouge», affirme fièrement un site iranien 

Les exportations de safran ont généré 384 millions dollars de revenus pour le pays en 2013. Mais l'’embargo a pesé sur les exportations du pays. La levée de cet embargo devrait donc profiter au pays qui aurait souffert de contrefaçons.  Les sanctions ont créé «un grand marché pour la contrefaçon, avec des produits colorés artificiellement. Et d’autres pays ont agi comme intermédiaires en important la véritable épice iranienne, en changeant les étiquettes et en exportant vers le reste du monde en leur nom, à des prix plus élevés», souligne le Guardian, cité par Slate.

Avec la normalisation des relations internationales de l'Iran, le pays entend faire valoir son savoir faire. «Maintenant que les sanctions sont levées, nous devrions pouvoir exporter du safran vers d’autres pays sous notre propre marque. Nous allons pouvoir aussi mettre en place un peu de stratégie marketing pour nos exportations», affirme Hadi Movahedan, président de la Guilde du Safran en Iran. L'Espagne est prévenue.

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