Cet article date de plus de sept ans.

"Traître", "vendu"... En Catalogne, le référendum d'autodétermination attise les tensions dans les villes socialistes

Article rédigé par Robin Prudent - Envoyé spécial en Espagne,
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des affiches pro-référendum arrachées, dans les rues de L'Hospitalet de Llobregat, mercredi 27 septembre. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Plusieurs des 122 maires socialistes de Catalogne ont reçu des insultes car ils refusent de mettre à disposition des locaux pour le référendum de dimanche. Un exemple de plus de la division et de la tension qui règne dans la région.

Dans le centre-ville animé de L'Hospitalet de Llobregat, métropole voisine de Barcelone, un graffiti a beaucoup fait parlé de lui. A la mi-septembre, deux mots ont été tagués sur la porte d'entrée du siège du Parti des socialistes de Catalogne (PSC) : "démocratie" et "oui". Une référence au référendum sur l'indépendance du dimanche 1er octobre, jugé illégal, que les maires socialistes de Catalogne refusent d'organiser dans leurs locaux. De quoi faire grimper la tension entre les élus et leurs administrés, sur fond de division sur la question de l'indépendance entre les habitants.

"L'atmosphère chauffe de plus en plus dans la ville depuis le début du mois de septembre", reconnaît Nuria Marin, la maire de L'Hospitalet de Llobregat, auprès de franceinfo. C'est à cette période que le gouvernement catalan dirigé par Carles Puigemont, en charge de l'organisation du référendum, a demandé aux 948 municipalités de Catalogne si elles étaient prêtes à mettre à disposition des locaux pour le scrutin.

Les 122 maires socialistes ont alors refusé catégoriquement, en accord avec le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) qui s'oppose à la tenue du scrutin, suspendu par le Tribunal constitutionnel espagnol. Une position similaire à celle du Parti populaire au pouvoir, mais qui ne dirige plus que deux villages en Catalogne. "J'aurais fait pareil pour n'importe quelle demande jugée illégale", se justifie Nuria Marin. Mais cette décision a attiré la colère de certains administrés contre les mairies socialistes.

"Traître", "vendu", "collabo"...

"La majorité des maires socialistes ont fait l'objet d'insultes sur internet", dénonce Carles Ruiz Novella, qui dirige la ville de Viladecans, située près de l'aéroport de Barcelone. Il cite certains mots reçus récemment : "Traître", "vendu", "va-t'en"... Sur Twitter, certains le traitent aussi de "collabo". Un déluge d'invectives bien plus important que lors du dernier référendum sur l'indépendance, organisé le 9 novembre 2014.

"C'est l'attitude de la Généralité pour ce référendum qui mène à ce genre de campagnes contre les maires socialistes, mais je ne réponds jamais à ces insultes", lâche le maire, bien décidé à ne pas jouer la surenchère. Les insultes et les menaces se cantonnent d'ailleurs aux réseaux sociaux, reconnaît l'élu : "Il n'y a pas de conflits dans la rue."

Le maire de Viladecans, Carles Ruiz Novella, dans sa mairie, le 29 septembre 2017. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Même son de cloche du côté de L'Hospitalet de Llobregat : "J'ai reçu des insultes sur les réseaux sociaux, déplore Nuria Marin, son portable toujours près d'elle. C'est désagréable, mais on est dans une ambiance propice à ce genre de choses. Je ne le prends pas comme une menace." Un autre représentant de la ville se rappelle aussi d'un habitant venu le voir personnellement pour lui dire, de manière agressive : "On ne vous oubliera pas."  

"Les socialistes ont les mêmes méthodes que la droite"

Dans les rues de ces villes socialistes, certains administrés ne cachent pas leurs critiques envers les élus. "Ils se disent sociaux-démocrates, mais les socialistes ont les mêmes méthodes que la droite et le Parti populaire [libéral-conservateur], reproche Carles, assis sur un banc de L'Hospitalet de Llobregat. C'est pour ça qu'ils perdent toutes les élections en Europe." La colère est la même chez Javi, quadra croisé dans une ruelle de Viladecans : "L'attitude de la mairie n'est pas démocratique."

Ils n'ont pas le droit de nous empêcher d'installer des urnes.

Javi, habitant de Viladecans

à franceinfo

Face aux critiques, les élus socialistes accusent le gouvernement indépendantiste catalan d'avoir monté les habitants contre eux. "C'est la Généralité qui devait organiser le référendum ! Et elle l'a mal organisé", s'emporte Carles Ruiz Novella. "Carles Puigdemont, le président de la Catalogne, a poussé les habitants contre les maires, alors qu'il savait très bien que cela ne relevait pas de notre responsabilité", abonde Nuria Marin.

La maire de L'Hospitalet de Llobregat, Nuria Marin, dans sa mairie, mercredi 27 septembre. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

D'ailleurs, le gouvernement catalan prévoit bien d'ouvrir quelques bureaux de vote dans ces villes, sans l'aide des élus socialistes. "Mon intuition, c'est que les gens vont voter dimanche, reconnaît la maire de L'Hospitalet de Llobregat. Où ? Je ne sais pas. Sans doute dans les bars, dans la rue, à l'église... Personne, pas même la police, ne pourra les en empêcher. Mais ce ne sera pas un référendum, seulement une manifestation pour ou contre l'indépendance."

Dans cette situation, l'élue prône un retour rapide au dialogue. "Je suis la maire de tous les habitants, qu'ils soient pour le 'oui' ou pour le 'non'", explique-t-elle. Ce que je demande, c'est que l'on reprenne le dialogue, qu'il y ait des négociations politiques, où chacun doit faire des efforts pour améliorer la situation de la Catalogne."

Des villes coupées en deux camps

Pour le moment, les Catalans campent sur leurs positions. "Les socialistes sont contre le référendum, mais j'irai voter dans les lieux ouverts par la Généralité !", avance Rosa, sur un trottoir de L'Hospitalet de Llobregat. Dans la rue, tous ne souhaitent pas exprimer haut et fort leur opinion sur le référendum. Refus polis, chuchotements ou grands gestes comme marque de désapprobation... Les habitants savent que la ville est fortement divisée.

Une affiche pro-référendum devant un local du Parti des socialistes de Catalogne, à L'Hospitalet de Llobregat, mercredi 27 septembre. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

En 2015, lors des dernières élections catalanes, à peine 25% des habitants de L'Hospitalet de Llobregat ont voté pour des partis indépendantistes, contre 47,7% dans toute la Catalogne. Une situation bien plus contrastée que dans certains petits villages, véritables bastions de l'indépendance. 

Dans la seconde ville de Catalogne, le sujet clive encore et les indépendantistes ne sont pas toujours les bienvenus. La preuve sur les murs de la ville, où toute publicité électorale est rapidement décrochée. "Ils étaient recouverts d'affiches pour l'indépendance dimanche dernier, mais la mairie a tout fait enlever", constate Rosa. Même chose pour le tag sur l'entrée du siège du PSC : il ne reste aucune trace des revendications indépendantistes. Seuls quelques drapeaux catalans flottent sur les balcons.

Rosa, une habitante pour l'indépendance de la Catalogne, dans rues de L'Hospitalet de Llobregat (Espagne), mercredi 27 septembre. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

"Cela ne représentera rien ni personne"

Plus discrètement, les critiques envers les indépendantistes se font aussi entendre dans la région. "Ce n'est pas un référendum : les indépendantistes t'obligent à voter 'oui' !, s'agace Carmen, trentenaire en tenue de sport. De toute façon, cela ne représentera rien ni personne." "Moi, je suis en faveur d'un référendum légal. Mais là, ce n'est pas le cas, il n'y a pas de liste, aucune garantie... Donc je ne voterai pas", renchérit, à voix basse, une quinquagénaire croisée à Viladecans.

L'"esteleda", drapeau indépendantiste catalans à Viladecans (Espagne), mercredi 27 septembre. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Résultat, le scrutin est devenu un sujet sensible dans ces villes. "On évite de parler du référendum au travail pour ne pas créer de tensions, explique Pilar, une quadra en tailleur sur un parking de Viladecans. On est un peuple pacifique, chaque grande manifestation se passe dans le calme, mais là, je sens que la tension monte." Une situation qui préoccupe les maires concernés. "Il y a quelques jours, une dame est venue me voir en pleurant parce qu'elle était très anxieuse à cause du référendum, raconte Nuria Marin. Mais ce qui m'inquiète le plus, c'est le jour d'après." 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.