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Allemagne: les élections régionales de Saxe, un scrutin «inquiétant»

Pour la première fois, une formation décrite comme nationaliste et populiste a fait, le 31 août 2014, son entrée dans un parlement régional, en l’occurrence celui du Land de Saxe. Le parti Alternative für Deutschland (AfD) (Alternative pour l’Allemagne), fondé en février 2013, obtient ainsi 9,7% des voix. Qui se cache derrière ce parti et quelles sont ses idées ? Quelques éléments de réponse.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La tête de liste du parti Alternative für Deutschland (AfD) en Saxe, Frauke Petry, à Dresde le 25 août 2014 pendant la campagne électorale pour les élections au parlement régional.  (AFP - Odd Andersen)

A l’issue du scrutin, les chrétiens-démocrates (CDU) de la chancelière Angela Merkel obtiennent 39,4% des suffrages, en recul de 0,8% par rapport au scrutin de 2009. Ils perdent leur partenaire de coalition en Saxe, le FDP, qui est éjecté du parlement régional (il passe de 10 à 3,8%). Mais ils ont exclu de gouverner avec l’AfD, tout nouveau parti (il a été fondé en février 2013), dont ce n’est pas le premier succès en 2014 : lors des élections européennes du 25 mai, il avait réalisé un score de 7%, obtenant ainsi sept députés.

Apparemment, le nouveau parti a su choisir sa tête de liste dans cet ancien Land de l’ex- RDA : Frauke Petry, originaire de l’ex-RDA, chimiste de formation de 39 ans et mère de quatre enfants. Celle-ci «vaut de l’or» pour une formation qui passe pour «un club de vieux messieurs», ironise le Spiegel dont le journaliste a suivi… à vélo la campagne en Saxe. «‘‘Madame la Dr Petry’’, comme l’appellent tous les amis du parti, passe pour (sa) caution libérale», rapporte le journaliste de l’hebdomadaire. Une «caution libérale» qui se prononce notamment «pour l’augmentation des quotas de musique allemande à la radio», citant le programme de l’AfD. Et qui incite les couples à avoir plus d’enfants au vu du vieillissement de la population allemande.
 
Haro contre Merkel et la CDU
Ledit programme et la propagande du parti visent avant tout le «Mittelstand», les classes moyennes : «Pas de bien être sans les classes moyennes», proclame une de leurs affiches.

AfD souhaite la mise en place d’«une Union européenne d’Etats souverains». Il s’attaque notamment à «cette euro-là», celui de la Banque centrale européenne, véritable hérésie «contre la raison économique et politique». A ses yeux, «la monnaie commune sème la discorde dans la zone euro parce que l’Europe du Sud s’appauvrit et demande à d’autres pays du nord» de payer la facture. C’est implicite, mais on l’aura compris : le principal «pays du nord» concerné est bien évidemment l’Allemagne…
 
Alternative für Deutschland milite aussi pour le développement des référendums d’initiative populaire, notamment pour la construction de mosquées. Dans le même temps, son secrétaire général Uwe Wurlitzer a expliqué au journaliste du Spiegel qu’il se sent frustré qu’on ne parle pas «du problème des étrangers». Il estime par ailleurs que l’Allemagne ne doit pas uniquement regarder vers le passé mais s’intéresser à l’avenir. Tout en se demandant ce que les Allemands d’aujourd’hui ont à voir avec la Seconde guerre mondiale. A noter qu’AfD milite pour un enseignement de l’histoire «axé sur le XIXe siècle». Le XIXe siècle : l’époque des nationalismes triomphants en Europe, en Allemagne en particulier avec le pangermanisme
 

A Berlin, des militants de l'AfD, déguisés, brandissent des drapeaux de l'Allemagne et de leur formation politique e 23 mai 2014, pendant la campagne électorale pour les élections régionales de Saxe. (Reuters - Thomas Peter)

Pourtant, le parti se défend de professer des idées nationalistes. Il dit interdire aux anciens militants du parti néo-nazi NPD de rejoindre ses rangs.

La nouvelle formation entend «pouvoir parler des sujets non conventionnels», explique le chef du parti, Bernd Lucke, cité par Die Zeit. Apparemment, ces «sujets non conventionnels» balayent très large pour convaincre un maximum d’électeurs : il peut s’agir aussi bien de l’exclusion de la Grèce de la zone euro que des idées de Thilo Sarrazin, ancien responsable SPD et ex-membre du directoire de la Bundesbank, qui a dénoncé «l’invasion» du pays par les musulmans.

Parti attrape-tout
Autrement dit, comme le montre Die Zeit, l’AfD semble être un parti attrape-tout. Qui comprend des personnalités favorables à l’économie de marché, d’autres qui défendent un rapprochement avec le nationaliste britannique Nigel Farage ou encore des nobles ultra-conservateurs qui «maudissent l’avortement et les homosexuels». Au risque parfois de francs dérapages comme celui de l’un de ses militants de Leipzig (est). Evoquant la construction d’une mosquée dans la ville, affaire qui divise les habitants, ce dernier évoque «l’invasion de l’Europe par des tribus orientales et négroïdes» et «la destruction de la culture par le mélange des cultures» (cité par Die Zeit)… Apparemment, l’auteur de ces douteux propos est toujours membre d’AfD.

Quand on discute avec des partisans d’Alternative für Deutschland, rapporte le Spiegel, la CDU d’Angela Merkel est leur «principal sujet d’énervement». «La plupart de (ses) électeurs viennent (…) de la CDU», constate de son côté la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Des électeurs déçus par la politique de la chancelière chrétienne-démocrate.

Mais Bernd Lucke l’affirme, AfD n’est pas un parti «populiste de droite». Pour autant, lui-même «ne fait rien contre les populistes de droite», constate Die Zeit car «il sait qu’il a besoin d’eux».
 
Au-delà, celui-ci dirige apparemment son parti en solitaire. Ce qui lui a valu, par un militant qui a quitté le parti, le sobriquet peu flatteur de «autoritärer AfD-Führer». «Führer» : le terme est extrêmement fort vu le poids du passé nazi en Allemagne.

Qui est Bernd Lucke, fondateur et dirigeant de l'AfD ?


Vidéo (en allemand) de la chaîne Südwestrundfunk mise en ligne le 27 mai 2014.  

Et maintenant ?
Reste à savoir ce qui va se passer dans les prochains scrutins régionaux de Brandebourg et de Thüringe, prévus le 14 septembre 2014. Et surtout après. Car la progression d’AfD pourrait avoir, dans l’avenir, des conséquences au niveau fédéral et c’est la CDU qui pourrait en pâtir «comme un chien», analyse Die Frankfurter Allgemeine. Le quotidien voit dans le scrutin saxon «une élection  inquiétante». Et d’expliquer : «Tout cela se produit alors que l’Allemagne (…) s’est rarement aussi bien portée. Il y a toujours eu des partis protestataires». Mais cette fois, «le modèle national-européen-libéral-conservateur de l’AfD» diffère apparemment des autres, poursuit le quotidien de Francfort.

En clair, on pourrait assister à la naissance d’une force significative à droite de la CDU D’autant plus importante que les néo-nazis du NPD ratent l’entrée au parlement de Saxe de 0,05% (ils ont obtenu 4,95% alors qu’il leur aurait fallu 5 % pour l’intégrer)… Un possible futur cauchemar pour Angela Merkel et les chrétiens-démocrates ?  

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