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«L’euro a accru les divergences économiques en Europe»

Le feuilleton grec de l’été en est le témoignage le plus flagrant. Il y a en Europe des situations économiques totalement divergentes. Un constat dangereux pour la zone euro, que le cabinet de consultants Roland Berger avait pointé dans une étude publiée il y a un an sous le titre «La divergence des économies européennes».
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Le sigle de l'Euro devant le siège de la BCE (DANIEL ROLAND / AFP)

L’actualité le montre tous les jours. Certains pays européens rient alors que d’autres pleurent. Mais cela est loin d’être uniquement lié à la politique interne de ces pays. «La divergence est incluse dans le modèle de la zone euro», nous explique l’auteur de la note du cabinet Roland Berger, Hakim El-Karoui. La création d’une zone de monnaie unique fait que «le capital va s’investir là où il est le plus rentable», explique-t-il.

Un phénomène qui n'est pas nouveau, cela s’est fait dans toutes les nations. En France, des régions ont totalement perdu leur industrie au profit d’autres zones ou en Italie, le sud a été totalement supplanté par le nord du pays.
 
Au niveau de la zone euro, cette concentration a bénéficié aux pays du nord, et notamment au premier d’entre eux l’Allemagne. «L’élimination des barrières commerciales devient facteur de concentration de la production dans le centre de la zone concernée, afin de tirer avantage des économies d’échelle et de l’accès aux marchés, avec pour effet induit des disparités entre les régions. C’est ce mécanisme qui a notamment accéléré la concentration de l’industrie dans un petit nombre de pays», précise la note.

Avec l’apparition de l’euro, le phénomène a été amplifié par la suppression des risques de change et la diminution des coûts des transactions frontalières. L’Allemagne a été la grande bénéficiaire de cette spécialisation des zones économiques. A contrario, certains pays du sud ont particulièrement souffert, comme la Grèce.

Taux de croissance théorique d’une économie au regard de ses facteurs de production (en bleu les pays du nord, en jaune les pays du sud). (RolandBerger)

Deux groupes de pays, la France dans les pays du sud
La note rédigée par Hakim El-Karoui estime que dans la zone euro, les indicateurs économiques permettent de distinguer deux groupes de pays, «le Nord de l’Europe (Allemagne, Autriche, Belgique, Estonie, Lettonie, Luxembourg, Finlande, Pays-Bas) et le Sud (France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Irlande, Chypre, Malte, Slovénie, Slovaquie)».
 
Parmi les critères qui différencient ces deux groupes figure notamment la balance commerciale : «En 2012, la part des exportations dans le PIB représentait 57% en Autriche, 52% en Allemagne contre 33% en Espagne et 27% en France et en Grèce.»

«La mise en place de l’Euro avait pour objectif de favoriser les échanges entre les pays et de faire converger les économies européennes (…). Reste que, en 2014, l’hétérogénéité des économies européennes est un fait», selon le rapport. Les politiques menées par les pays ont, de plus, accentué ce mouvement naturel. L’allemagne, avec l’agenda 2010, a diminué ses coûts du travail et accentué sa flexibilité, le tout accompagné de politiques budgétaires rigoureuses. «A l’inverse, la croissance des pays du Sud de la zone euro a été soutenue par la demande intérieure, permise par une hausse de l’endettement public et privé. L’euro a ainsi permis à l’Europe du Sud de s’endetter à des taux artificiellement bas.»

  (RolandBerger)

Une monnaie hémiplégique
Le cabinet Roland Berger apporte de l’eau au moulin de tous ceux qui critiquent le fonctionnement de la zone euro. «L’Euro n’a pas permis la convergence des économies européennes, mais a au contraire accru leur divergence», écrit il.
 
Et les politiques européennes de compensation n’ont pas suffi à corriger cet effet du fait notamment de la «faiblesse du budget européen».

«Le problème de l’euro est d’être une monnaie hémiplégique», explique justement Hakim El-Karoui, qui a travaillé notamment dans le cabinet du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. En effet, selon lui, cette intégration n’a pas été accompagnée de la distribution nécessaire entre pays ou par des mouvements de population qui auraient dû accompagner les changements économiques. En clair, le sud a vu ses capacités économiques diminuer sans bénéficier d’une redistribution propre à un Etat nation et les flux migratoires n'ont pas accompagné ces changements comme cela peut se faire au sein d’un même pays (entre les différents des Etats-Unis d'Amérique notamment).

Quel scénario pour l'avenir ?
Le rapport étudie plusieurs scénarii à partir de la situation actuelle.

Le premier consiste à continuer comme aujourd’hui. Il serait voué à l’échec. Le deuxième est basé sur «l’engagement contractuel des Etats à mener des réformes structurelles, qui prendrait la forme de contrats entre les Etats membres de la zone euro et la Commission Européenne» (réformes des retraites, marché du travail… contre soutien macroéconomique). Le troisième scénario va plus loin avec accentuation de l’intégration européenne (budget européen, harmonisation fiscale), «le financement de projets européens permettant des transferts du Nord vers le Sud : mise en place d’une assurance chômage européenne, investissements en R&D, mobilité des travailleurs, mobilité des retraités, investissement dans des secteurs stratégiques tels que l’environnement, l’éducation, les infrastructures, etc.»

Ce scénario fédéral «a les faveurs des cercles pro-européens pour lesquels le parachèvement de l’édifice de l’Union économique et monétaire est nécessaire pour retrouver des perspectives de croissance en Europe», note le rapport, mais reconnaît que ce scénario n'est pas d'actualité.

Pour tenter de réguler cette crise, l’Europe a décidé d’unifier les politiques économiques en resserrant les libertés budgétaires de chaque Etat membre. «La divergence économique devrait entaîner des politiques divergentes. Or, il y a une erreur d’analyse majeure. Ce n’est pas parce qu’on fait la même politique budgétaire partout qu’on va avoir les mêmes résultats», analyse l’auteur.

«Ca va craquer», prédit Hakim El-Karoui. «On met l’étouffoir sur les questions politiques, et celles-ci vont revenir via l’euro». Le débat sur la place de l’euro n’est pas prêt de prendre fin même si en Grèce ce débat devrait être étouffé lors des prochaines élections du 20 septembre. Mais il devrait revenir très vite quand les solutions décidées cette été apparaîtront comme irréalistes. «Une question de mois», précise Hakim El-Karoui.

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