: Reportage Allemagne : "On se dit que ça peut arriver à tout moment, on ne peut pas rester ici", un an après les crues dévastatrices, les habitants ne s'en relèvent pas
Les 14 et 15 juillet 2021, des inondations dans l’ouest de l’Allemagne faisaient 135 morts. Au sud de Bonn, dans la vallée de l'Ahr, cette crue a emporté des voitures, des ponts et de nombreuses maisons. Les stigmates des inondations sont visibles partout. Un an plus tard, les sinistrés ne s'en relèvent toujours pas.
"Mon village me manque, mon école, tout me manque", glisse Yozina, âgée de 15 ans. Cette adolescente aux cheveux blonds habite dans la vallée de l'Arh, à quelques kilomètres de Bonn, dans la ville de Bad-Neuenahr (Rhénanie-Palatinat). Il y a un an, dans la nuit du 14 au 15 juillet 2021, des pluies diluviennes se sont abattues sur cette vallée faisant 185 morts.
Depuis, Yozina essaye de reprendre une vie normale. Et ce, malgré le choc, toujours présent, de la catastrophe. "Là, c'est devenu normal. On a classe. On a un bus pour aller a l’école. Mon ancienne école me manque. Mais c’est comme cela. Et je ne peux pas changer les choses". Ce n'est qu'en janvier 2022 qu'elle a pu reprendre sa scolarité : son ancienne école, placée au pied de la rivière, a été complètement inondée.
L'établissement a été reconstruit sur les hauteurs : 300 conteneurs vert pâle accueillent désormais le collège-lycée. Des conteneurs qui rassemblent des salles de cours, une bibliothèque et même une cafétéria. C'est le symbole du provisoire qui s'installe. Embert Schiler en est le directeur. "On arrive a donner aux élèves la même éducation qu’avant, mais c’est le contexte qui est diffèrent. Et je pense que, maintenant, nos étudiants peuvent apprendre plus qu’avant. Cette catastrophe a changé leur façon de voir les choses", indique-t-il.
Avoir un futur dans cette vallée
Le centre de Bad-Neuenahr est l’autre indicateur de cette difficulté à reconstruire. Dans cette ville de 27 500 âmes, où l’eau est montée de 7 mètres en moins d’une heure, se dégage une impression que le cœur de la cité reste abandonné. L'eau a tout inondé ici. Quelques commerces ont rouvert il y a seulement deux mois, en avril 2022. "Non, ce n'est pas abandonné. Il y a seulement quelques personnes qui sont vraiment parties. Mais la vérité, c'est que ça prend du temps", tempère Hoss Gassen. Ce guide touristique pointe le "manque de main d'œuvre pour les réparations", avant de glisser que " tout le monde n'a pas les moyens de payer".
Dans la vallée, les dégâts restent impressionnants. Beaucoup de choses ont été rayées de la carte. L'inondation a brisé des ponts, emporté des maisons, détruit tous les réseaux. La petite vallée touristique, fière de son pinot noir, risque de se vider. Werner Lanzerath est maire-adjoint d'Altenahr, une municipalité de 1 900 habitants, située entre deux méandres de l'Ahr. Il a dû reloger le quart des habitants. "C'est très important de faire revenir les gens ici. C'est très important sur le plan économique que les gens restent ici, qu'on ait un développement, qu'on ait un futur dans cette vallée", observe le maire-adjoint. Selon lui, "la plupart des gens ont besoin de visibilité, d'un agenda, de pouvoir dire, ok, le planning est sur un ou deux ans, et après, on sera dans la phase de travaux". Avec, en ligne de mire, un bassin de rétention pour la prévention.
Améliorer le système d'alerte
Ici, l’adaptation se fait par petites touches. Dans la caserne des pompiers volontaires de Ahrbruck, le chef Florian Ulrich, explique que depuis la catastrophe, un drone a été acheté, des sirènes ont été installées. "On ne peut rien faire face a une catastrophe pareille. Vraiment, on ne peut pas intervenir. Même si on avait un meilleur matériel, ou plus de monde", se résigne Florian Ulrich. "La seule chose qui soit utile, poursuit-il, qui pourrait nous aider si on avait a faire face a un autre désastre similaire, ce serait un système d’évacuation anticipé. Si on avait un évènement similaire, je pense que la clef, ce serait de prévenir la population plus tôt. Il n’y a que cela qui puisse servir devant une telle catastrophe" assure-t-il.
Devant sa maison, encore couverte de boue jusqu'au deuxième étage, Tino Rossi s'est fait sa religion. Cet architecte de 71 ans ne reviendra pas dans la vallée :"On part parce qu'il y a trop d'incertitudes, et parce que l'on a été victime de quelque chose de tellement hors-norme". Les travaux de prévention, avec notamment la construction de bassins de rétention n'ont toujours pas commencé : "Il faut qu'on parte, d'autant qu'il n'y a pas encore eu de mesures prises pour s'attaquer aux causes du problème", regrette l'architecte retraité.
"On se dit maintenant que ça peut arriver à tout moment. Peut-être tous les ans, et peut-être encore plus violent. On ne peut pas rester ici"
Tino Rossi, sinistré d'Ahrbruckfranceinfo
Les prix des matériaux de construction flambent
Les constructions se font au compte-goutte. Mais la vallée souffre d’une double peine : les destructions on eut lieu au moment où la crise des matières premières s’est installée. Ce qui complique la prise en charge des assurances. "Les compagnies d'assurance ont quelqu'un pour valider les devis. Le problème est que cette personne fixe un prix maximum. Et souvent, ce n'est pas suffisant pour couvrir la reconstruction", constate Mark Kreutzerg. Selon ce charpentier, "le prix des matériaux de construction ont augmenté de 40%, voire parfois de 50% en un an".
Dans la vallée de l'Arh, de nouveaux quartiers apparaissent par endroit. Ce sont des minuscules maisons de bois, louées 200 euros par mois. Un an après la catastrophe, les habitants rencontrés se sentent "abandonnés" par le gouvernement. Personne, ici, ne s’était préparé à une catastrophe d’une telle ampleur.
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