Cet article date de plus de huit ans.
Europe: «les autres gauches restent minoritaires», selon l'historien Marc Lazar
Echec du parti de Renzi aux municipales en Italie, sombres sondages pour le PS en France, disparition de la sociale-démocratie au 1er tour de la présidentielle en Autriche... Les gauches de gouvernement souffrent en Europe. Alors que la campagne électorale s'ouvre en Espagne, nous avons demandé à Marc Lazar, directeur du Centre d'Histoire de Sciences-Po, son analyse sur les gauches en Europe.
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Y-a-t-il un rejet des gauches de gouvernement appliquant des politiques d’austérité en Europe ?
Marc Lazar : A gauche, en Europe, selon que les partis socialistes et sociaux-démocrates soient ou non au pouvoir, il y a trois types d’attitudes par rapport aux politiques économiques des gouvernements qui ne se limitent pas à l’austérité. Ces politiques ont des points communs mais aussi des différences d’un pays à l’autre.
Certains électeurs, appartenant le plus souvent aux classes moyennes supérieures et dotées d’un haut niveau d’instruction, les soutiennent car ils pensent que l’assainissement des finances publiques, les libéralisations, la flexi-sécurité accompagnées de dispositions sociales sont nécessaires pour relancer la croissance.
Une autre partie de l’électorat, généralement issue des couches populaires, ne comprend pas ces politiques, voire les condamne, et se réfugie dans l’abstention, suivi, parfois, d’un retour aux urnes mais alors en faveur des «populistes». Enfin, il existe des électeurs qui rejettent totalement ces politiques, crient à la trahison : ceux-là se reconnaissent dans les gauches dites radicales.
Peut-il y avoir l’émergence de nouvelles gauches ?
A l’évidence, on assiste, dans nombre de pays correspondant à l’ancienne Europe de l’Ouest, à l’émergence de quelque chose dans les partis classiques de la gauche ou sur leur flanc gauche. On peine d’ailleurs à donner un nom à ce phénomène : gauche de la gauche, gauches radicales, nouvelles gauches. Car ces gauches-là ont des points communs mais sont aussi très disparates ce qui a toujours été le cas dans l’histoire. Aujourd’hui, si elles semblent unies dans leur volonté de créer une «alternative», ces gauches demeurent fort différenciées. On repère en leur sein au moins trois grandes sensibilités parfois clairement distinctes ou étroitement entremêlées.
La première se réclame des valeurs fondamentales de la gauche tout en reconnaissant la nécessité de faire des réformes difficiles, par exemple sur la dépense publique, et en intégrant des nouveautés apparues désormais depuis plusieurs décennies : elle prône une politique étatique, de la redistribution sociale, la taxation des plus fortunés mais aussi des mesures écologiques. Sa critique des maux de l’économie de marché prend souvent une tournure morale. Cette sensibilité de gauche qui se décline différemment d’un pays à l’autre s’est emparée du Parti travailliste britannique et est présente comme minorité dans tous les partis sociaux–démocrates, au PS en France (ce sont les «frondeurs») et au Parti démocratique italien.
Une deuxième sensibilité refusant toute politique de rigueur, très critique sur l’Europe, extrêmement hostile aux socialistes et sociaux-démocrates, s’organise dans des partis de forme traditionnelle: Die Linke en Allemagne, le Parti de gauche et le PCF en France, Unité populaire en Grèce (une petite scission de Syriza).
Enfin, une autre composante de ces gauches peut être qualifiée de «mouvementiste» car elle prétend vouloir non seulement renverser tout «le système» –économique et politique- mais encore inventer de nouvelles formes de participation démocratique.
Podemos en Espagne en est un exemple emblématique. Il rejetait, au départ, le clivage gauche contre droite préférant parler de l’opposition entre le peuple et «la caste». Il a désormais nuancé quelque peu ses propositions et n’a pas hésité à sceller des alliances comme cela vient d’être fait avec Izquierda Unida en vue des législatives de ce mois de juin alors qu’auparavant il critiquait vertement cette coalition comprenant le PC espagnol.
Ces deux derniers courants étaient présents dans Syriza avant de se séparer l’été dernier, ils le sont aujourd’hui en Italie, par exemple, dans toute la nébuleuse qui s’évertue à s’organiser à l’extérieur du Parti démocrate, sans succès pour le moment. On pourrait dire que les Verts en France s’inscrivent dans cette lignée même si leurs pratiques bureaucratiques et leurs âpres combats des chefs démentent quotidiennement leur rhétorique démocratique.
Jeremy Corbin représente un cas singulier car tout en étant un représentant classique de la gauche du parti travailliste, il a intégré les aspirations d’une partie des électeurs qui veulent être davantage associés, grâce à internet, à l’élaboration des programmes et aux décisions politiques.
Comment peut on expliquer ce phénomène ?
Les explications de la progression de ces gauches sont multiples. Joue en premier lieu, bien évidemment, l’austérité avec son cortège de souffrances et d’inégalités de toute nature. Mais d’autres facteurs interviennent : la crise de la représentation politique dans nombre de pays, le rejet des élites dirigeantes, l’incapacité de l’Union européenne à adopter des politiques communes sur des questions essentielles, le sentiment que cette même Union souffre d’un déficit démocratique, les angoisses suscitées par la globalisation, la colère d’une partie de la jeunesse scolarisée et instruite confrontée à la précarisation, l’aspiration persistante chez nombre de gens de gauche à vouloir construire un monde meilleur, la quête d’un renouveau de la politique, voire à se reconnaître dans un leader qui tranche avec les autres.
Attention, toutefois à ne prendre en considération que cette impression de dynamisme de ces gauches. Car celles-ci ont de nombreux handicaps : elles restent minoritaires dans presque tous les pays, n’attirent guère en général les électeurs populaires, sont isolées politiquement et déchirées par la question de savoir, pour les pays concernés, s’il faut ou non rester dans la zone euro ou encore s’il faut ou pas s’allier conjoncturellement aux partis socialistes classiques.
Pour le moment, dans la majorité des cas, ces gauches, surtout celles qui sont organisées à l’extérieur des partis réformistes, peuvent avoir une capacité de nuisance pour ces derniers, mais ne constituent pas encore une alternative crédible.
Sauf en Espagne justement où Podemos et Izquierda Unida pourraient dépasser le Parti socialiste, ce qui représenterait un tournant historique pour ce pays.
Marc Lazar : A gauche, en Europe, selon que les partis socialistes et sociaux-démocrates soient ou non au pouvoir, il y a trois types d’attitudes par rapport aux politiques économiques des gouvernements qui ne se limitent pas à l’austérité. Ces politiques ont des points communs mais aussi des différences d’un pays à l’autre.
Certains électeurs, appartenant le plus souvent aux classes moyennes supérieures et dotées d’un haut niveau d’instruction, les soutiennent car ils pensent que l’assainissement des finances publiques, les libéralisations, la flexi-sécurité accompagnées de dispositions sociales sont nécessaires pour relancer la croissance.
Une autre partie de l’électorat, généralement issue des couches populaires, ne comprend pas ces politiques, voire les condamne, et se réfugie dans l’abstention, suivi, parfois, d’un retour aux urnes mais alors en faveur des «populistes». Enfin, il existe des électeurs qui rejettent totalement ces politiques, crient à la trahison : ceux-là se reconnaissent dans les gauches dites radicales.
Peut-il y avoir l’émergence de nouvelles gauches ?
A l’évidence, on assiste, dans nombre de pays correspondant à l’ancienne Europe de l’Ouest, à l’émergence de quelque chose dans les partis classiques de la gauche ou sur leur flanc gauche. On peine d’ailleurs à donner un nom à ce phénomène : gauche de la gauche, gauches radicales, nouvelles gauches. Car ces gauches-là ont des points communs mais sont aussi très disparates ce qui a toujours été le cas dans l’histoire. Aujourd’hui, si elles semblent unies dans leur volonté de créer une «alternative», ces gauches demeurent fort différenciées. On repère en leur sein au moins trois grandes sensibilités parfois clairement distinctes ou étroitement entremêlées.
La première se réclame des valeurs fondamentales de la gauche tout en reconnaissant la nécessité de faire des réformes difficiles, par exemple sur la dépense publique, et en intégrant des nouveautés apparues désormais depuis plusieurs décennies : elle prône une politique étatique, de la redistribution sociale, la taxation des plus fortunés mais aussi des mesures écologiques. Sa critique des maux de l’économie de marché prend souvent une tournure morale. Cette sensibilité de gauche qui se décline différemment d’un pays à l’autre s’est emparée du Parti travailliste britannique et est présente comme minorité dans tous les partis sociaux–démocrates, au PS en France (ce sont les «frondeurs») et au Parti démocratique italien.
Une deuxième sensibilité refusant toute politique de rigueur, très critique sur l’Europe, extrêmement hostile aux socialistes et sociaux-démocrates, s’organise dans des partis de forme traditionnelle: Die Linke en Allemagne, le Parti de gauche et le PCF en France, Unité populaire en Grèce (une petite scission de Syriza).
Enfin, une autre composante de ces gauches peut être qualifiée de «mouvementiste» car elle prétend vouloir non seulement renverser tout «le système» –économique et politique- mais encore inventer de nouvelles formes de participation démocratique.
Podemos en Espagne en est un exemple emblématique. Il rejetait, au départ, le clivage gauche contre droite préférant parler de l’opposition entre le peuple et «la caste». Il a désormais nuancé quelque peu ses propositions et n’a pas hésité à sceller des alliances comme cela vient d’être fait avec Izquierda Unida en vue des législatives de ce mois de juin alors qu’auparavant il critiquait vertement cette coalition comprenant le PC espagnol.
Ces deux derniers courants étaient présents dans Syriza avant de se séparer l’été dernier, ils le sont aujourd’hui en Italie, par exemple, dans toute la nébuleuse qui s’évertue à s’organiser à l’extérieur du Parti démocrate, sans succès pour le moment. On pourrait dire que les Verts en France s’inscrivent dans cette lignée même si leurs pratiques bureaucratiques et leurs âpres combats des chefs démentent quotidiennement leur rhétorique démocratique.
Jeremy Corbin représente un cas singulier car tout en étant un représentant classique de la gauche du parti travailliste, il a intégré les aspirations d’une partie des électeurs qui veulent être davantage associés, grâce à internet, à l’élaboration des programmes et aux décisions politiques.
Comment peut on expliquer ce phénomène ?
Les explications de la progression de ces gauches sont multiples. Joue en premier lieu, bien évidemment, l’austérité avec son cortège de souffrances et d’inégalités de toute nature. Mais d’autres facteurs interviennent : la crise de la représentation politique dans nombre de pays, le rejet des élites dirigeantes, l’incapacité de l’Union européenne à adopter des politiques communes sur des questions essentielles, le sentiment que cette même Union souffre d’un déficit démocratique, les angoisses suscitées par la globalisation, la colère d’une partie de la jeunesse scolarisée et instruite confrontée à la précarisation, l’aspiration persistante chez nombre de gens de gauche à vouloir construire un monde meilleur, la quête d’un renouveau de la politique, voire à se reconnaître dans un leader qui tranche avec les autres.
Attention, toutefois à ne prendre en considération que cette impression de dynamisme de ces gauches. Car celles-ci ont de nombreux handicaps : elles restent minoritaires dans presque tous les pays, n’attirent guère en général les électeurs populaires, sont isolées politiquement et déchirées par la question de savoir, pour les pays concernés, s’il faut ou non rester dans la zone euro ou encore s’il faut ou pas s’allier conjoncturellement aux partis socialistes classiques.
Pour le moment, dans la majorité des cas, ces gauches, surtout celles qui sont organisées à l’extérieur des partis réformistes, peuvent avoir une capacité de nuisance pour ces derniers, mais ne constituent pas encore une alternative crédible.
Sauf en Espagne justement où Podemos et Izquierda Unida pourraient dépasser le Parti socialiste, ce qui représenterait un tournant historique pour ce pays.
Marc Lazar est professeur des universités en histoire et sociologie politique à Sciences Po, où il est président du Centre d'histoire, directeur du département d'histoire et président du Conseil scientifique depuis 2010. A l'université Luiss-Guido Carli de Rome, il est professeur associé depuis 2007 et président de the School of Government depuis 2010.
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