Législatives en Géorgie : quatre questions sur le résultat d'un scrutin contesté et marqué par des violences

Le scrutin a été "entaché par des inégalités, des pressions et des tensions", estiment les observateurs européens.
Article rédigé par franceinfo
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Bidzina Ivanichvili, le fondateur du parti Rêve géorgien qui a remporté les élections législatives en Géorgie, le 26 octobre 2024, à Tbilissi (Géorgie). (GIORGI ARJEVANIDZE / AFP)

Un scrutin sous pression. Les élections législatives en Géorgie, qui se sont tenues samedi 26 octobre, ont vu triompher le parti au pouvoir, Rêve géorgien. Avec 54,08% des voix, selon les résultats officiels publiés dimanche, la formation s'est imposée face aux partis d'opposition pro-européens (qui à eux quatre représentent 37,58%). Ces derniers ont immédiatement dénoncé l'issue d'un vote entaché d'irrégularités.

Ce vote était scruté de près par la communauté internationale, alors que la formation Rêve géorgien, en faveur d'une normalisation des relations avec la Russie, porte un discours anti-occidental et dirige le pays d'une main de plus en plus autoritaire. Les Géorgiens doivent-ils tirer un trait sur leur adhésion à l'UE ? Pourquoi l'opposition dénonce-t-elle des tentatives de fraude ? Que disent les observateurs européens ? Franceinfo répond à quatre questions sur les résultats des élections législatives géorgiennes. 

1 Qui a remporté le scrutin ?

Le parti Rêve géorgien est à nouveau sorti vainqueur des élections législatives, avec 54,08% des voix, selon les chiffres publiés dimanche 27 octobre par la commission électorale, qui a par ailleurs rapporté un taux de participation de 58%. "Comme le montrent les résultats rendus publics par la commission électorale centrale, Rêve géorgien s'est assuré une solide majorité" dans le nouveau Parlement, a déclaré le secrétaire exécutif du parti, Mamuka Mdinaradze, dès samedi soir.

La formation, au pouvoir depuis 2012, est dirigée par l'oligarque Bidzina Ivanichvili, revenu en Géorgie dans les années 2000 après avoir fait fortune en Russie. Son parti n'est pas ouvertement acquis au Kremlin, mais est considéré comme tel par l'opposition et des observateurs internationaux. Rêve géorgien a notamment mené campagne sur sa capacité à préserver le pays d'une expansion de la guerre entre l'Ukraine et la Russie sur son territoire. "Il ne s'agit pas d'une justification négative (éviter la guerre) mais positive (adhérer aux mêmes valeurs que celles promues par la Russie)", estime le journaliste Régis Genté dans une étude de l'Institut français des relations internationales (PDF) publiée en novembre 2023. 

Une affiche électorale de Rêve géorgien mêle le logo du parti et les étoiles de l'UE, le 13 octobre 2024 à Tbilissi. A droite, une image d'église détruite en Ukraine, accompagnée du slogan "Dites non à la guerre, choisissez la paix". (MAURIZIO ORLANDO / HANS LUCAS / AFP)

Depuis qu'il est au pouvoir, le parti a déjà fait adopter deux textes inspirés de lois russes pour museler l'opposition et la société civile. La "loi sur les agents de l'étranger", qui permet aux autorités de contrôler les ONG bénéficiaires de financements de l'étranger, a été votée en mai. En réaction, Bruxelles a suspendu la procédure d'adhésion de la Géorgie à l'UE. Trois mois plus tard, le texte "sur les valeurs familiales", qui restreint les droits des personnes LGBT+, a été adopté.

Un signe de proximité avec Moscou et de rejet des pays occidentaux, selon Régis Genté : "Les raisons du rapprochement avec la Russie semblent liées au conservatisme affiché par le pouvoir, qui dit implicitement que les valeurs promues par l'UE sont incompatibles avec celles de la Géorgie." Les représentants de Rêve géorgien portent d'ailleurs un discours anti-occidental, leur fondateur en tête. Bidzina Ivanichvili qualifie l'Occident de "parti mondial de la guerre" et désigne la Géorgie comme une victime traitée comme de la "chair à canon".

2 Comment ont réagi l'opposition et la présidente ?

La présidente de la Géorgie, Salomé Zourabichvili, a dénoncé dimanche une "falsification totale" des élections législatives. "Nous avons été témoins et victimes d’une opération spéciale russe, une des nouvelles formes de guerre hybride, menée contre notre peuple, contre notre pays", a déclaré la cheffe d'Etat en conférence de presse. Elle appelle à la manifestation lundi soir. 

"Je ne reconnais pas ces résultats électoraux".

Salomé Zourabichvili, présidente de la Géorgie

en conférence de presse

"Nous ne reconnaissons pas les résultats faussés d'élections volées", a déclaré samedi soir Tina Bokoutchava, cheffe du Mouvement national uni (MNU), un des quatre partis de l'opposition à participer au scrutin. En conséquent, la patronne du MNU, qui a obtenu 10% des voix, a annoncé, dimanche, que son parti ne siégerait pas au Parlement. Les opposants membres de la Coalition pour le changement (11%) ont également déclaré refuser leur mandat parlementaire. "Nous n'allons pas donner de la légitimité aux voix volées au peuple géorgien", a dénoncé leur cheffe de file, Nana Malachkhia, lors d'une conférence de presse. 

Dénonçant "un coup d'Etat constitutionnel", Nika Gvaramia, leader du parti Akhali, a de son côté affirmé que l'opposition avait "déchiffré le schéma de falsification" du scrutin. Des médias et des ONG ont dénoncé une série d'incidents en marge du scrutin. Des vidéos de violences devant des bureaux de vote, d'agressions de journalistes ou de bourrage d'urnes ont circulé sur les réseaux sociaux.

L'opposante Tina Bokoutchava a dénoncé les "voyous" de Rêve géorgien, les accusant de "s'accrocher au pouvoir" et de "miner le processus électoral" – des propos rejetés par le parti. "Ils bourrent les urnes, brutalisent les électeurs et frappent les observateurs", a-t-elle affirmé.

3 Que disent les observateurs indépendants sur la régularité du scrutin ?

Le scrutin a été "entaché par des inégalités [entre candidats], des pressions et des tensions", ont estimé les observateurs européens. "Le jour du scrutin s'est globalement bien déroulé sur le plan de la procédure, mais il a été marqué par une atmosphère tendue. Le secret du vote a souvent été compromis et des cas d'intimidation et des pressions sur les électeurs ont été signalés", pointent-ils dans un communiqué, dénonçant entre autres "des achats de vote"

Le président du Conseil européen, Charles Michel, demande une enquête rapide sur les "irrégularités" du scrutin. "La réunion du Conseil de l’Union européenne de novembre évaluera la situation et définira les prochaines étapes de nos relations avec la Géorgie", a-t-il précisé sur X

Selon les ONG Transparency International et International Society for Fair Elections And Democracy, "les élections en Géorgie ont été marquées par une 'fraude systémique' et une 'fraude généralisée'" qui concerneraient "10% des voix ou plus", mentionne l'institut de recherche européen ENC sur X. "Le personnel de l'ENC appelle les responsables européens, les députés européens, les Etats membres, les médias et la société civile à rejeter immédiatement le résultat frauduleux", annonce-t-il. 

4 Quelles conséquences pour les relations internationales du pays ?

La présidente du pays avait qualifié, début octobre, le scrutin de "quasi-référendum sur le choix entre l'Europe et le retour à un passé incertain russe" dans un entretien à l'AFP. De son côté, Bruxelles avait averti que les chances de la Géorgie d'entrer dans l'UE dépendraient de ces élections. Ainsi, le pays entre "dans une période d'instabilité pour une période indéterminée et ses espoirs européens se sont évanouis, au moins le temps que Rêve géorgien sera au pouvoir", juge dimanche Gela Vasadze, politologue au centre d'analyse stratégique sur la Géorgie, interrogé par l'AFP.

"Nous continuons d'exprimer notre profonde inquiétude face au recul démocratique en Géorgie. Le déroulement des élections en est malheureusement la preuve", a déclaré l'eurodéputé Antonio Lopez-Isturiz White, l'un des observateurs du scrutin.

"Nous continuerons de suivre de près la situation en Géorgie pour voir si le prochain gouvernement choisit de se réaligner sur les valeurs et les normes de l’UE."

Antonio Lopez-Isturiz White, observateur européen du scrutin géorgien

dans un communiqué

La Russie n'a pour l'heure pas réagi, mais le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, seul dirigeant de l'UE resté proche de Moscou, a salué la victoire "écrasante" du parti au pouvoir. D'après le think tank américain Institute for the Study of War (ISW), "le Kremlin a l'intention d'exploiter Rêve géorgien pour renforcer l'influence russe en Géorgie, bien que l'étendue exacte" de leurs relations "ne soit pas claire".

Tbilissi a dû céder une partie de son territoire – l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud – à Moscou, après deux attaques de son voisin russe en 1993 et 2008. En septembre, le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a émis l'hypothèse d'une normalisation des relations dans ces deux régions en cas de victoire de Rêve géorgien. Un moyen pour le Kremlin de "sécuriser un accès à long terme au territoire, à l'espace aérien et aux ports géorgiens", juge l'ISW. 

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