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Gilles Lepesant : l'est de l'Ukraine a toujours eu «une identité spécifique»

Pouvoir ukrainien et séparatistes se sont mis d'accord le 12 février à Minsk sur un cessez-le-feu et un retrait de leurs forces. Reste aux deux parties, si le cessez-le-feu tient, à déterminer les futures relations entre les zones tenues par les séparatistes et le pouvoir central ukrainien. Avec le géographe Gilles Lepesant, nous revenons sur la spécificité du Donbass.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Les présidents Poutine (de face) et Porochenko (de dos), lors de la réunion de Minsk, le 11 février 2015. (UKRAINIAN PRESIDENTIAL PRESS SERVICE / POOL / MYKOLA LAZARENKO)

Directeur de recherche au CNRS, chercheur associé au CERI (Sciences Po), titulaire d'une HDR (habilitation à diriger les recherches) en géographie depuis 2010, Gilles Lepesant travaille sur l'européanisation des politiques territoriales en Europe centrale et orientale. Il a écrit sur la géographie de l'Ukraine. Pour Géopolis, il analyse la spécificité des régions de l'est du pays actuellement en conflit avec Kiev.

Historiquement, les régions «autonomistes» ont-elles une véritable spécificité, une histoire différente du reste de l'Ukraine?
La région du Donbass, où se déroulent les combats, a une identité spécifique qui la distingue à la fois du reste de l'Ukraine et des régions russes voisines. Cette identité repose notamment sur le fait qu'il s'agit d'une région minière, au peuplement récent et majoritairement russophone.

Les liens de cette région avec le monde russe sont forts, mais son identité est complexe car le rapprochement avec l'UE séduit également, sans parler d'une certaine nostalgie qui demeure pour la période soviétique. Originaire de cette région, le précédent président ukrainien,Viktor Ianoukovitch, était favorable à la signature d'un accord d'association avec l'UE, jusqu'à ce que les pressions russes finissent par l'en dissuader, précipitant l'éclatement de la crise actuelle. Les difficultés économiques pèsent aujourd'hui sur la situation de cette région. Les deux «oblast» de Donetsk et de Lougansk regroupaient avant le conflit 6,2 millions d'habitants (sur un total pour l'Ukraine de 45 millions d'habitants environ).

Carte de la zone séparatiste de l'Ukraine, avec les zones de combats, avant les accords de Minsk. (AFP)

Quelles sont les spécificités économiques, sociales, linguistiques des régions «autonomistes»?
Les régions de Lougansk et de Donetsk produisaient avant la crise 16% du PIB ukrainien. Grâce aux mines de charbon et aux usines sidérurgiques, elles constituent le cœur économique du pays d'autant que la demande des pays émergents a provoqué une longue et forte hausse des prix mondiaux de l'acier.

Il s'agit aussi d'une des composantes les plus peuplées du pays, sans oublier l'agriculture qui y est performante grâce à de vastes exploitations. La langue russe domine largement, du moins dans les villes, mais en Ukraine comme dans d'autres pays, être russophone ne signifie pas nécessairement être russe ou approuver la politique russe actuelle.

La révolution Orange, la crise d'adaptation subie par l'industrie lourde depuis quelques années, la dégradation des conditions de vie ont pu contribuer au mécontentement de la population dans l'est de l'Ukraine vis-à-vis des dirigeants ukrainiens. Il reste que jamais depuis l'indépendance les consultations électorales ou les enquêtes sociologiques n'ont témoigné d'une forte aspiration de la population de cette région à se séparer du reste de l'Ukraine. 

Quelle solution peut émerger pour ces régions, pour l'Ukraine?
Paradoxalement, le fédéralisme est une idée que les Ukrainiens attachés à s'émanciper de l'Empire russe ont longtemps défendu. Aujourd'hui, ce sont les dirigeants russes qui soutiennent cette forme d'organisation politique tout en préférant la «verticale du pouvoir» pour gérer la diversité de leur propre territoire. Les Ukrainiens ont été depuis l'indépendance très prudents sur ce sujet, y compris l'ancien président Ianoukovitch pourtant originaire du Donbass. Rien ne dit en effet que la solution fédérale telle que l'envisagent les dirigeants russes épargnerait à l'Ukraine un éclatement de son territoire. Au-delà des concepts d'autonomie et de fédération, il faut une réforme de la décentralisation car l'Etat ukrainien reste aujourd'hui un des Etats les plus centralisés d'Europe. Cela suppose des administrations régionales efficaces et un gouvernement central réformé. Les dirigeants ukrainiens ont annoncé des changements profonds en la matière.

D'éventuelles avancées relèveraient en tout état de cause d'une autre logique que celle consistant à aligner le statut du Donbass sur celui d'autres régions séparatistes soutenues par la Russie telles que la Transnistrie (en Moldavie).


Gilles Lepesant a publié sur le site du Ceri un texte sur Quelle configuration territoriale pour l’Ukraine ? Il a aussi publié Géographie économique de l'Europe centrale (presses de Sciences-Po).

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