Hongrie: le paradoxe Viktor Orban
Un chef de gouvernement «pugnace et volontaire, selon ses partisans, autoritaire et démagogue d’après ses adversaires», qui «n’hésite pas à bousculer le consensus et à remettre en cause le dogme des vingt dernières années», écrivait en avril 2013 le journaliste du Monde Yves-Michel Riols, qui fréquente le pays depuis plus de 25 ans, dans un article au titre choc : «La posture gaullienne de Viktor Orban».
Le papier a été apprécié au plus haut sommet de l’Etat hongrois. Mais il a suscité un virulent débat dans les colonnes du «quotidien français de référence» et sur son site internet, avec une mise au point de son médiateur. Les réactions y étaient très contrastées.
L’une accusait Yves-Michel Riols de «mensonges (…), léchage de bottes», rappelant «la Hongrie d’Orban, avec ses bandes de néofascistes qui sévissent en uniformes, les Roms et Juifs agressés, avec sa dictature parlementaire, avec son nationalisme agressif et dangereux». A l’inverse, écrit un autre, «il est vrai que beaucoup ont crié au fascisme quand de Gaulle était au pouvoir. Ce sont sûrement leurs descendants qui font de même aujourd’hui avec M. Orban. Dans 50 ans, leurs (propres) descendants diront alors sûrement que M. Orban était un grand homme qui a sauvé la Hongrie».
De fait, Viktor Orban et sa politique soulèvent de très vives polémiques en Europe. Il n’y a qu’à voir la colère de l’eurodéputé vert Daniel Cohn-Bendit, le 18 janvier 2012, à la tribune du Parlement européen. Outre les accusations de flirt implicite avec l’extrême droite, on lui reproche d’avoir limité les pouvoirs législatif et judiciaire, et de renforcer l'exécutif. Tout en limitant la liberté de la presse. Ses réformes de la Constitution et de la Banque centrale ont été très critiquées dans l’Union européenne. Certains lui reprochent même d’entraîner son pays «vers un Etat autoritaire».
«Ex-communistes aussi marxistes qu’Al Capone»
De son côté, l’homme ne fait rien pour calmer le jeu. Il n’y a qu’à voir son dernier «discours sur l’état de la Nation», prononcé le 16 février 2014. Il y dresse le bilan de son mandat. Et explique pourquoi il est prêt à rempiler.
Selon lui, l’arrivée au pouvoir en 2010 de son parti de droite, le Fidesz, à l’issue d’une victoire électorale contre une coalition des socialistes (ex-communistes) et des libéraux, était en fait «un changement de régime». Et de préciser : «Nous avons remplacé le système économique et politique construit après la chute du communisme» en 1991, dans la mesure où après cette période, «la réorganisation de l'Etat n'avait pas suivi».
En clair, il se serait agi de remplacer l’élite issue du régime communiste, restée peu ou prou aux affaires tout au long des années 90 et 2000, qui avait amené la Hongrie à la faillite. Convertie au libéralisme, elle avait dérégulé et privatisé à tout va. En permettant ainsi à certains de ses membres de s’enrichir… A commencer par l’ancien Premier ministre socialiste Ferenc Gyurcsany, «représentant typique de la tendance ‘‘jeune, moderne et tournée vers l’Occident’’ de la gauche libérale ex-communiste, classé 50e fortune du pays en 1992», rappelle Marianne. Ce qui amène ensuite l’écrivain britannique (d’origine hongroise) Tibor Fischer, cité par Marianne, à faire ce commentaire lapidaire : «Les ex-communistes (sont) aussi marxistes qu’Al Capone»…
La vraie gauche, c'est la droite ?
Facile ensuite pour Viktor Orban, dans son discours de fustiger l’hypocrisie d’un «parti de gauche (sous-entendu l’ex-PC, NDLR) qui (s’était) engagé à représenter les perdants» des changements politiques tout en attirant toujours plus «d’importants hommes d’affaires devenus milliardaires». Sous-entendu, grâce à la fin du régime stalinien. Une manière de dire: «la vraie gauche, c’est la droite»…
A l’appui de ses dires, Viktor Orban a fait adopter «une série de mesures qui le classent nettement à gauche sur l’échiquier européen : nationalisation des fonds de pension, imposition des multinationales», note Yves-Michel Riols. Dans le même temps, il s’est battu contre les fournisseurs d’énergie pour obtenir des baisses des tarifs du gaz et de l’électricité. Et il a ferraillé contre les banques pour les obliger à «renégocier les taux de remboursement des crédits qui étranglent plus d’un millier de ménages magyars» (sur une population de 10 millions d’habitants).
Un tantinet populiste, Orban ? Mais paradoxal toujours. Car même de droite, il n’hésite pas à prendre comme principale conseillère Zsuzsa Hegedüs, une sociologue née à Budapest et réfugiée politique en France en 1976. Devenue citoyenne française par la suite, elle travaille au CNRS avec Alain Touraine. Fondatrice du mouvement Agis contre la haine, «cousin magyar de SOS Racisme», elle se définit d’emblée comme «de gauche et d’origine juive». Elle défend bec et ongle la politique du gouvernement Orban qui mène, rappelle-t-elle, une «politique de zéro tolérance contre toute forme d’antisémitisme». Elle rappelle ainsi différentes mesures prises par l’actuel pouvoir, à commencer par la pénalisation du négationnisme et l’interdiction des groupes paramilitaires comme la Garde hongroise.
«Derrière le paravent»
Au-delà, «ce Premier ministre tient toujours un discours manichéen : il y a les bons Hongrois patriotes, qui votent pour lui ; et les autres, les mauvais, internationalistes, cosmopolites, qui votent contre lui. En font partie ses adversaires de gauche, à ses yeux tous héritiers du communisme», constate un journaliste étranger qui vit en Hongrie. Résultat : dans la vie quotidienne, il vaudrait mieux éviter de manifester ou de dire que l’on vote pour l’opposition quand on sollicite un emploi, si l’on en croit certains témoignages…
«Dans sa manière d’aborder ses adversaires, Orban reste un héritier du communisme. D’autant qu’il a par ailleurs une conception du pouvoir très oligarchique, très autoritaire, qui privilégie le groupe sur l’individu», poursuit le journaliste. Pour s’en rendre compte, il suffirait d’«aller derrière le paravent du discours, qui était de redonner le pouvoir aux Hongrois. Et que voit-on ? Une nouvelle oligarchie qui a mis la main sur l’Etat». Exemples : le scandale de la location des terres et l’attribution des licences de débit de tabac. Dans cette dernière affaire, «un bon tiers des entreprises gagnantes appartiennent à des parents ou à des entrepreneurs proches du Fidesz», affirme Libération.
Un climat qui ne correspond donc pas forcément à celui décrit par Viktor Orban dans son discours de janvier. Ces dernières années, «la pauvreté a beaucoup augmenté et est beaucoup plus visible qu’en France. De leur côté, les classes moyennes ont peur d’être déclassées», rapporte le journaliste étranger. Selon un universitaire de Budapest, cité par le site Hulala, un tiers des Hongrois vivraient en dessous du seuil de pauvreté.
L'émigration des jeunes
De son côté, le pouvoir met en avant «la hausse du taux d’emploi» et la baisse de la pauvreté infantile. Il a par ailleurs instauré des travaux d’intérêt général que doivent accomplir chômeurs et inactifs «dans des conditions parfois très dures et dégradantes», selon Hulala : entretien des forêts, nettoyage des canaux d’irrigation… Le tout pour un salaire de misère. «Autant d’éléments qui permettent de faire baisser les chiffres du chômage», commente un observateur. Les Roms seraient surreprésentés dans ce programme.
Dans le même temps, les jeunes Hongrois sont de plus en plus nombreux à émigrer pour aller étudier ou travailler à l’Ouest, notamment en Autriche, Allemagne et Grande-Bretagne. Certains médias évoquent ainsi le chiffre de 300.000, voire de 400.000. Pour autant, il faut croire que ces éléments ne gênent pas Viktor Orban et le Fidesz. Les sondages les donnent largement gagnants aux élections d’avril. Le paradoxe Orban, encore et toujours.
Plébiscite pour Viktor Orban lors de la fête nationale hongroise
Euronews, 23-10-2013
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.