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Juncker : un Sisyphe européen ?

Il est venu chercher le soutien de sa famille politique au Parlement européen. Entre colère et amertume, Jean-Claude Juncker a rappelé, que l'accord avec Tsipras était presque finalisé, avant l'annonce du référendum. Pendant cinq mois, Juncker aura tenté de soulever le rocher.
Article rédigé par Pascal Verdeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Jean-Claude Juncker et Alexis Tsipras.

Il aura essayé jusqu’au bout, en vieux gladiateur de l’arène européenne : quinze heures de négociations non stop, la semaine dernière, avec un interlocuteur coriace et habile, de multiples coups de fil sur le mode «je t’aime, moi non plus» et un aveu le 1er juillet, devant les eurodéputés de sa famille politique (PPE) : «J’ai décidé d’interrompre tout contact avec Tsipras, avant le référendum.» Une réunion à huis clos, entre amertume et colère, ressentiment et violence. Vous avez bien fait de refuser «l’inacceptable de la part de ce gouvernement de fous et d’irresponsables», lance un député français. Plus modéré, comme d’habitude, le président de la Commission, évoque sa tristesse, dénonce un «splendide isolement», qui va à l’encontre de «cette gestion solidaire et collective» de l’euro. Pourtant, il a du mal à cacher son désarroi : «Toute cette énergie, tout ce temps passé pour aboutir à ce désastre.» Car, ajoute-t-il, nous étions tout proche, il ne restait plus qu’à nous entendre sur soixante millions d’euros. Au passage pourtant, Juncker rappelle un fait essentiel : Tsipras a toujours cherché un accord au plus haut niveau politique, notamment pour obtenir un engagement sur une nouvelle restructuration de sa dette.
 
Au-delà des outrances grecques, des erreurs partagées entre créanciers et Athènes, existe-t-il un pilote politique dans ce marathon ? Merkel la tortue, coincée entre une opinion hostile et un ministre des Finances, qui freine des quatre fers ? Hollande, l’honnête courtier, soucieux d’abord de rassurer son opinion et qui va, répétant, comme chez Molière, ce leitmotiv : «Il faut un accord, tout de suite»

Dans le club européen, Tsipras, lui, va bousculer les vieilles règles du consensus mou, des petites tapes sur l’épaule et autres caresses sur la joue du petit dernier. Il arrive dans la famille avec un surmoi collectif complexe : nouvelle légitimité orientée vers la rupture et la méfiance vis-à-vis du système, poids des promesses européennes non tenues (depuis 2012, on doit reparler de la dette plus tard), symbolique aussi de quelques actes manqués : un référendum voulu en 2011 par l’un de ses prédécesseurs, Georges Papandréou, pris en étau, puis sèchement rabroué par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy…
 
Certes, il y a de l’idéologie chez Tsipras, du théâtre, du bruit et de la fureur, mais il y a aussi du politique, ce drôle de carburant, qui a déserté la scène européenne depuis longtemps. Les sommets européens tournent à vide et publient des conclusions aussitôt oubliées par leurs signataires. De son côté, Juncker a l’ambition de diriger «une commission politique», mais quel que soit son volontarisme, face à Tsipras, il apparaît comme le chef du grand machin bureaucratique.

Au départ d’ailleurs, l’ex-Premier ministre luxembourgeois souhaitait occuper le fauteuil de président du Conseil européen. Aujourd’hui, dans la cacophonie ambiante, il prend le risque d’appeler les Grecs à voter oui. Une victoire du non serait une gifle terrible, sauf à dire que Sisyphe est resté sur le flanc de la montagne : il a sonné la charge du oui, mais il n’est pas vraiment parti en campagne. En coulisses, certains dirigeants européens saluent son audace et le regardent porter son rocher…
 
Il faut bien imaginer Sisyphe heureux, disait Camus.

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