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Kosovo : à Mitrovica, les dix ans de l'indépendance sans passion mais sous tension entre Serbes et Albanais

Le Kosovo, petit État des Balkans, fête ses 10 ans samedi. 80 pays ne reconnaissent pas son indépendance. Les festivités s’annoncent tendues, à Mitrovica, ville en majorité albanaise et en partie serbe.

Article rédigé par franceinfo - Lila Lefebvre
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le sud de Mitrovica, au Kosovo, en février 2018. (LILA LEFEBVRE / FLORIE CASTAINGTS / RADIO FRANCE)

Quelques drapeaux jaune et bleu flottent sur l’avenue principale de Mitrovica, petite ville de 100 000 habitants au nord du Kosovo. En face de la mairie trône une sculpture, #Kosova10, devant laquelle des passants se prennent en photo, mais sans plus. On est bien loin du concert géant et des festivités qui durent depuis samedi 10 février dans la capitale, Pristina. À Mitrovica, on ne se sent pas vraiment Kosovar.

Les tensions sont toujours vives entre la minorité serbe représentant environ 30 000 membres, vivant au nord de la ville, et les Albanais, majoritaires, habitants au sud. Les deux communautés ne se côtoient pas. Les Serbes ne reconnaissent pas l'indépendance du Kosovo qui est célébrée dans la plus grande sobriété. "Je suis fier du Kosovo, mais je me sens Albanais, affirme Sokol, Albanais de 19 ans, habitant le sud de la ville. Je vis au Kosovo, je viens du Kosovo, mais ici, tous les gens sont des Albanais, ils se sentent Albanais, vous comprenez."

Comme beaucoup d'Albanais de Mitrovica, Sokol ne traverse jamais le pont principal qui le sépare de la partie serbe. D’ailleurs, ce pont, entièrement reconstruit par l'Union européenne, après la guerre du Kosovo entre séparatistes albanais et forces serbes (1998-1999), reste fermé à la circulation. Des plots de bétons en barrent l’accès. Des militaires de la force de l’OTAN, la KFOR, sont postés nuit et jour pour le surveiller. Une tension que ressent bien Zana. Cette Albanaise travaille dans une ONG située en partie serbe, elle traverse le pont à pied tous les jours.

Je ne dis pas que c’est la guerre tous les jours ici, mais il y a un conflit silencieux et froid qui est toujours présent. Je crois que c’est le lieu le plus dangereux

Zana, Albanaise de Mitrovica

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Une ambiance glaciale se dégage de la ville selon Zana. "Il faut décrire Mitrovica sous son vrai visage. C’est froid, ce n’est pas accueillant. Alors non, on ne s’entretue pas tous les jours. En réalité le quotidien, c’est le quotidien comme partout dans le monde".

Dans la partie albanaise, on n'en fait pas trop sur les célébrations de l’anniversaire de l’indépendance. "On a installé des drapeaux kosovars, c’était plus logique pour les 10 ans, que de mettre le drapeau albanais, explique le maire de Mitrovica, Agim Bahtiri. C’est pour ça qu’on a limité le nombre de drapeaux albanais. Et on a décidé de concentrer les festivités dans certains quartiers, pour ne pas attiser les tensions et éviter tout incident". D'ailleurs, il n'a pas envoyé de renforts aux 154 policiers de la ville.

Crispations ethniques, vols et corruption

Dans le nord de Mitrovica, l’ambiance se refroidit encore. Ici, pas question du tout de célébrations. Aucun drapeau kosovar, mais des drapeaux serbes. Les plaques des rues sont en alphabet cyrillique. Une situation tout à fait normale pour Emir Papic, jeune Serbe de 19 ans.

On ne va pas célébrer l’indépendance ici, simplement parce qu’on est au nord de Mitrovica. Pourquoi faire la fête pour cet événement alors que nous sommes Serbes ?

Emir Papic, Serbe de Mitrovica

franceinfo

Quand on lui demande, ce qu’il pense de l’indépendance du Kosovo, Emir répond, gêné : "Ce n’est pas à moi de répondre, ce n’est pas mon affaire".  La question divise au sein même de l'Union européenne. Cinq pays, dont la Grèce et l’Espagne, ne considèrent pas le Kosovo comme un Etat. Cette partie nord de Mitrovica échappe encore à l’Etat kosovar. On y paye en dinar, comme en Serbie. Elle a sa propre administration, et les liens avec la Serbie, sont encore très forts. Par exemple, une partie des retraites sont directement versées par l’Etat serbe. Mais elle regroupe aussi différentes ethnies, qui sont les premières victimes de ces luttes d’influence.

Allem, 24 ans, est moitié Turc, moitié Bosnien. Pourtant, dans le sud de la ville, on le considère comme Serbe, et dans le nord, comme Albanais. Son surnom est le Gipsy, le gitan. Pour lui, ces crispations ethniques empêchent la région d’avancer. Il nous emmène au pied du fort de Svecan, dans les hauteurs de Mitrovica, devant les ruines d’un stade abandonné où les travaux n’ont jamais été terminés, faute d’argent. 

J’ai l’impression que l’on s’acharne sur des bêtises, alors que nous aurions besoin des autorités pour construire tout ça. Regardez, quelle honte !

Allem, habitant de Mitrovica

franceinfo

Allem laisse éclater sa colère. "On a investi des millions pour construire ce stade. Des millions ! C’est sûr, certains ont pris l’argent. Ils n’ont rien construit. C’est le miroir du Kosovo. Il y a des quartiers qui sont rénovés, où l’administration fonctionne, et il y a cette partie, où ils ont commencé le travail et l’ont abandonné à moitié fait. Et ce, à cause de la corruption, du vol, ou encore du népotisme."

Un discours souvent répété par l’Union européenne pour repousser encore l’intégration du Kosovo. Aujourd’hui, il est le seul pays d’Europe où les citoyens doivent demander des visas pour se rendre dans l’espace Schengen.

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