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L'UE et la France: à Bruxelles, on n'élabore pas que des normes!

A terme, 80 % du droit national français devrait être élaboré à Bruxelles. Actuellement, l’influence des institutions européennes dans l’Hexagone, à travers ses directives et autres règlements, est parfois ressentie comme une menace. Mais qu’en est-il exactement ? Et si au fond, l’UE avait une action largement positive ? Les explications de Charlotte Halpern, chercheuse à Sciences Po Paris.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Drapeaux européens claquant au vent devant le siège de la Commission de l'UE à Bruxelles le 6 décembre 2013. (AFP - Georges Gobet)
Quelle influence réelle exerce Bruxelles sur les politiques françaises ? Et comment s’exerce-t-elle ?
Dans le débat politique et médiatique sur l’UE en France, cette influence est souvent présentée, ressentie comme une contrainte en raison des multiples normes et des règles venues de Bruxelles. Pour autant, loin d’être une autorité déconnectée des Etats membres, l’Europe produit des textes collectivement acceptés par les pays de l’UE. Des textes qui contribuent à organiser la vie économique et sociale de chacun des pays.

Parfois, évidemment, pour certains Etats, ces contraintes sont réelles quand ils n’ont pas suffisamment réussi à imprimer leurs marques sur un texte. Elles peuvent être même totalement étrangères à leur droit et à leurs cultures nationales.

Il faut dire qu’on entre là dans le fonctionnement complexe des institutions européennes et de leur système décisionnel: l’adoption d’un texte est souvent issue d’une décision à la majorité des Etats membres, réunis en Conseil des ministres, et d’un vote du Parlement européen. Pour qu’un pays fasse adopter une législation qui lui soit un tant soit peu favorable, il doit construire une majorité à Bruxelles pendant la phase de préparation du texte. Rien d’étonnant alors que ceux qui en sont exclus ressentent comme une contrainte le compromis auquel on est arrivé lors des négociations.

Dans ce contexte, il y a des domaines pour lesquels on voit des gouvernements, relais de leurs acteurs publics et privés, de leurs sociétés civiles, se mobiliser plus que d’autres dans l’élaboration d’une réglementation européenne. Cela a longtemps été le cas de la France pour l’agriculture et la pêche, secteurs de premier plan pour l’économie nationale. Pour l’environnement, qui tient une place importante en Europe du Nord, on verra plus facilement agir l’Allemagne ou les pays scandinaves. Exemple : quand il s’est agi de prendre des mesures contre la pollution atmosphérique, Berlin a su très adroitement profiter du marché unique pour promouvoir le pot catalytique. Et, au-delà, renforcer la compétitivité des produits allemands à l’échelle internationale.

La chancelière allemande, Angela Merkel, et le président, François Hollande, à Bruxelles le 2 avril 2014.  (Reuters - François Lenoir)

Les contraintes subies sont particulièrement fortes quand un pays doit adopter une nouvelle réglementation à laquelle il n’était pas du tout préparé. Une adoption d’autant plus difficile quand elle se fait à un rythme très rapide. Cela a, par exemple, été le cas pour le recyclage des déchets pour des Etats comme la Grande-Bretagne ou l’Espagne. Là, les directives européennes ont bouleversé la vie des habitants et des entreprises du secteur. Il en a été de même quand la France a été contrainte de réduire les émissions de dioxyde de souffre liées aux incinérateurs, mode de gestion des ordures très fréquemment utilisé dans l’Hexagone.

Pour autant, il faut insister sur le fait qu’au final, le processus européen a des effets très bénéfiques sur différents aspects de la vie quotidienne. En France, il a ainsi permis d’accélérer la sécurité des ascenseurs, l’étiquetage des denrées alimentaires et les normes de qualité pour les jouets.
 
Mais le processus demande parfois des efforts financiers et politiques considérables, comme l’a montré par exemple le Grenelle de l’environnement en 2007. Un dispositif qui n’en a pas moins contribué à faire rattraper le retard accumulé par notre pays dans la mise en œuvre de nombreux textes bruxellois.
 
Le Grenelle a ainsi notamment fixé des objectifs chiffrés pour la valorisation des déchets du bâtiment: en l’occurrence, 70% de ces déchets devraient être transformés pour fournir de nouveaux matériaux à l’horizon 2020, comme le prévoit la réglementation européenne. Ainsi a pu se mettre en place, sur une période très courte de quatre-cinq ans, une filière pour parvenir à cet objectif. Cette nouvelle filière fait émerger de nouvelles normes, de nouvelles activités, de nouveaux marchés pour valoriser les 254 millions de tonnes de déchets produits chaque année. L’action de Bruxelles a donc été un formidable vecteur de changement.

En matière de mobilité et de transport, la recherche et l’innovation, financées par des projets européens, ont permis de faire émerger des éléments très concrets comme de nouveaux systèmes d’information pour les voyageurs, des supports uniques pour tous les transports telles les cartes Oùra! en Rhône-Alpes et Pass Pass dans le Nord-Pas- de-Calais. Dans le même temps, les aménagements réglementaires ont assoupli l’accès à l’espace aérien français et contribué à l’émergence des compagnies aériennes low cost. Ce qui a entraîné un boom de l’industrie du transport et du tourisme. A un autre niveau, le système Erasmus a permis à des générations entières d’étudiants européens d’étudier et de séjourner dans d’autres pays de l’Union.

Devant un bâtiment de Cambridge, l'une des plus prestigieuses universités britanniques (17-9-2011) (AFP - Eurasia Press - Photononstop)
 
J’évoquerai par ailleurs un domaine dont on parle peu : en l’occurrence la réforme du Code des marchés publics, très fortement influencé par l’UE. Dans ce cas précis, on se limite souvent à dire que ces textes ont imposé davantage de normes. Et on oublie au passage qu’ils ont aussi contribué à introduire beaucoup plus de transparence dans les relations entre acteurs publics et acteurs économiques à tous les échelons.
 
Pourtant, on ne peut pas nier que Bruxelles est très prolixe en matière de normes et de règles…
Oui, parfois trop comme le rappellent régulièrement les institutions européennes ! Une grande partie de ces textes renforcent la réglementation existante avec des règles très spécialisées, très techniques. Prenons l’exemple de la rénovation urbaine où l’action de l’Europe a notamment permis l’émergence de nouvelles normes de construction, d’isolation phonique et thermique. Autant d’éléments qui, là encore, ont eu des effets très bénéfiques sur la vie quotidienne. Alors évidemment, tout cela est très technique. Donc très compliqué à expliquer et surtout, peu enthousiasmant!

C’est précisément cette image de l’Europe que retient souvent le grand public ! L’Union n’est-elle pas victime de sa propre complexité ?
C’est vrai qu’en raison de cette complexité, de ce trop plein de règles et de normes, l’UE a tendance à devenir un bouc émissaire pour ce qui ne fonctionne pas dans notre pays ! D’autant qu’en France, l’échelon européen est venu se greffer sur un système lui-même complexe, avec de nombreux autres échelons de pouvoir liés au «mille-feuilles territorial». Dans ce contexte, on a du mal à cerner les responsabilités de chacun. Il est donc facile de rejeter sur les autres les problèmes rencontrés pour ne pas avoir à évoquer ses propres turpitudes.

Les institutions bruxelloises ont leur part de responsabilité dans cette affaire: elles insistent davantage sur les règles et les processus complexes, et ne mettent pas assez en valeur les contenus et les résultats concrets. Ceci s’explique aussi par les grands équilibres budgétaires à 28 Etats membres : avec un budget qui équivaut toujours à 1% de son PIB, l’UE se concentre de plus en plus sur les règles et les normes, tandis que les Etats conservent le soin d’en concrétiser le contenu et de choisir comment en financer la mise en œuvre.

Mais quoi qu’il arrive, il y a sans doute un gros travail pédagogique à mener sur les effets positifs de la politique de l’UE. Evidemment, il y a déjà des tentatives en ce sens. A Valenciennes (Nord), de grands panneaux d’affichage font ainsi savoir sur place que l’Europe a participé à hauteur de 30% au financement de la construction du tramway local. Et à Echirolles (Isère), ces affiches expliquent que l’Union a contribué à proposer de nouvelles solutions de rénovation durable des logements sociaux. Mais cela ne veut pas dire que les citoyens prêteront attention à ces informations. D’autant que la superposition des financements rend l’action de l’UE inaudible.

Le tramway à Valenciennes (8-3-2009) (AFP - Govin-Sorel - Photononstop)
 
De plus, les élus ont parfois tendance à oublier dans leur bilan le rôle important des subventions européennes, comme cela a encore pu être vérifié pendant la campagne pour les élections municipales. Et ce, alors même qu’ils se sont battus bec et ongles pour obtenir ces financements.

Je le répète : il y a un gros effort d’explication à fournir sur le fonctionnement complexe des institutions de Bruxelles, les différentes possibilités de participer à la conception des politiques européennes et à leurs effets concrets pour les citoyens. Il s’agit là d’un défi considérable lancé aux responsables à tous les niveaux, aux élus, aux médias, aux enseignants… Un défi d’autant plus considérable que l’accent mis sur la profusion de normes et de règles conduit souvent à tomber dans des histoires de tuyauterie.
 
Ces histoires de tuyauterie, comme vous dites, ne finissent-elles pas par faire oublier les grands objectifs de l’UE ?
Les nouveaux membres de l’UE, notamment ceux des pays d’Europe de l’Est, savent que l’Union porte un projet de paix. L’Histoire récente, avec l’épisode de deux guerres mondiales et du Rideau de fer, mais aussi l’actualité en Ukraine leur rappellent quotidiennement le sens de leur adhésion à l’UE.

Mais dans un pays comme la France, qui est l’un des premiers Etats membres, on a peut-être perdu de vue les objectifs qui ont mené à la mise en place de la CECA et du Marché commun il y a une soixantaine d’années. Il faut donc donner un nouveau souffle à ces objectifs en les adaptant aux réalités des jeunes générations, pour les mobiliser et les associer à ce processus. Peut-être faut-il insister sur l’importance du travail collectif des 28 pays de l’UE. Un travail qui permet, grâce à l’intégration régionale et à partir du moment où ces pays arrivent à parler d’une seule voix, d’être plus fort dans un processus de mondialisation.

Charlotte Halpern est chercheuse au Centre d'études européennes de Sciences Po.

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