Projet de mariage, naturalisation, déménagement... Au Royaume-Uni, le Brexit s'est invité dans la vie des couples binationaux
De quels droits bénéficieront les expatriés européens une fois le Brexit entré en vigueur ? Des couples binationaux, qui ont construit leur vie à deux outre-Manche, font part de leurs inquiétudes à franceinfo.
"Ma femme a dû se déraciner de ses proches et de sa culture pour sauvegarder notre famille." Le 30 mars 2017, au lendemain du déclenchement officiel du Brexit, Bruno Pollet a quitté le pays de Galles pour la Norvège avec Emma, son épouse écossaise, et leur fils de 3 ans. Un départ motivé par le refus du ministère de l'Intérieur britannique d'accorder à Bruno, Français, une carte de séjour, qui lui aurait permis de rester sur le territoire après la sortie du pays de l'Union européenne (UE). Un comble pour cet ingénieur de 49 ans, dont vingt-trois passés outre-Manche.
Comme Emma et Bruno, les couples binationaux qui vivent au Royaume-Uni sont nombreux à s'inquiéter du Brexit. Et le sujet n'est pas anecdotique : 3% des couples de plus de 18 ans y résidant sont composés d'un Britannique et d'un Européen non-britannique, notent (en anglais) des chercheurs de l'université de Southampton. Au total, deux millions de personnes sont donc concernées. Mercredi 14 novembre, le gouvernement britannique a donné son aval au projet d'accord conclu entre les négociateurs européens et britanniques, a annoncé Theresa May, à l'issue d'une réunion marathon de son cabinet.
La crainte de devoir quitter le pays après 2020
Que craignent ces couples ? Principalement que celui des deux partenaires qui ne dispose pas de la nationalité britannique doive quitter le territoire à la fin de la période de transition, le 31 décembre 2020. Jusque-là, la liberté de circulation garantie par les traités de l'Union permet à tout Européen de s'installer librement dans n'importe quel pays de l'UE, y compris au Royaume-Uni. Mais pour rester dans le pays après 2020, le projet d'accord encadrant le Brexit prévoit (en anglais) que les expatriés détiennent le settled status. Afin de décrocher ce sésame, créé pour l'occasion, ils devront avoir résidé cinq ans sans interruption sur le territoire, présenter un casier judiciaire vierge et être en mesure de subvenir à leurs besoins financiers.
Ces conditions, finalisées en mars et que la majorité des couples interrogés par franceinfo ignoraient, sont en outre suspendues à l'existence et à l'évolution du "deal" entre les deux parties, encore en cours de négociation. "Nous n'avons pour l'instant aucune garantie que ce brouillon d'accord sera celui appliqué", résume Nicolas Hatton, Français installé au Royaume-Uni et fondateur de l'association The3Million, qui défend les droits des expatriés européens outre-Manche. Sa principale crainte : que le droit britannique régissant actuellement l'immigration extra-européenne, très strict, s'applique à tous les immigrés.
Le déménagement, sujet à discussion
En attendant d'y voir plus clair, le Brexit grignote la vie des couples binationaux installés au royaume d'Elizabeth II. Après le référendum, Monique Hawkins, consultante informatique néerlandaise, se souvient d'avoir eu au moins "une à deux discussions par semaine" avec son époux Robert, un Britannique de 52 ans, lors desquelles ils envisageaient "de déménager". Florina Tudose, une Roumaine de 32 ans, pense elle aussi à sauter le pas, mais craint de "ne plus pouvoir déménager dans l'Union européenne" avec son compagnon britannique, une fois qu'il sera privé de libre circulation.
C'est vraiment frustrant et stressant de ne pas savoir ce qui va nous arriver.
Florina Tudose, une Roumaine en couple avec un Britanniqueà franceinfo
"On parle du Brexit, le fait est que c’est une inquiétude, on ne sait pas ce qui va se passer", confirme aussi à franceinfo Gaëlle, une Française de 26 ans qui a eu le "coup de foudre" en 2017 pour Rob, un Britannique de 38 ans, alors qu'elle travaillait comme jeune fille au pair à Londres. Si Gaëlle devait être expulsée après le Brexit, les deux tourtereaux ont déjà décidé qu'ils se marieraient, dans l'espoir que cela permette à Gaëlle de rester.
Ils ne sont pas les seuls à envisager cette solution : entre les jours précédant le Brexit et le lendemain du vote, la recherche Google "se marier+citoyenneté" a été multipliée par quatre au Royaume-Uni. Le mariage est pourtant loin d'être une condition suffisante pour obtenir la nationalité britannique.
Les demandes de naturalisation ont doublé
Pour conjurer leurs angoisses, de nombreux couples ont pris les choses en main. Quelque 30 000 citoyens européens ont ainsi demandé la nationalité britannique entre juin 2016 et juin 2017, le double de l'année précédente, relate The Guardian (article en anglais). D'autres, comme Bruno Pollet ou Monique Hawkins, ont d'abord demandé une carte de séjour, indispensable à la naturalisation. Mais à la fin 2016, plus d'un quart de ces demandes n'avaient pas abouti, relevait (en anglais) le Parti libéral britannique.
Parmi les expatriés européens interrogés par franceinfo, trois ont ainsi vu leur demande rejetée pour des raisons techniques. La carte de séjour de Monique Hawkins lui a ainsi été refusée en 2016 pour avoir joint à son dossier une photocopie de son passeport, et non l'original dont elle avait besoin pour visiter sa famille aux Pays-Bas, après le décès de son père. Peu sensible aux excuses, le ministère de l'Intérieur lui a alors demandé de quitter le territoire britannique, quand bien même la mère de famille avait, en tant que citoyenne européenne, le droit d'y rester jusqu'à l'entrée en vigueur du Brexit. Son cas, médiatisé par le quotidien britannique The Guardian, s'est finalement résolu quelques semaines plus tard, lorsque sa seconde demande a débouché. En mai, Monique est même devenue britannique à part entière.
Bruno Pollet a lui décidé de quitter le Royaume-Uni après que sa demande a été refusée – il avait quitté le territoire entre 2012 et 2015 pour travailler en Afrique du Sud, et n'avait donc pas vécu continuellement dans le pays. Le père de famille a estimé qu'il s'agissait d'une preuve supplémentaire qu'en tant qu'Européen, il n'était plus le bienvenu dans son pays d'adoption : il a choisi d'émigrer en Norvège, où il a reçu une offre de travail.
Quand je parlais français à mon fils, on me traitait de 'sale grenouille', on me disait 'rentre dans ton pays'.
Bruno Pollet, Français qui a vécu vingt-trois ans au Royaume-Unià franceinfo
Entre les insultes et les discriminations dont ils font l'objet, il existe un "environnement hostile" pour les citoyens européens depuis le Brexit, estime Bruno Pollet. Le Français regrette que les procédures de régularisation "soient très longues, très pénibles et très coûteuses".
Des démarches (bientôt) plus simples
Depuis quelques mois, le gouvernement britannique cherche à rassurer les expatriés européens. Fini le dossier de 85 pages nécessaire à la demande de carte de séjour. Un site internet ouvrira "d'ici à mars 2019" et devrait permettre aux Européens d'effectuer leur demande de settled status en ligne. Les concernés ne devront répondre qu'à "six à huit questions", rapporte Naomi Hanrahan-Soar, avocate spécialiste du droit de l'immigration au cabinet Lewis Silkin LLP, à Londres, pour une durée totale de "huit à vingt minutes".
S'il salue cette simplification des démarches administrative, Nicolas Hatton, de The3Million, ne baisse pas pour autant la garde. "Les preuves nécessaires pour montrer qu’on est là depuis cinq ans ne sont pas nécessairement disponibles", note-t-il. Pour attester de leur durée de séjour sur le territoire, le gouvernement a annoncé qu'il se baserait sur les déclarations d'impôts ou l'appartenance à la Sécurité sociale des Européens vivant au Royaume-Uni. "Mais les jeunes ne paient pas d'impôts, et sont souvent sur la Sécurité sociale de leurs parents", remarque Nicolas Hatton.
Les plus vulnérables – personnes âgées, celles disposant de peu de ressources, travaillant "au noir", n'ayant pas accès à un ordinateur ou ne comprenant pas assez bien l'anglais – risquent aussi de se retrouver exclues de la procédure du settled status, notent (en anglais) les experts en migration de l’université d’Oxford. Sans compter que "l'administration britannique n'est pas réputée pour fonctionner de manière parfaite", ironise l'associatif, qui prophétise des bugs. Un scénario plausible, selon l'avocate Naomi Hanrahan-Soar, qui conseille aux expatriés de "s'enregistrer dès que possible".
Depuis la Norvège, Bruno observe de loin le remue-ménage causé par le Brexit et tente de s'adapter à cette vie qu'il n'a pas complètement choisie. Ici, sa femme Emma n'a pu retrouver son emploi de cadre administratif et est désormais "mère au foyer". Passé le "choc" du départ, le Français promet qu'il va "mieux". "Ma vie au Royaume-Uni, c'était comme une histoire d’amour, lance-t-il, résigné. Ça se finit forcément un jour."
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