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"Il est aujourd'hui entre la vie et la mort" : qui est Oleg Sentsov, le cinéaste en grève de la faim qui s'oppose à Vladimir Poutine ?

Vendredi, Emmanuel Macron a fait "plusieurs propositions" à son homologue russe pour lui demander d'intervenir en faveur de cet Ukrainien emprisonné depuis 2015 pour "terrorisme". 

Article rédigé par franceinfo - Juliette Campion
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le cinéaste Oleg Sentsov lors de son procès au tribunal de Rostov-on-Don en Russie, le 21 juillet 2015.  (SERGEI VENYAVSKY / AFP)

Sa détermination est sans limites. Mais après 89 jours de grève de la faim, le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov est dans un état critique. "Il est prêt à mourir", a confié son avocat vendredi 10 août, dans un entretien au site Meduza. "Il ne peut presque plus se lever. Il dit que la fin est proche", écrivait mercredi sa cousine, Natalia Kaplan, sur Facebook. Condamné à vingt ans de prison pour "terrorisme", après un procès qualifié de "parodie de justice" par Amnesty International, l'homme de 42 ans est détenu depuis août 2015 dans une colonie pénitentiaire du nord de la Sibérie (Russie). 

Face à la dégradation de son état de santé, la porte-parole de la diplomatie ukrainienne, Mariana Betsa, a appelé les Occidentaux à "renforcer la pression sur la Russie en faveur de [sa] libération". La vie d'Oleg Sentsov est suspendue à la décision du président russe, Vladimir Poutine, qui semble vouloir faire de son cas un exemple politique. Franceinfo dresse le portrait de ce militant fermement opposé à l'annexion de la Crimée par la Russie, prêt à mourir pour ses convictions. 

Un premier long-métrage prometteur 

Le réalisateur, producteur et scénariste ukrainien est surtout connu pour son premier film, Gamer, sorti en 2011. Très apprécié par la critique, ce film, réalisé avec un petit budget, présente des "penchants autobiographiques", relève France Culture. Il raconte la vie d'un adolescent ukrainien plus passionné par les jeux vidéo que par l'école. "Élevé dans une famille russophone modeste, en adoration pour les chiens, et particulièrement les bergers allemands, Oleg Sentsov était lui-même passionné de cybersport dans sa jeunesse", détaille France Culture. 

Le succès de Gamer, récompensé en 2012 au festival du film de Rotterdam (Pays-Bas), lui permet de trouver les fonds pour réaliser un second long-métrage, Rhino. Subventionné en grande partie par l'État ukrainien, Oleg Sentsov tourne les premières scènes en juillet 2013. Mais, moins d'un an plus tard, tout vacille.

Incarcéré après un procès "stalinien" 

Le 18 mars 2014, le Kremlin proclame le rattachement de la Crimée à la Russie. Le 11 mai, le cinéaste et militant pro-européen, farouchement opposé à l'annexion de la péninsule, est arrêté chez lui. Il est accusé, avec un jeune militant antifasciste, Alexandre Koltchenko, d'avoir envoyé deux cocktails Molotov contre les locaux d’une organisation criméenne prorusse.

Dans le documentaire The Trial (2017) consacré au procès du cinéaste, celui-ci déclare, debout dans sa cellule : "Je considère être au centre d'une machination politique car mon procès est basé sur le témoignage de deux suspects obtenu par la torture." Après son arrestation, Oleg Sentsov avait été torturé pendant trois semaines par le FSB, les services secrets russes. 

Je ne vois pas l’intérêt d’avoir des principes si on n’est pas prêt à souffrir, voire à mourir pour eux.

Oleg Sentsov

dans le documentaire "The Trial"

A l'issue du procès, qualifié par Amnesty International de "stalinien", les deux hommes sont condamnés pour "terrorisme" et "trafic d'armes", le 25 août 2015, par un tribunal militaire de Moscou. Alexandre Koltchenko écope de dix ans de prison, Oleg Sentsov de vingt ans. Depuis, ce père de deux enfants purge sa peine dans une colonie pénitentiaire située à près de 2 000 kilomètres au nord de Moscou.  

Il demande la libération de 70 détenus politiques 

Depuis le 14 mai, Oleg Sentsov a totalement cessé de manger. Tout juste a-t-il accepté "des injections de glucoses, d’amino-acides et de vitamines" pour ne pas être nourri par sonde, explique son avocat Dmitri Dinze au Monde. L'homme de 1,90 m a perdu 30 kilos et souffre de problèmes au cœur et aux reins. "Il est aujourd'hui entre la vie et la mort, poursuit l'avocat. La situation a dramatiquement évolué ces deux dernières semaines."

Le cinéaste réclame sa libération et celle de 70 autres prisonniers politiques ukrainiens enfermés dans les geôles russes. "Si on le libère seulement lui, il considérera cela comme un échec", affirme Dmitri Dinze dans le quotidien

Hormis son avocat, qui a pu le rencontrer pour la cinquième fois mardi 7 août, presque personne n'est autorisé à le voir. Deux jours plus tard, un communiqué de la déléguée russe aux droits de l'homme indiquait que son état de santé "ne [pouvait] en aucun cas être qualifié de critique". 

Vladimir Poutine reste inflexible

Le président russe s'est jusqu'ici montré inflexible sur le sort du prisonnier. Pendant plusieurs mois, il était question de l’échanger contre le journaliste ukraino-russe Kyrylo Vychynski, inculpé de "haute trahison" par la justice ukrainienne. Mais Vladimir Poutine a finalement décliné cette possibilité en juin. "Notre journaliste a été arrêté pour son activité professionnelle (…) Monsieur Sentsov, lui, a été arrêté en Crimée non pas pour ses activités de journaliste, mais pour préparation d’un attentat", a-t-il martelé.

De son côté, le cinéaste refuse de demander une grâce à Vladimir Poutine, seule possibilité pour que celle-ci puisse lui être accordée. Le secrétaire général du Conseil de l’Europe, Thorbjorn Jagland, l'a donc requise à sa place, à la fin du mois de juin. 

Les gouvernements occidentaux, emmenés par la France, continuent à faire pression sur le Kremlin. Lors de sa rencontre avec Vladimir Poutine à Saint-Pétersbourg, en mai, Emmanuel Macron lui a adressé un courrier pour "lui faire part de sa vive préoccupation sur l'état de santé du cinéaste et lui demander de réagir rapidement". Il a de nouveau abordé le sujet lors de sa visite au Kremlin, le 15 juillet. Vendredi 10 août, le président français a demandé à son homologue qu'Oleg Sentsov puisse recevoir l'appel d'un proche, qu'il ait accès à du personnel de la Croix-Rouge et que le Kremlin publie un bilan de santé. Sur ce dernier point, Vladimir Poutine s'est engagé à diffuser "rapidement" des éléments sur l'état du prisonnier.

De Stephen King à George Clooney, un soutien international 

L'état de santé de l'Ukrainien préoccupe aussi de nombreuses personnalités. A l'approche du Mondial en Russie, une cinquantaine d'entre elles, dont les écrivains Salman Rushdie, Paul Auster et Margaret Atwood, ont ainsi signé une lettre ouverte à l'attention de Vladimir Poutine et de Gianni Infantino, le président de la Fédération internationale de football. 

Le romancier Stephen King a lui aussi profité de la Coupe du monde pour manifester son soutien au cinéaste dans un tweet : "Aujourd'hui est le jour 1 de la @FIFAWorldCup et le jour 32 de la grève de la faim d'Oleg Sentsov. Joignez-vous à moi et à @penamerican pour demander la libération de ce cinéaste ukrainien injustement emprisonné en Russie", a-t-il posté. 

Une pétition diffusée sur le site de la Société des réalisateurs de films a réuni près d'une centaine de signatures françaises et étrangères, dont celles de l'acteur George Clooney, du réalisateur québécois Denis Villeneuve ou du cinéaste russe Andreï Zviaguintsev. Fin juillet, la Cour européenne des droits de l'homme a également demandé à la Russie d'administrer "des soins appropriés" à Oleg Sentsov.

En Russie, ceux qui ont osé manifester leur soutien au cinéaste ont été sanctionnés. D'après Le Monde, deux acteurs ont été condamnés à verser "20 000 roubles d'amende (environ 275 euros) pour avoir 'distribué des tracts' en faveur du cinéaste". Plusieurs personnes ont été interpellées à Saint-Pétersbourg pour avoir tenté de sensibiliser les spectateurs du Mondial à la situation d'Oleg Sentsov. 

Comme l'écrit le philosophe français Michel Eltchaninoff, président de l'association Les Nouveaux Dissidents, à travers laquelle des intellectuels se sont mobilisés, "aujourd’hui, le véritable homme fort – au sens propre du terme – de la Russie, ce n’est plus Vladimir Poutine, mais un Ukrainien russophone et incroyablement têtu, nommé Sentsov".

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