Guerre en Ukraine : comment la Russie pousse les Européens au bras de fer en exigeant un paiement du gaz en roubles
Le Kremlin menace de couper les vannes si les acheteurs de Gazprom règlent en euros ou en dollars. Vladimir Poutine tente un coup de force pour faire remonter le cours de sa monnaie. Mais il s'expose aussi à des sanctions.
Des roubles, plutôt que des euros ou des dollars. Vladimir Poutine veut facturer le gaz russe de Gazprom avec la monnaie de son pays, et non plus avec les devises européenne ou américaine. Le président russe a demandé à la Banque centrale russe et à l'entreprise de lui remettre un rapport sur la question, jeudi 31 mars, avec un double objectif en tête : obliger les sociétés à acheter du rouble sur les marchés internationaux, afin d'en faire remonter le cours, et démontrer sa puissance politique face aux sanctions européennes. "Si vous voulez du gaz, trouvez des roubles", a résumé (en russe) Viatcheslav Volodine, le président de la Douma.
Très concrètement, cette injonction signifie que les pays européens doivent, selon lui, acheter des devises russes auprès de banques épargnées par leurs propres sanctions, qui serviront de banques de change. Certes, "le coût des transactions sera plus élevé", relève Ludovic Subran, chef économiste chez Allianz, mais le message est surtout politique : "Ce coup de force de Vladimir Poutine lui permettrait de démontrer que le rouble est toujours une monnaie convertible." Jamais en panne d'idées, Viatcheslav Volodine voudrait appliquer cette logique à d'autres produits (engrais, céréales, charbon, métaux, bois...). Et le Kremlin n'a pas rejeté ces options.
Une mesure illégale
Pour cela, il faudrait en théorie renégocier les accords commerciaux. "Nos contrats prévoient un paiement du gaz en euros. Il n'y a pas de clause qui permette au vendeur de changer de devise", insistait récemment Jean-Pierre Clamadieu, le président d'Engie, sur franceinfo. "Je comprends que ce groupe soit stressé en ce moment, commente Thierry Bros, spécialiste de l'énergie et professeur à Sciences Po. Les compagnies, dans le cadre de leurs licences, ont l'obligation d'être en capacité de fournir du gaz." Mêmes réactions chez l'Italien Eni ou l'Autrichien OMV. Mais la légalité de cette mesure pourrait toutefois passer au second plan, derrière la volonté de Moscou et le manque d'alternatives.
C'est donc le politique qui a pris le relais. Et les pays du G7 (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) semblent bien décidés à engager un bras de fer. "Tous les ministres sont d'accord pour dire qu'il s'agit d'une violation unilatérale et claire des contrats existants", a déclaré lundi le ministre allemand de l'Economie Robert Habeck. Les compagnies européennes auraient "pu négocier cette demande avec Gazprom, par exemple en demandant un prix divisé par deux", estime Thierry Bros.
Une situation paradoxale
A ce jour, l'UE et le G7 excluent tout embargo sur ce gaz, tant la dépendance de l'Europe est grande. Le paradoxe est aujourd'hui saisissant. Alors que l'économie russe est noyée sous les sanctions depuis le début de la guerre, les importations de son gaz ont connu une hausse durant toute la période, et ce "afin de constituer des stocks", explique Ludovic Subran, économiste chez Allianz, contacté par franceinfo.
"L'Europe paie désormais 750 millions de dollars par jour."
Ludovic Subran, économisteà franceinfo
L'Ukraine accuse donc ses partenaires occidentaux de financer la guerre menée par Vladimir Poutine. Lors d'un discours en visioconférence devant le Parlement norvégien, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a exhorté le pays nordique à produire davantage de gaz naturel, afin de réduire la dépendance européenne à la Russie.
Cette hausse des commandes tient, en partie, aux craintes sur l'approvisionnement futur en gaz et sur des commandes mal ajustées avant la guerre. Mais le phénomène est également conjoncturel, car l'industrie gazière débute traditionnellement son re-stockage au printemps, afin de préparer l'hiver suivant. "Après être descendu à 28%, le niveau de stockage est actuellement en train de remonter, avec un objectif d'atteindre 80%, voire 90%, si possible", complète Thierry Bros.
Un pari risqué pour Moscou
Le temps presse avant de trouver des solutions de repli. "Environ 75% des livraisons de gaz russe sont remplaçables par d'autres approvisionnements plus onéreux", détaille Thierry Bros. Mais finalement, le quart du gaz russe importé ne pourra pas être remplacé, selon les estimations de l'expert, soit 10% de la demande totale européenne. D'ailleurs, la Commission de régulation de l'énergie recommande d'ores et déjà aux Français de faire des économies d'énergie, en prévision de l'hiver prochain.
Le Kremlin, de son côté, a déjà averti que la Russie "ne fournira pas de gaz gratuitement" et que la période n'est pas propice à une quelconque "charité paneuropéenne".
"La Russie doit trouver un moyen pour que les paiements aient bien lieu et que [l'exigence de paiement en roubles] ne devienne pas une excuse pour l'Europe de ne pas payer."
Ludovic Subran, économisteà franceinfo
En refusant d'encaisser les règlements en euros ou en dollars, et en décidant de couper les vannes, elle risquerait également de s'exposer à des poursuites devant le tribunal d'arbitrage de Stockholm, qui tranche les litiges internationaux en matière de commerce. "Les dommages et intérêts peuvent alors se chiffrer en centaines de milliards de dollars", explique Thierry Bros.
Mercredi, le Kremlin a annoncé que cette mesure serait mise en place progressivement, sans réellement fixer de date. Lors d'une conversation avec le chancelier allemand Olaf Scholz, Vladimir Poutine a voulu ménager son interlocuteur et gros client : "Le paiement du gaz russe en roubles ne doit pas détériorer les contrats des clients européens". Selon le compte-rendu du porte-parole allemand, Steffen Hebestreit, le président russe a même assuré son homologue que les paiements de l'Europe le mois prochain "continueraient à être en euros et transférés comme d'habitude sur la Gazprom Bank, qui n'est pas frappée de sanctions".
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