Guerre en Ukraine : dépendance, frontière, capacité militaire... Cinq questions sur le soutien de la Biélorussie à la Russie
Minsk a annoncé le déploiement d'une force militaire commune avec Moscou, sans préciser où ni comment. Le pays réaffirme ainsi son soutien au Kremlin, tout en restant vague sur son engagement.
Bientôt des troupes biélorusses sur le sol ukrainien ? C'est la question qui se pose après les dernières déclarations du président de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko, allié de la Russie. Le chef d'Etat, qui accuse l'Ukraine de préparer une attaque contre son pays, a annoncé lundi le déploiement d'un "groupement russo-biélorusse", sans donner davantage de précisions sur sa nature ou sa localisation. Minsk a précisé mardi 11 octobre que les objectifs de ce groupement étaient "purement défensifs".
Pourtant, la veille, "des tirs de roquettes guidées ont eu lieu (...) depuis le territoire biélorusse vers l'Ukraine", a assuré à l'AFP Pierre Grasser, chercheur français associé au centre Sorbonne, identités, relations internationales et civilisation de l'Europe (Sirice). À quel point la Biélorussie est-elle engagée dans la guerre entre Kiev et Moscou ? Les annonces d'Alexandre Loukachenko marquent-elles un tournant dans le conflit ? Franceinfo décrypte le changement de posture de Minsk.
Que signifient les annonces de Minsk ?
Le déploiement d'un "groupement russo-biélorusse" laisse planer le doute sur la potentielle entrée en guerre de la Biélorussie. "La première interprétation de cette annonce, c'est que l'envoi de militaires biélorusses sur le territoire ukrainien pourrait être facilité à l'avenir", analyse Yauheni Kryzhanouski, chercheur en science politique à l'université de Strasbourg. Une hypothèse toutefois peu probable, selon lui.
"Ce serait mal vu par la population, mais aussi par les cercles militaires. La guerre est très impopulaire du point de vue biélorusse."
Yauheni Kryzhanouski, politologueà franceinfo
La seconde hypothèse autour de l'engagement de Minsk, plus plausible, est d'offrir à Moscou un accès facilité à la partie nord de l'Ukraine, dont sa capitale Kiev, par le territoire biélorusse. "Son but peut être de renforcer la présence de troupes russes en Biélorussie pour pouvoir attaquer plus facilement à Kiev", précise le chercheur. D'ailleurs, au début de la guerre, "l'attaque contre Kiev était partie de la Biélorussie", a rappelé lundi Arnaud Dubien, directeur de l'Observatoire franco-russe, qui s'est exprimé lors d'une conférence organisé par la Chambre de commerce et d'industrie franco-russe.
Avec mes commentaires et analyses sur les développements récents. https://t.co/0GNectRq5s
— Arnaud Dubien (@ArnaudDubien) October 10, 2022
Pourquoi la Biélorussie réaffirme-t-elle son engagement maintenant ?
Après les avancées des forces ukrainiennes au Sud et à l'Est la semaine dernière, Moscou cherche à récupérer la main. Or, l'aide de la Biélorussie peut lui être précieuse pour "renforcer le front nord afin d'affaiblir la contre-offensive ukrainienne" et "organiser une stratégie de vengeance", explique Yauheni Kryzhanouski. Une stratégie d'ailleurs déjà bien visible. Vladimir Poutine a confirmé une campagne "massive" de bombardements de l'Ukraine lancée lundi par les forces russes. Il a également promis des répliques "sévères" en cas de nouvelles attaques ukrainiennes. Kiev a en parallèle accusé la Russie de lancer des drones iraniens depuis la Biélorussie.
En règle générale, Minsk n'a pas tellement d'autre choix que de suivre les volontés du Kremlin. Isolée face à l'Occident, la Biélorussie a pour seul allié Moscou depuis les manifestations de 2020 contre la réélection d'Alexandre Loukachenko à la présidence. Economiquement, le pays dépend également beaucoup de son imposant voisin, qui lui fournit ses matières premières et constitue un gros marché pour revendre les produits transformés.
"La Biélorussie est devenue l'otage de sa dépendance économique à Moscou."
Yauheni Kryzhanouski, politologueà franceinfo
Depuis le début de la guerre, son soutien à la Russie est-il clair ?
Même si l'armée biélorusse n'a jamais participé aux combats depuis le début de la guerre, le pays sert d'aide logistique aux troupes russes. "Le soutien de la Biélorussie à la Russie a toujours été très clair. Moscou utilise ses infrastructures, telles que les hôpitaux ou chemins de fer. La première attaque sur Kiev est d'ailleurs partie de la frontière biélorusse. Minsk facilite l'agression russe", insiste Yauheni Kryzhanouski.
Pour autant, Alexandre Loukachenko essaye de rester discret sur son rôle de facilitateur de guerre, car son régime a été construit sur la stabilité et la paix. "Il n'y a pas de liberté politique en Biélorussie, mais au moins, il y a la paix et une situation économique meilleure qu'en Russie ou en Ukraine. Alexandre Loukachenko ne pourra plus s'appuyer sur ce discours de stabilité si le pays est engagé activement dans la guerre", analyse le politologue.
La Biélorussie est-elle une force importante sur laquelle Moscou peut s'appuyer ?
Sa proximité géographique avec l'Ukraine est précieuse pour la Russie, mais les forces biélorusses ne sont pas considérées à la hauteur par les experts. "L'armée biélorusse n'est pas très performante", souligne Arnaud Dubien, qui table sur à peu près 100 000 soldats et seulement "quelques dizaines de milliers" d'unités combattantes. À titre de comparaison, au tout début du conflit fin février, l'armée russe comptait 900 000 soldats et l'armée ukrainienne presque 200 000. "Ça ne peut pas changer le sens de la guerre, ce ne sont pas les troupes d'élite", ajoute Yauheni Kryzhanouski au sujet des forces biélorusses.
Comment la communauté internationale a-t-elle réagi à ses annonces ?
Les pays du G7, réunis en urgence mardi 11 octobre après les frappes russes menées la veille, notamment sur Kiev, s'en sont pris à Minsk. L'annonce de la création d'une force militaire commune constitue "l'exemple le plus récent de la complicité" de la Biélorussie avec la Russie, selon les dirigeants du G7. "Nous réitérons notre appel aux autorités biélorusses à arrêter de permettre aux forces armées russes d'utiliser" leur territoire pour agir contre l'Ukraine, ont-ils ajouté.
Catherine Colonna, la ministre des Affaires étrangères, a déclaré mardi matin sur France Inter que Minsk "serait bien avisé" de ne pas entrer dans le conflit. "Il faut lancer un avertissement à ce pays. Tout soutien supplémentaire à la guerre que mène la Russie en Ukraine entraînerait des sanctions supplémentaires", a-t-elle déclaré, rappelant que la Biélorussie était déjà sous le coup de sanctions.
.@MinColonna : "Il faut lancer un avertissement à la Biélorussie : tout soutien supplémentaire à la guerre menée par la Russie en Ukraine entraînerait des sanctions supplémentaires" #le7930inter pic.twitter.com/m4N1QkIrol
— France Inter (@franceinter) October 11, 2022
La Première ministre lituanienne, Ingrida Simonyte, a également fustigé la position prise par Minsk. "Je considère que le régime biélorusse est complice de la guerre menée depuis le 24 février contre l'Ukraine. Le fait que son armée n'ait, jusqu'à présent, pas activement combattu ne change pas grand-chose à l'affaire. (...) La Biélorussie a cessé d'être un Etat souverain pour devenir une base militaire russe", a-t-elle confié au Figaro.
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