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Guerre en Ukraine : spectaculaires et destructrices, les armes thermobariques, nouvel instrument de la propagande militaire russe

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Une capture d'écran de la vidéo diffusée le 24 juin 2022 par le ministère de la Défense russe, présentant une frappe thermobarique à Novomykhailivka, au sud-ouest de Donetsk (Ukraine). (MINISTERE DE LA DEFENSE RUSSE)

Le plus souvent, elles ciblent des unités ukrainiennes isolées. Leur aspect spectaculaire est exploité à des fins de propagande par les commentateurs favorables au Kremlin.

L'espace d'une seconde, dans un vacarme ahurissant, d'immenses champignons de feu sèment la mort et la désolation. Redoutés par les forces ukrainiennes, les systèmes TOS-1A Solntsepek ("ensoleillement", en français) sont considérés à Moscou comme les armes non nucléaires les plus puissantes du pays. Près de cinq mois après les premiers témoignages à leur sujet, elles sont toujours utilisées en Ukraine, comme l'a constaté franceinfo à partir de documents vidéo.

Fin juin, Moscou a reconnu pour la première fois leur utilisation dans le conflit. Le ministère de la Défense russe a alors diffusé une vidéo aux accents hollywoodiens*, afin d'assurer la promotion d'un armement face auquel il est impossible "de se mettre à l'abri". Ce système composé d'un châssis et d'un lanceur avait été présenté sous toutes les coutures, à la manière d'une berline dernier cri. Avec des incrustations d'images de frappes filmées par des drones.

Un système de lance-flammes lourd TOS-1A, dans un vidéo diffusée le 24 juin 2022 par le ministère de la Défense russe. (MINISTERE DE LA DEFENSE RUSSE)

Le principe est redoutable. La première charge de ces missiles de 220 mm "vaporise un gaz hautement inflammable", explique à franceinfo Stéphane Audrand, consultant spécialisé dans l'armement. Une milliseconde plus tard, une deuxième charge enflamme le mélange thermobarique. La température peut alors atteindre 3 000 degrés et l'oxygène ambiant est consumé "en une fraction de seconde", ce qui entraîne "un phénomène de surpression colossale". L'air est d'abord happé, créant un effet de vide (pression négative), avant d'être relâché dans un souffle de feu qui s'immisce partout (pression positive).

"Il n'y a aucune protection. La surpression s'infiltre dans les moindres recoins et cuit les ennemis à la cocotte-minute. C'est horrible."

Stéphane Audrand, consultant spécialisé dans l'armement militaire

à franceinfo

Ces armes sont parfois qualifiées abusivement de "bombes à vide". Pourtant, leur "effet mortel n'est pas simplement dû au manque d'oxygène causé mais au barotraumatisme pulmonaire" causé par le différentiel de pression, explique la revue spécialisée Defense Technology (en anglais). Ce cocktail de feu et d'onde de choc ne laisse aucune chance aux troupes visées, même quand elles sont retranchées dans des abris.

Un appui ponctuel lors d'offensives terrestres

La vidéo du ministère de la Défense russe n'a pas surpris grand monde, car le recours aux TOS-1A est connu depuis longtemps. La chaîne de télévision Zvezda, qui dépend du ministère de la Défense, avait déjà évoqué, début mars*, les faits d'armes d'un sergent russe, auteur "d'un tir précis de TOS-1A" dans la région de Tchernihiv, au nord de Kiev. Quinze jours plus tard, le service de presse des miliciens de Donetsk avait réalisé une longue vidéo* pour en démontrer la puissance de frappe. Fin avril, l'agence pro-Kremlin Anna avait également diffusé un reportage* au plus proche de ces armes.

Extrait de la vidéo diffusée le 20 mars 2022 par les miliciens de Donetsk (est de l'Ukraine), présentant un système TOS-1A.  (SERVICE DE PRESSE DE LA MILICE DE LA REPUBLIQUE AUTOPROCLAMEE DE DONETSK)

A quelles fins ces armes sont-elles utilisées ? Pour le comprendre, franceinfo a recueilli plusieurs documents vidéo, et a pu établir des correspondances géographiques pour une vingtaine d'images : dans la région de Kharkhiv (Nord-Est), près de Kherson (Sud), et surtout sur le front du Donbass (Est).

Fin juin et début juillet, par exemple, plusieurs comptes prorusses affirmaient que les TOS-1A avaient été mobilisés lors de l'offensive menée dans la région de Louhansk, afin de prendre le contrôle de la ville de Lyssytchansk. Les cibles se situaient sur l'axe sud de cette ville-clé, finalement perdue le 3 juillet par l'Ukraine.

Géolocalisation de trois vidéos présentant de supposées frappes thermobariques à l'approche de Lyssytchansk (est de l'Ukraine), fin juin. (FRANCEINFO)

La technique est rudimentaire : "Quand l'armée russe bute quelque part, elle rase, commente Stéphane Audrand. C'est efficace pour neutraliser une infanterie ennemie dans un espace limité". La Russie "prévoit l'utilisation de TOS-1A par des troupes terrestres, dans le cadre de manœuvres mécanisées pour accompagner l'infanterie", poursuit le spécialiste en armement.

Les médias russes vantent "une arme mortelle du démon"

Après la prise de Lyssytchansk, l'offensive menée par le Kremlin se poursuit désormais vers l'Ouest, avec pour objectif la ville-clé de Sloviansk. Aleksander Kots, l'un des correspondants de guerre les plus en vue de Russie, a récemment partagé de nouvelles images de frappe présumée de TOS-1A. Franceinfo a pu localiser ces images dans une forêt entre Lyssytchansk et Siviersk, sur le nouvel axe de progression russe. A nouveau, en appui des troupes.

Un correspondant militaire russe a publié une vidéo présentant un bombardement en forêt, que les données de géolocalisation situent entre Lyssytchansk et Siviersk. (FRANCEINFO)

Utilisées sur le front, ces armes thermobariques sont aussi régulièrement mises en avant à la télévision par les propagandistes du régime, qui mettent en avant leur aspect dévastateur pour marquer l'opinion publique. Début juin, la présentatrice Olga Skabeeva leur a ainsi consacré toute une séquence de son émission "60 Minutes", sur la chaîne d'Etat Rossiya 1. Avec emphase et gravité, elle a vanté les mérites d'un armement "capable de tirer 24 missiles en quelques secondes" et de réduire à néant "une zone de 4 km carrés". Sur le plateau, un écran dévoilait au même moment les images d'un soldat accroupi, puis un déluge de feu.

Olga Skabeeva présente une séquence consacrée aux armes thermobariques dans son émission "60 Minutes", sur Rossiya 1. (ROSSIYA 1)

Il y a quatre ans, déjà, le journal moscovite Lenta s'enthousiasmait* pour cette "arme mortelle du démon". La guerre en Ukraine a ravivé les commentaires enthousiastes sur les réseaux sociaux, notamment sur les comptes Telegram "pro-Z". Ces derniers bruissent de vidéos présentant des frappes thermobariques supposées, ces images étant parfois difficiles à authentifier, faute d'enquête de terrain. 

Deux enquêtes préliminaires en Ukraine

La guerre en Ukraine offre ainsi une vitrine idéale pour la promotion et la commercialisation de ces armes, dont le maniement est réservé à des unités spéciales en charge de la protection radioactive, chimique et biologique (RKhBZ). La Biélorussie doit bientôt finaliser l'achat à la Russie de ces systèmes TOS-1A, selon la Revue militaro-politique*, proche du pouvoir, et le collectif Gayoun*, spécialisé dans les mouvements militaires. Arménie, Syrie, Algérie, Arabie saoudite... Le TOS-1A figurait déjà parmi les cinq meilleures ventes d'armes russes terrestres à l'étranger, déclarait l'agence d'Etat Rosoboronexport, chargée des exportations russes d'armements (en anglais), après une démonstration en 2020.

"Le système de lance-flammes lourd TOS-1A est unique sur le marché mondial de l'armement. Il n'est produit nulle part sauf en Russie."

Alexander Mikheev, directeur général de Rosoboronexport

en juillet 2020, lors d'une démonstration à des clients étrangers

Le tout nouveau TOS-2 "Tosochka", lui, est déjà déployé près de Kharkhiv, selon l'agence russe Tass (en anglais). Il reprend le flambeau de cette "tradition du thermobarique" initiée dans les années 1980 en Afghanistan, avec le TOS-1 "Bouratino" ("Pinocchio", en français) et ses trente tubes de lancement.

Le TOS-1 dit "Bouratino", reconnaissable à ses 30 tubes de lancement, lors de l'opération russe en Afghanistan dans les années 1980. (BVTV.INFO)

Les futures ventes sont assurées, d'autant qu'aucun texte international n'interdit ces armes. Le troisième protocole des Conventions de Genève interdit toutefois d'y recourir dans des zones où se trouvent potentiellement des civils. Leur usage doit également respecter le principe de "proportionnalité" par rapport au bénéfice attendu, et ne pas causer de souffrances exagérées aux combattants ennemis. "Il existe quelques conditions objectives justifiant leur recours, explique Stéphane Audrand, comme la destruction d'un dépôt d'armes difficile d'accès". Ces critères sont-ils bien respectés en Ukraine ?

"Quand on rase un village sans être sûr de l'absence de civils, il existe une forte probabilité de crime de guerre ou de violation du droit international."

Stéphane Audrand, consultant spécialisé dans l'armement militaire

à franceinfo

A ce jour, deux enquêtes préliminaires ont été ouvertes pour de possibles crimes liés à l'utilisation d'armes thermobariques russes, a appris franceinfo auprès du bureau du procureur général ukrainien. La première porte sur l'offensive russe menée du 23 au 26 mars sur les villages de Mala Rohan et Vilkhivka (région de Kharkhiv) et lors de laquelle une adolescente de 13 ans est morte à l'hôpital, des suites de ses blessures. La seconde a été déclenchée après une frappe sur le village de Novi Petrivtsi, près de Kiev. "Les débris d'un projectile thermobarique ont été collectés" et le type de lanceur est en cours d'identification.

* Tous ces liens renvoient vers des contenus en langue russe

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