: Reportage "Ce ne sont plus nos amis" : à Kramatorsk, le combat des habitants pour dérussifier les noms des rues
La rue Gagarine n’a rien d’une grande artère soviétique. C’est une petite allée paisible sur une colline de Kramatorsk où habite Oksana, rencontrée alors qu’elle tente de remettre un peu d’ordre dans son jardin. "Mon adresse est le 47 de la rue Youri Gagarine. Mais elle a été rebaptisée et va porter le nom de notre cosmonaute ukrainien, Leonid Kadeniouk", annonce-t-elle fièrement. C’est elle qui a proposé ce nom à la mairie. "C’était notre initiative et la ville nous a soutenus !"
"Je ne comprends pas qu'on n’ait pas remarqué toutes ces atrocités des Russes avant et qu’on les ait considérés comme nos frères."
Oksana, une Ukrainienne de Kramatorskà franceinfo
Sa voisine a perdu son fils au combat. Elle voulait d'abord lui rendre hommage. "On voulait l’appeler ‘rue des combattants volontaires’. Mais il leur faudrait au moins une grande rue centrale !", estime-t-elle.
Le 21 avril dernier, le président Volodymyr Zelensky a signé la loi interdisant les noms géographiques symbolisant ou glorifiant la Russie et l’époque soviétique. À l’est, à Kramatorsk, on se souvient notamment des combats de 2014 et du massacre de la gare l’an dernier. Résultat : 300 noms de rue, un tiers de la ville, viennent d’être changés cette semaine après consultation des habitants. Ici, un poète russe est remplacé par un dramaturge ukrainien tué sous Staline. Là, la ville russe de Briansk disparaît pour rendre hommage aux combattants d’Azov à Marioupol.
Rebaptiser, mais garder en mémoire
Dans l'ex-rue Gagarine, un peu plus bas, Vadim, 63 ans, approuve mais s'inquiète pour les plus âgés un peu perdus. "Ils nous ont attaqués. Ce ne sont plus nos amis comme on les considérait avant. Avec l’agresseur, il faut aussi lutter de cette manière, c’est pourquoi je suis pour rebaptiser". Mais ce jeune croisé plus loin ne semble pas ravi. "Moi, je m’en fous, répond-il du bout des lèvres. Les rues étaient nommées en l’honneur de quelqu’un qui était aussi un héros. Ils n’ont rien fait de mauvais ces gens-là."
"Je n’en avais pas entendu parler, mais je ne suis pas contre, commente de son côté Volodymir. Gagarine oui, il est cosmonaute et je n’ai rien contre lui. Kadeniouk, c’est aussi notre cosmonaute, ukrainien". Mais attention à ne pas renoncer à notre histoire commune, prévient Volodymir. En décembre, la mairie a déboulonné la statue du poète russe Pouchkine et envisage désormais de désosser le char de l'Armée rouge qui libéra la ville des nazis en 1943.
C’est trop, estime Volodymir. "Le tank, il faut bien prendre conscience que nos grands-parents, nos parents, ont combattu aussi. C’est pour ça qu’il ne faut pas le détruire, que ça reste une mémoire, une relique". La dérussification se fera toutefois sur un temps long. À Kramatorsk, toujours sous les bombardements, il n’est pas encore prévu de changer les papiers officiels ou les plaques de rue.
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