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Reportage Guerre en Ukraine : à Londres, faute de solutions d'hébergement, des réfugiés n'ont "nulle part où aller"

L'hébergement par des familles britanniques et des proches ukrainiens s'essouffle. En fin d'année, selon le gouvernement britannique, quelque 3 000 foyers ukrainiens étaient ainsi sans domicile.
Article rédigé par Valentine Pasquesoone - Envoyée spéciale au Royaume-Uni
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Dana Karabinenko et ses deux enfants, le 1er février 2023, à Londres (Royaume-Uni). (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Elle arrive d'un pas déterminé avec ses deux enfants, une grande valise noire à la main. Dana Karabinenko entre dans un "council" de Londres. La demande de cette famille ukrainienne réfugiée est urgente. La veille, Dana, Dasha et Hlib ont dormi dans le salon d'une amie, elle aussi réfugiée. En cette matinée du 30 janvier, cette mère ne sait pas où elle posera sa valise ce soir. Elle vient s'inscrire dans cette autorité locale britannique en tant que sans-abri.

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A l'instar de cette famille, environ 3 000 foyers ukrainiens étaient sans logement en fin d'année outre-Manche, d'après les données du gouvernement britannique. 70% de ces ménages avaient des enfants mineurs, comme Dasha, 7 ans, et Hlib, 12 ans. "C'est un risque qui prend de l'ampleur", alerte Adis Sehic, chercheur au sein de l'ONG Work Rights Centre* et coauteur de rapports sur l'accueil des réfugiés ukrainiens au Royaume-Uni. Après avoir été hébergés, dès leur arrivée, par des familles britanniques ou des proches ukrainiens vivant outre-Manche, ces exilés se retrouvent dans une impasse.

"Des familles ne peuvent plus se permettre d'héberger des Ukrainiens plus longtemps. Il y a le coût de la vie, l'inflation... Certaines familles comptaient sur le fait qu'on leur avait demandé de les héberger pour six mois, pas indéfiniment."  

Adis Sehic, chercheur au sein du Works Right Centre

à franceinfo

Pour le Work Rights Centre*, la situation est d'autant plus critique à Londres, où le nombre de sans-abri entre juin et septembre a augmenté de 24% en un an, comme le rapporte le Guardian*. "Les équipes chargées des sans-abri sont sous pression. Il y a un manque de logements sociaux à Londres, et il est extrêmement difficile d'arriver sur le marché locatif", poursuit Adis Sehic.

"Nous n'avons nulle part où aller" 

Dana, menue et agitée, est partie la veille des environs de Bury Saint Edmunds (Royaume-Uni) où elle a vécu pendant sept mois. À son arrivée cet été, cette famille ukrainienne a été hébergée grâce au programme "Homes for Ukraine" ("des maisons pour l'Ukraine"), qui permet à des Britanniques d'héberger des déplacés de la guerre avec une aide mensuelle de 350 livres (392 euros). Dana et ses enfants ont été reçus par "la meilleure des familles", glisse Hlib, mais cet accueil arrivait à terme. Les Ukrainiens sont partis vers Londres, en quête d'opportunités professionnelles et pour se rapprocher d'une amie réfugiée. Sans savoir sous quel toit ils pourraient vivre. 

Dana Karabinenko, réfugiée ukrainienne et ses deux enfants, patientent pour s'inscrire en tant que sans-abri, le 30 janvier 2023. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Après deux heures d'attente, Dana parvient à parler avec un agent du "council". "Un appartement est très important pour moi, pour la stabilité", explique-t-elle dans un anglais appris depuis peu. L'agent consulte ses documents, lui demande pourquoi elle se trouve désormais dans ce quartier de Londres. "Pour avoir beaucoup de possibilités." Avec l'aide d'une traductrice par téléphone, la conversation se poursuit mais une impasse se dessine. Les "councils" ont un devoir d'hébergement d'urgence, lui explique-t-on, mais Dana doit se rapprocher de celui d'où elle vient, près de Bury Saint Edmunds. Sans lien avec un quartier londonien, elle ne peut espérer y être logée. "Pourquoi ne voulez-vous pas d'une famille respectable, qui travaille dur ?", lui demande Dana avec l'aide de Google Translate, en prenant son fils dans ses bras. "Il n'y a pas de travail là où j'étais. (...) Nous n'avons nulle part où aller." 

Ce jour-là, Dana a patienté de 9h30 à 20 heures en quête d'un hébergement d'urgence. Grâce à une amie réfugiée venue l'épauler, elle a pu parler à plusieurs agents, jusqu'à l'obtention d'une première nuit dans un hôtel londonien.

"C'est un défi très difficile. Je me sens complètement perdue et désespérée."

Dana Karabinenko, réfugiée ukrainienne

à franceinfo

"Je suis en mode survie", confie deux jours plus tard l'Ukrainienne, après avoir récupéré de la nourriture dans une banque alimentaire et des affaires laissées chez son amie. La veille, Dana a de nouveau passé la journée au "council" et a fini par obtenir une semaine d'hébergement dans un autre hôtel du sud de Londres. Une chambre de trois lits où les affaires de la famille s'accumulent à l'entrée. Dana a placé quelques poupées pour Dasha à côté de son lit et ses dessins sur le bureau. L'exilée, souriante, parle vite, signe de sa nervosité : "Je ne sais pas quelle stratégie suivre, quoi faire ensuite." Elle obtiendra quelques jours plus tard une semaine de plus à l'hôtel, mais le soulagement s'avère de courte durée.

"J'ai juste envie d'une chambre" 

Yuliana Zaichenko, réfugiée ukrainienne, le 31 janvier 2023 à Londres (Royaume-Uni). (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Cette situation d'hébergement d'urgence, Yuliana Zaichenko la vit depuis plusieurs mois à Londres. La recherche d'un logement avait pourtant été "facile" en avril, à son arrivée d'Ukraine. Accueillie par son oncle, la jeune exilée avait pu louer un bien auprès d'un propriétaire ukrainien, dans le sud de Londres. "Un très bel appartement, j'aimais beaucoup le quartier", relate-t-elle. Mais en octobre, le propriétaire en a eu besoin pour héberger ses parents. "J'ai commencé à connaître un état dépressif", confie-t-elle. Quand des frappes massives russes ont visé plusieurs villes ukrainiennes, "la guerre a commencé à me briser". "En ce moment, quelqu'un se fait tirer dessus, quelqu'un est peut-être violé et je ne comprends pas, désespère l'Ukrainienne, tremblante. Les Russes ont envahi notre pays, bombardent des maternités. Cette violence, impitoyable et stupide... C'est horrible." 

Tout en souffrant de stress post-traumatique, Yuliana Zaichenko a dû composer avec la recherche d'un nouveau logement. Deux semaines dans un appartement qu'elle a dû une nouvelle fois quitter, puis des auberges de jeunesse, l'une après l'autre. Désormais, la jeune réfugiée vit entre deux adresses près d'Edgware Road à Londres : une auberge de jeunesse, et un centre d'accueil d'urgence pour des femmes sans-abri, le "sanctuaire" du projet Marylebone. 

Ce matin-là, Yuliana Zaichenko salue le personnel de l'auberge de jeunesse, un lieu dont elle aime "l'atmopshère" et "la sympathie des gens". Les employés la connaissent bien et sont devenus des amis. La jeune Ukrainienne nous amène ensuite vers le centre d'accueil "très confortable" où elle se sent en sécurité. "Il n'y a pas de lits, mais des fauteuils confortables et pratiques." 

"Je ne suis pas assez forte pour tenir mais je n'ai pas d'autre choix. Je dois continuer, continuer à faire quelque chose."

Yuliana Zaichenko, réfugiée ukrainienne

à franceinfo

Avec l'aide du "council" et du projet Marylebone, Yuliana Zaichenko espère obtenir bientôt un logement. Trouver un appartement sur le marché locatif n'est pas une option, car "les loyers sont trop chers et les propriétaires veulent des personnes avec des emplois stables". Mais la jeune femme, qui étudie le commerce et l'entrepreneuriat, n'espère qu'une seule chose, "une simple chambre où je pourrais me reposer tous les soirs".

Un marché locatif hors de portée

En plein cœur de Londres, l'Ukrainian Welcome Centre est confronté de plein fouet à ce problème. "Rien qu'aujourd'hui, j'ai fait deux dossiers pour des déplacés sans-abri", illustre Iryna Terlecky, l'une des bénévoles du centre. "C'est vraiment un défi", poursuit le directeur, Andriy Marchenko. "Quand vous perdez votre hébergement, vous devez tout recommencer. Vous trouvez un nouveau logement à 30 kilomètres, vous ne pouvez pas garder votre travail car le transport coûte trop cher, et les enfants doivent changer d'école."

"Ce n'est pas seulement perdre l'endroit où vous vivez, c'est tout perdre. Le logement est la chose la plus importante, dont tout le reste dépend."

Andriy Marchenko, directeur du Ukrainian Welcome Centre

à franceinfo

Au sein de l'organisation Groundwork, dont le projet "Impact" aide des réfugiés à chercher un emploi, la question du logement est aussi "un énorme problème", pointe Irina Bormotova. Ce matin-là, dans une église près de Waterloo, cette conseillère en emploi reçoit des réfugiées ukrainiennes pour les aider, entre autres, à préparer leur CV. Derrière elle, d'autres exilées suivent un cours d'anglais. "Chacun des participants a des problèmes de logement", résume-t-elle. 

Ce 31 janvier, Daryna, réfugiée ukrainienne de 34 ans, attend avec impatience la visite d'un appartement. "Notre dernière chance", lâche la mère de deux enfants, le rire rendu nerveux par la situation. "Je suis tellement stressée, tellement fatiguée de tout ça", souffle discrètement l'exilée, hébergée par une proche dans une ville résidentielle du Kent près de Londres. Il lui reste deux semaines pour trouver un nouveau logement. 

Daryna, réfugiée ukrainienne, le 31 janvier 2023 dans une ville du Kent (Royaume-Uni). (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

À son arrivée de Kiev en décembre, Daryna et ses deux enfants ont pu partager une petite chambre dans la maison de ce proche. La famille est arrivée grâce au programme "Ukraine Family Scheme", qui permet à des Ukrainiens résidant au Royaume-Uni d'héberger des proches déplacés par la guerre. Mais pour Adis Sehic, "les réfugiés arrivés avec ce programme sont plus à risque de devenir sans-abri. Ils vivent davantage dans de petits logements, et il n'y a pas de soutien financier pour les proches qui les hébergent".  

"Mes proches me disent que je peux rester s'il le faut, mais je ne veux pas profiter de leur gentillesse. Je pensais que quelques mois suffiraient pour trouver un logement, mais ce n'est pas le cas."

Daryna, réfugiée ukrainienne

à franceinfo

L'Ukrainienne, qui raconte avoir candidaté à plus de vingt appartements, cherche un bien pour six mois, le temps de voir comment évolue la guerre. "Un propriétaire m'a dit qu'il voulait quelqu'un à long terme. Tout le monde dit qu'il est difficile de trouver pour six mois ici", décrit Daryna, qui craint de devoir s'éloigner de ses proches pour pouvoir se loger. Près de sa famille, les loyers, qui oscillent entre 1 500 et 2 000 livres (1 600 à 2 000 euros), "sont impossibles pour moi". 

Si elle obtient cet appartement, Daryna devra avancer d'emblée six mois de loyers, une dépense impensable sans son épargne et l'aide de son mari resté en Ukraine. Daryna travaille à distance pour un site ukrainien de commerce en ligne, avec un salaire hebdomadaire "équivalent à un salaire journalier au Royaume-Uni". "Ils demandent un salaire équivalent à trois fois le loyer. Quand vous êtes seule avec deux enfants, vous n'avez pas ce niveau de revenus. Ils demandent les antécédents de crédits, des recommandations... Mais j'ai juste mes proches ici." 

Sans réponse positive, Daryna fera ses valises pour rentrer chez elle, dans son pays en guerre : "J'ai peur de rentrer, mais on sera chez nous." 

* Les liens signalés par un astérisque renvoient vers des pages en anglais. 

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