Sloviansk, une ville symbole de la crise que traverse l'est de l'Ukraine
L'armée ukrainienne est passée à l'offensive dans cette ville, mais elle n'a guère progressé. Elle a perdu deux militaires qui se trouvaient à bord de deux hélicoptères abattus, selon Kiev, par des missiles tirés par les séparatistes.
Elle n'est ni la plus grande, ni la plus peuplée, ni la plus riche des cités de la région industrielle du Donbass. Pourtant, c'est aux portes de Sloviansk, 117 000 habitants, que se sont positionnés, vendredi 2 mai, les blindés ukrainiens. Face à eux se dressent des barricades, tas de pneus, de barrières et de planches, érigées par les militants pro-russes, aidés par des habitants. Le destin de cette ville, fief des séparatistes, devrait dicter l'avenir de toute la région du Donbass. Voire de l'ensemble du pays.
Administrée par les insurgés, elle nargue Kiev, à 650 km de là. En quoi Sloviansk cristallise-t-elle les enjeux de la crise ukrainienne ?
Un contexte économique déprimé
"Sloviansk est la quintessence des humeurs de l’est ukrainien", résume le journal indépendant ukrainien Oukraïnska Pravda, dans un article traduit par le blog collectif Chroniques ukrainiennes. Il décrit "une ville dépressive", dont l'économie a périclité avec ce qu'il restait des industries soviétiques. "Les anciennes règles de vie se sont effondrées avec la perestroïka [les réformes économiques de Gorbatchev, à la fin des années 1980] et les nouvelles n’ont pas encore été élaborées", explique le quotidien.
Jadis touristique, car plus verte que la moyenne, mais emblématique du blues de sa région, Sloviansk s'élève au cœur du Donbass, entre les métropoles de Donetsk au sud, Kharkiv au nord et Louhansk à l'est. Des anciens bastions industriels qui, déjà loin de la capitale, lui tournent désormais le dos.
Un basculement méthodique
Dans ses grandes villes du Donbass, dès le 6 avril, les manifestants pro-russes se sont emparés des bâtiments stratégiques : sièges du gouvernement régional, quartiers généraux des services de sécurité (SBU), mairie, etc. La méthode est rodée : les militants pénètrent dans les immeubles officiels, en chassent les occupants et hissent leur drapeau, celui de la "République de Donetsk". Et cette méthode a fait ses preuves en Crimée. Depuis Sloviansk, un officier supérieur russe, le colonel Strelkov ("de sa véritable identité Igor Girkine", précise Le Figaro.fr) l'a confirmé au journal Komsomolskai Pravda : "L'unité avec laquelle je suis venu à Sloviansk a été formée en Crimée, je ne vais pas le cacher."
Le samedi 12 avril, sans rencontrer de résistance, des hommes "en vert", aux uniformes sans insignes, ont ainsi pris la mairie et le commissariat de Sloviansk. Ils y ont installé "la garde nationale du Donbass". Dès le lendemain, Kiev lançait son "opération antiterroriste".
Des autorités autoproclamées très musclées...
A Sloviansk, les pro-Russes ont pris les commandes de la ville "depuis que le maire autoproclamé a chassé l'ancien édile et s'est installé à la mairie", explique Stéphanie Pérez, envoyée spéciale de France 2 sur place. Viatcheslav Ponomarev, 49 ans, ancien militaire puis directeur d'une usine de savon, affiche un style tonitruant, voire brutal : "C'est un maire qui fait des prisonniers", rappelle la journaliste. Soldats ukrainiens, journalistes étrangers, observateurs de l'OCDE : "Ils sont une monnaie d'échange", explique-t-il dans un entretien au quotidien russe Gazeta.
A l'occasion de conférences de presse et d'entretiens aux journaux russes, il fait état de sa politique, limitée à une gestion de crise permanente, suggérant "d'exterminer" ses opposants, qu'il compare à des moustiques. En deux semaines, il a instauré un couvre-feu, interdit les partis ukrainiens ainsi que la vente d’alcool dans la ville. Surtout, il a érigé des barrages autour des bâtiments officiels. Comme à Louhansk ou à Donetsk, où Denis Pouchiline, 32 ans, a pris la tête de la "République populaire de Donetsk", elle aussi autoproclamée, dès le 7 avril. A Louhansk, il n'a fallu que quelques minutes pour prendre le pouvoir, raconte RFI. Après la prise du commissariat central de la ville, "une voix dans un haut-parleur a annoncé que le chef des forces de sécurité de la ville s'était retiré et qu'un nouvel homme allait être nommé dans la foulée".
... qui rejettent totalement l'autorité de Kiev
Dans toute la région, ces chefs séparatistes se substituent aux instances ukrainiennes. Dans sa chute, l'ancien président Victor Ianoukovitch a entraîné son parti, le puissant Parti des régions, poussant les autorités, sans boussole, à laisser faire les séparatistes, explique Le Monde.fr.
Ces derniers martèlent leur volonté d'organiser un référendum, "pour le droit à l'autodétermination" et "contre les fascistes de Kiev". Le 26 avril, Pouchiline et Ponomarev "se sont finalement accordés sur la question posée lors du référendum programmé le 11 mai : 'Approuvez-vous la déclaration d'indépendance de la République populaire de Donetsk ?'", rapporte le JDD.
Des habitants divisés
Le 16 avril, les blindés envoyés par Kiev pour affirmer sa souveraineté sur la ville avaient été chassés. Vendredi, même scénario. "Les villageois insultent les soldats, leur disent qu'ils auraient mieux fait d'intervenir sur la place Maïdan [à Kiev] et qu'ils devraient avoir honte d'attaquer leur propre pays", rapporte Stéphanie Pérez. Pourtant, "ici, ce n'est pas la Crimée, prévient-elle. Lorsque vous interrogez les gens de la région, tous ne veulent pas de la Russie."
Une vie quotidienne sous tension
Vendredi matin, l'attaque de l'armée ukrainienne a troublé le quotidien des habitants. Les cloches de l'église du Saint-Esprit, près de la mairie, au sommet de laquelle flotte le drapeau de la Fédération de Russie, ont résonné dans le centre, pour alerter la population. "On nous dit que les magasins sont fermés et les rues désertes", explique Stéphanie Pérez, depuis une barricade à l'entrée de la ville. L'attaque de la semaine précédente, tout comme celle-ci, "s'est déroulée à l'extérieur". Dans Sloviansk, outre "des hommes postés aux portes des bâtiments publics, la vie continue comme si de rien n'était. Il n'y a pas de patrouilles de milices dans les rues, les enfants jouent dans les parcs, les restaurants sont pleins, etc. ", explique Stéphanie Pérez.
Pourtant, la tension est palpable. "Depuis une semaine, les séparatistes sont aux aguets", explique-t-elle. Les journalistes, considérés comme des espions, "avaient même quitté la ville pour se rendre à Donetsk." L'envoyée spéciale du Nouvel Obs confirme : "Tout le monde a peur [...]. On évoque des disparitions mystérieuses, des militants ukrainiens kidnappés et retenus depuis plusieurs jours." Elle décrit des passages à tabac en pleine rue et des passants muets.
"Cela fait une semaine qu'on ne sort plus manifester, parce que les pro-Russes peuvent toujours nous attaquer avec des matraques, des battes de base-ball, comme ça s'est produit à Donetsk et Louhansk, explique Oksana, une militante pro-Kiev interrogée par RFI. Ici, c'est une petite ville et les gens ont décidé de ne pas les affronter directement, pour tenter de sauver leur peau. Ici, tout le monde se connaît. Si tu poses une question à quelqu'un, il te répond en faisant 'chut'."
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