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Ukraine : pourquoi la mise en scène de la mort du journaliste Arkadi Babtchenko est critiquée

Annoncé mort assassiné mardi, ce reporter russe est réapparu bien vivant, mercredi, à Kiev, lors d'une conférence de presse organisée par le pouvoir ukrainien. Objectif : déjouer une tentative de meurtre commanditée par Moscou. Mais la mise en scène pose question.

Article rédigé par franceinfo
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Arkadi Babtchenko, le 30 mai 2018 à Kiev (Ukraine).  (SERGEI SUPINSKY / AFP)

Après le retour d'entre les morts, les questions. Coup de théâtre, mercredi 30 mai : le journaliste russe Arkadi Babtchenko, que l'on croyait mort après une tentative d'assasinat, s'est présenté devant les caméras, révélant ainsi avoir participé à la mise en scène de son assassinat. La raison officielle ? Déjouer une tentative de meurtre commanditée par Moscou. Un scénario rocambolesque critiqué notamment par l'ONG Reporters sans frontières (RSF). Franceinfo vous explique pourquoi cette mise en scène pose question.

Parce que cela affaiblit la crédibilité de l'Ukraine

RSF a condamné une simulation "navrante" et "une nouvelle étape dans la guerre de l'information" entre Kiev et Moscou. "Fallait-il recourir à un tel stratagème ? Rien ne justifie de mettre en scène la mort d'un journaliste", a critiqué le secrétaire général de l'association, Christophe Deloire.

Cette affaire "va amoindrir encore davantage les niveaux déjà microscopiquement bas de confiance qu'ont les Ukrainiens dans leur gouvernement et leurs médias", estime pour sa part l'historienne Anne Applebaum dans le Washington Post (en anglais), jugeant que les autorités ukrainiennes ont "brisé un tabou""Après tout, d'autres pays parviennent à mettre la main sur des criminels sans mettre en scène des morts fictives de gens connus et sans déclencher un deuil national et international", relève-t-elle.

"Au moment où l'Ukraine veut se positionner comme un membre responsable de la communauté européenne et supplie ses donateurs internationaux de l'aider à contrer les fausses informations, pourquoi contribue-t-elle à en créer ?", s'interroge pour sa part l'expert Michael Bociurkiw sur CNN. Le New York Times, tout comme le Comité pour la protection des journalistes, réclament aux autorités ukrainiennes d'expliquer pourquoi elles ont considéré comme nécessaire de compromettre 'l'intégrité journalistique".

Parce que cela accrédite la thèse des "fake news"

Qui croire dans cette affaire ? Moscou ? Kiev ? La revue américaine The Atlantic (article en anglais) y voit ainsi "une accentuation de l'atmosphère de poudre aux yeux qui règne en Europe de l'Est et en Russie, où la désinformation paraît évoluer librement".

Ce genre d'action "dessert clairement la cause de la liberté de la presse et de la protection des journalistes", juge Christophe Deloire sur franceinfo. Pour le secrétaire général de RSF, ce type de pratique favorise l'idée d'un système complotiste et participe à cette difficulté de lutter contre les "fake news", les fausses informations "Là en l'occurrence, il y a des informations absolument erronées, même des accusations contre un autre État qui ont été perpétrées par le gouvernement ukrainien."

Parce que le travail des journalistes est remis en question

Ce scénario va forcément marquer. Dans Libération, l'expert en service de sécurité russe Mark Galeotti estime que ce "succès tactique [de l'Ukraine] (...) risque d'être un fiasco sur le long terme. (...) Au prochain meurtre, personne n'y croira plus. Mais surtout, en coopérant avec les services ukrainiens, Babtchenko a validé la thèse de Moscou, selon laquelle les journalistes ne sont pas des décrypteurs objectifs de la réalité, mais des agents."

Sur Twitter, la journaliste Natalia Antelava estime que cette histoire va "poser toute une série de questions difficiles sur la sécurité des journalistes et la véracité des reportages à l'ère des 'fake news'."

Une situation d'autant plus problématique que l’an dernier, 39 journalistes ont été assassinés dans le monde. Avec des cas emblématiques comme celui de Daphne Caruana Galizia, tuée dans l'explosion de sa voiture, alors qu'elle enquêtait sur la corruption à Malte.

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