Cet article date de plus d'un an.

Vidéo Guerre en Ukraine : les Ukrainiens "sont unis contre la Russie mais aussi pour devenir un pays occidental", selon l'ambassadeur de France à Kiev

Publié
Temps de lecture : 10min
Article rédigé par franceinfo
Radio France
"C'est un pays qui se bat, mais c'est aussi un pays qui se réforme", soutient Gaël Veyssière, en poste depuis un peu moins de trois mois.

Les Ukrainiens "sont unis contre la Russie, mais sont aussi unis pour que leur pays devienne un pays occidental", affirme l'ambassadeur de France à Kiev Gaël Veyssière, lundi 13 novembre sur franceinfo, alors que la Commission européenne a recommandé l'ouverture des négociations en vue d'une adhésion à l'Union européenne. La population ukrainienne "a compris que la guerre serait longue, mais elle est toujours aussi déterminée à se battre et à rester unis face à l'agression russe", analyse-t-il, "c'est le combat de leur vie". Un combat qui passe par les armes, les Ukrainiens "ne souhaitent pas négocier parce qu'ils espèrent pouvoir continuer à reconquérir leurs territoires" mais aussi par des réformes : "il y a une très forte attente des Ukrainiens de devenir un pays européen normal. Pour ça, il faut se battre. Mais il faut aussi se réformer, lutter contre la corruption et affirmer l'État de droit, réformer la justice".

franceinfo : L'Ukraine se prépare à un nouvel hiver sous les bombes après l'échec de sa contre-offensive. Vous êtes en poste depuis un peu moins de trois mois. Quelle est l'impression qui domine chez les Ukrainiens que vous côtoyez au quotidien ?

Gaël Veyssière : L'impression qui domine, c'est d'abord la détermination. La détermination à se battre, la détermination à résister, défendre, attaquer, mais aussi la détermination à réformer le pays.

Et pourtant, il n'est plus vraiment question de contre-offensive aujourd'hui ?

Je pense qu'il faut se détromper sur ce point. Il y a à la fois beaucoup de défense et l'Ukraine bloque les Russes dans le Donbass et les Russes perdent beaucoup de monde. Mais l'Ukraine continue aussi à essayer de progresser dans le Sud. Il y a des progrès qui sont, c'est vrai, très hors de proportion par rapport à ce qui avait été souhaité, espéré, annoncé. Mais cette contre-offensive se poursuit. Il y a des têtes de pont du côté de Kherson. Et puis elle se poursuit aussi dans l'axe d’Orikhiv. C'est le combat de leur vie. C'est 628 jours de guerre aujourd'hui et les Ukrainiens font face et ils font face avec le soutien de leurs amis, bien entendu, mais ce sont eux qui se battent sur le terrain.

Mais plus le conflit dure, plus ça profite à la Russie ?

Là-dessus, je pense qu'il faut savoir raison garder parce qu'en réalité, personne n'aurait cru que l'Ukraine puisse résister dès le premier jour à la Russie et c'est ce qu'elle a fait. Au début, elle était toute seule. Aujourd'hui, elle n'est plus toute seule. Elle est soutenue par beaucoup de membres de la communauté internationale et elle a toujours ce courage admirable.

"Au fond, ce qui est vraiment la clé, c'est le courage des Ukrainiens, la détermination des Ukrainiens."

Gaël Veyssière, ambassadeur de France à Kiev

à franceinfo

Je crois que la population ukrainienne a compris que la guerre serait longue, mais elle est toujours aussi déterminée à se battre et à rester unis face à l'agression russe.

Ça veut dire que l'idée de négocier avec Moscou, qui est parfois évoquée ici en France, ce n'est même pas un débat à Kiev, dans la classe politique, dans la société ?

Pour l'instant, l'idée de négociation n'est pas du tout un débat, non, effectivement. Et vous connaissez la position de notre président de République qui l'a rappelée à la BBC il y a quelques jours : c'est aux Ukrainiens de déterminer quand et comment ils souhaiteront négocier. Pour l'instant, ils ne le souhaitent pas, parce qu'ils espèrent pouvoir continuer à reconquérir leurs territoires. Et leur objectif, c'est bien l'intégrité, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine.

La semaine dernière, à Paris, la femme du président ukrainien Olga Zelenska le disait : "Ne nous oubliez pas". Est-ce qu’il y a un risque que ce conflit ukrainien soit oublié et passe au second plan, notamment parce qu'il y a une autre guerre au Proche-Orient ?

Je pense que ce serait dramatique si c'était le cas. L'actualité impose plusieurs crises à la fois et on ne peut pas tellement choisir. Les crises internationales arrivent quand elles arrivent et il faut faire face. Je crois que les Ukrainiens ont compris cela et sont déterminés à rappeler au monde leur situation. C'était le sens de la visite de madame Zelenska. Mais, c'est aussi le sens de l'engagement français et international. Le ministre de l'Agriculture était à Kiev il y a deux jours. Le ministre des Armées est allé à Kiev. Madame Colonna, la ministre de l'Europe et des affaires étrangères est allée à Kiev.

Est-ce que les livraisons d'armes continuent ?

Le soutien militaire français, y compris par des livraisons d’armes, continue. Mais le nouvel horizon, qu'a expliqué le ministre des Armées quand il est venu avec 19 chefs d'entreprise à Kiev fin septembre, c'est de pouvoir produire ensemble des armes en Ukraine. Ce qui permet évidemment de raccourcir les délais à la fois de production et de livraison. Et puis, c'est aussi l'intérêt de l'Europe parce qu'en réalité, on voit bien que collectivement, notre continent a besoin de produire plus d'armes pour pouvoir se défendre le cas échéant.

En fin de semaine dernière, la Commission européenne recommandait l'ouverture de négociations en vue d'une adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne. C'est quoi la prochaine étape ?

La prochaine étape, c'est le Conseil européen de décembre, mi-décembre exactement, pour savoir s'il va donner son accord à l'ouverture des négociations. Et après, il y a tout un tas d'étapes techniques.

Ça ne veut pas dire que c'est un peu une promesse en l'air, une promesse qu'on fait parce que c'est la guerre ?

Pas du tout. Parce qu'en réalité, l'Ukraine a fait énormément d'efforts et d'ailleurs, Catherine Colonna le dit, c'est la juste reconnaissance des efforts qui ont été faits par l'Ukraine. En fait, c'est un pays qui se bat, mais c'est aussi un pays qui se réforme. Et il y a une très forte attente des Ukrainiens de devenir un pays européen normal. Pour ça, il faut se battre. Mais il faut aussi se réformer, lutter contre la corruption et affirmer l'État de droit, réformer la justice.

Il n'y aura pas d'élections présidentielles l'année prochaine. Ce n'est pas possible ?

Alors pour l'instant, non, c'est très compliqué. C'est un choix qui relève vraiment des Ukrainiens, naturellement. En revanche, les réformes, elles ont lieu maintenant. Mais ce qu'il faut bien voir, c'est qu'il y a une forte demande de la population. Et c'est un peu ça qu'incarne aussi le président Zelensky : c'est la volonté de se battre, mais aussi de réformer le pays. Parce qu'encore une fois, les Ukrainiens sentent qu'ils sont unis : ils sont unis contre la Russie, mais sont aussi unis pour que leur pays devienne un pays occidental, européen "normal", si j'ose dire. Mais on en est très loin, bien sûr, parce que c'est la guerre.

Quand on parle du soutien des Occidentaux, il n'y a pas le vertige d'une victoire de Donald Trump et de la fin du soutien des Américains en fin 2024 ?

C'est naturellement quelque chose dont on parle à Kiev et dont les Ukrainiens peuvent parfois s'inquiéter. Eux-mêmes nous disent qu'ils sont très confiants dans le fait qu'il y aura un soutien transpartisan au Congrès pour leur cause et que quoiqu'il se passe en 2024, ça ne changerait pas le soutien américain. Ce qui est certain, c’est que la clé de la situation, pour l'instant, c'est ce qu’il se passe sur le terrain militaire. La diplomatie suit le militaire et pas l'inverse. Et d'ici novembre 2024 ou janvier 2025, on est encore fort loin. Encore une fois, la clé de tout, c'est quand même l'unité du pays.

À quoi ressemble votre quotidien d’Ambassadeur de France à Kiev dans un pays en guerre aujourd'hui ?

C’est d’abord un quotidien qui est très normal. Et puis, brusquement, au milieu de cette normalité, il y a une alerte aérienne. Il faut aller dans des abris. Parfois, les sirènes ne sonnent pas parce qu'il y a des missiles supersoniques qui vont plus vite que la sirène. C'est ce qui s'est passé encore ce week-end à Kiev. Et donc, il y a une espèce de rappel brutal. Parfois, on n'est pas très rassuré, mais on essaye de pas trop y penser. Mais ceci-dit, je voudrais dire que, moi ou les gens de mon équipe, ceux qui arrivent maintenant depuis l'année dernière sont des gens qui sont préparés à ça. Et je voudrais rendre hommage aux Ukrainiens parce que moi, s'il y a une alerte aérienne et que la sécurité me dit "Monsieur l'ambassadeur, il faut descendre dans l’abri", je le fais. Mais je ne m'inquiète pas parce que mes enfants, ils ne sont pas ici, ils sont en France avec ma femme, à Paris. C'est un poste géographiquement séparé. Les Ukrainiens, y compris ceux qui travaillent pour l'ambassade, ils ont des choix difficiles à faire. Est-ce que je réveille mon enfant par -8 ou par -10 degrés à 2 h du matin pour l'emmener dans le métro ? Est-ce que je le mets dans la baignoire en espérant qu'il ne se passe rien ? Est-ce que je le laisse dormir et je prends le risque ? Et ça, c'est des choix qui sont absolument terribles. Je crois qu'il ne faut pas les oublier.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.