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A la Grande-Synthe, 3000 migrants dans le froid et un océan de boue

Le camp de Grande-Synthe (Nord) est confronté à un afflux rapide de migrants et la situation sanitaire est délicate. Après Calais, voici "l'autre jungle", où des milliers de personnes vivent dans la boue et de simples tentes.

Article rédigé par Fabien Magnenou - Envoyé spécial à Grande-Synthe
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Un migrant aménage un espace pour installer une tente dans le camp de Grande-Synthe (Nord), mardi 29 décembre 2015.  (F. MAGNENOU / FRANCETV INFO)

Quelques patients sont assis sur un banc, posé en plein air. Parmi eux, des enfants toussotent. Tous ont reçu un petit ticket numéroté. Cet après-midi là, deux médecins et deux infirmiers vont recevoir plus d'une quarantaine de personnes au total, dans une ambulance et une tente installées par Médecins du monde dans le camp de migrants de Grande-Synthe (Nord). Plus de 2500 migrants se sont échoués dans cette mer de boue de 20 hectares, et le nombre de tentes augmente de manière exponentielle. 

Une autre ONG, MSF, finit d'aménager un conteneur pour accueillir les consultations. "J'ai mal ici", explique un jeune homme, en désignant ses poumons. Littéralement plié en deux, un autre se plaint de maux de ventre. Une bénévole s'inquiète du sort d'une fillette, avec une vilaine croûte sur le front.

  (F. MAGNENOU / FRANCETV INFO)

Des centaines de tentes flottent dans la boue

Les pathologies sont récurrentes : problèmes ORL (angines, bronchites, pharyngites), gastro-entérites ou affections dermatologiques. Certains souffrent d'eczéma, révélateur de la précarité ambiante, et de rares cas de gale ont été signalés. Plus inquiétant encore, des enfants ont dû être hospitalisés pour éviter des complications respiratoires.

Ici, la plupart des occupants rêvent de gagner le Royaume-Uni, mais pour l'heure, tous sont embarqués dans une méchante galère. De l'avis des ONG présentes sur place, la situation frôle désormais la catastrophe humanitaire. Ce jour-là, il n'a pas plu une seule goutte et pourtant, d'immenses flaques trouent le site. Compte tenu des "caractéristiques marécageuses" du camp, les cailloux déversés par la mairie ne servent pas à grand-chose.

Pire, le sol est couvert d'immondices. Malgré l'acharnement de nombreux volontaires, la boue mâche et remâche les déchets les plus divers : canettes, papiers, jouets, draps, épluchures... "Le problème, c'est qu'il y a parfois des distributions qui ne correspondent pas aux besoins, explique un volontaire de MSF. On a déjà vu des volontaires indépendants distribuer des talons aiguilles ou du saumon fumé ! Mais quand il y a du gaspillage, les denrées périssables sont jetées par terre et salissent le site." Sur son site, l'association dénonce également la présence de rats. La mairie opère deux opérations de dératisation par semaine.

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Une toilette pour 40 personnes, 48 douches pour 3000 migrants

L'eau claire est précieuse. Plusieurs panneaux rappellent que les équipements sanitaires ont été fournis par la mairie, en plusieurs langues. Ils sont malheureusement sommaires et leur nombre est insuffisant. Médecins sans frontières dénombre une toilette pour 40 personnes, quand il en faudrait deux fois plus. Même problème pour les 48 douches, prises d'assaut. De nombreux occupants ne peuvent se laver tous les jours.

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Faute de mieux, l'association songe à détacher des employés pour mieux organiser les lieux, quitte à réserver une quinzaine d'espaces aux femmes et aux enfants, voire à rationner l'eau chaude avec un chronomètre. "On a toujours un train de retard par rapport aux besoins, résume Florence Vanderborght, de Médecins du monde. Les autorités ont du mal à anticiper, c'est vrai, mais on ne sait même pas combien on sera dans deux mois !" De 70 migrants pendant l'été, le chiffre est passé à 880 début octobre, puis 1600 quinze jours plus tard. Il approche aujourd'hui 3000.

Comme beaucoup d'occupants de la "jungle", Hawraz vient d'Irak. Guère rancunier pour l'accueil qui lui est réservé, il a planté un drapeau kurde près de sa tente, accompagné d'un petit drapeau français. Autrefois installé près d'Erbil, cet ancien vendeur de vêtements a fui le pays avec sa femme, enceinte. Il espère obtenir un permis de séjour en France. Lui aussi souffre des mauvaises conditions sanitaires. "Il y a deux jours, j'ai eu beaucoup de toux et très mal à la tête, j'ai dû aller voir un médecin." En attendant des jours meilleurs, il avale des graines de tournesol. Forcément, le sort de sa femme l'inquiète.

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L'arrivée du froid fait naître des risques d'incendie et d'intoxication

Ici, au Basroch, il y a de la place pour "10 000, voire 20 000 personnes", de l'aveu même du maire Damien Carême (EELV). Mais en attendant de conquérir les zones encore vides, les tentes sont montées les unes à côté des autres. Cette promiscuité augmente encore la précarité sanitaire des occupants. Arrivé du Koweït, Knight vit avec sa mère et son frère dans une petite tente Quechua. Mais "le docteur nous a dit d'en trouver une autre, parce que c'était mauvais pour la santé de ma mère." Armé d'une pelle et de palettes, il s'est donc mis au travail, alors qu'un vent froid balaie le site. Le tissu neuf est tout aussi mince que l'ancien. Ses efforts paraissent presque vains.

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Malgré ces conditions précaires, les migrants préfèrent vanter le travail des associations françaises que dénoncer les manquements de l'Etat. C'est le cas d'Omed, qui s'avance aidé d'une béquille. Kurde syrien, cet ancien peshmerga a combattu l'Etat islamique à Kobani. Il y a un an, une mine a failli lui souffler la jambe. Le voilà à Grande-Synthe depuis une semaine, et son cas fait enrager les autres Kurdes qui l'entourent : "Ce n'est pas normal que la France le laisse ici, avec sa jambe qui lui donne encore plus froid ! Qu'allez-vous faire pour lui ? Vous devez le sortir de là !" Sur son portable, Omed fait défiler des photos où il apparaît en tenue de combat. Le héros de Kobani ne revendique aucun ressenti ; il concède tout au plus une situation "pas très normale".

Pour lui comme pour les autres, l'hiver commence à peine. Et si les températures ont été clémentes jusqu'ici, le froid risque encore d'aggraver la situation. Les associations craignent notamment des incendies ou des intoxications au monoxyde de carbone, quand les feux sont allumés à l'intérieur des cahutes. Si de rares extincteurs sont parfois accrochés sur le site, il n'est pas certain qu'ils suffisent en cas de drame, tant l'endroit est encombré de tentes et de bois.

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Face à ce désastre humain, les pouvoirs publics ont promis d'agir. Le maire de Grande-Synthe, Damien Carême, a rencontré le ministre de l'Intérieur pour évoquer le déménagement du site, fin décembre. Reste à savoir où et quand. Bernard Cazeneuve devrait sans doute apporter des précisions lors de sa venue sur le camp, prévue au mois de janvier. En attendant, les espoirs de ces milliers de migrants se noient dans la boue.

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