Lampedusa : comment éviter de nouveaux naufrages
Le naufrage d'un bateau de migrants relance le débat sur la politique migratoire de l'Union européenne et de ses membres, fortement critiquée.
Plus de 130 morts, quelque 200 disparus. Le naufrage d'un bateau de migrants, jeudi 3 octobre, au large de l'île italienne de Lampedusa frappe par son ampleur. Mais chaque semaine, des migrants originaires d'Afrique subsaharienne ou du Maghreb trouvent la mort aux portes de l'Europe. Selon l'ONG United for Intercultural Action, qui a travaillé à partir d'articles de presse et de témoignages d'associations, 17 000 personnes sont mortes depuis 1993, en tentant de rallier le vieux continent.
Comment éviter de tels drames ? Francetv info a posé la question à des ONG et des chercheurs spécialistes des politiques migratoires.
Respecter le droit maritime
De toutes les voies migratoires, la mer reste la plus dangereuse. Les migrants s'entassent dans de fragiles embarcations qui chavirent au moindre problème. Contacté par francetv info, le président du réseau d'ONG Migreurop, Olivier Clochard, demande le respect de l'obligation de prêter assistance (Article 98 de la convention des Nations unies sur le droit de la Mer). Il accuse les pays membres de l'Union européenne de "criminaliser l'aide aux boats peoples".
Il estime par exemple que l'attitude de Malte, qui a refusé début août qu'un pétrolier chargé de migrants sauvés des eaux n'accoste dans l'un de ses ports, donne "un signal fort aux acteurs de la marine marchande pour les dissuader porter assistance aux migrants". En 2011, en pleine guerre de Libye, la marine française avait également été accusée de non-assistance à personne en danger.
Certains veulent aller plus loin. "Il faut ouvrir des couloirs humanitaires maritimes", explique à francetv info Pierre Henry, président de l'ONG France Terre d'Asile. Une proposition partagée par la ministre italienne de l'Intégration, Cécile Kyenge, qui y voit un moyen de "rendre plus sûres ces traversées sur lesquelles spéculent des organisations criminelles".
Harmoniser les politiques européennes
Signé en 1997, le traité d'Amsterdam prévoyait que les pays membres de l'Union européenne transfèrent à l'UE leurs compétences en matière d'asile et d'immigration. Seize ans plus tard, peu de progrès ont été réalisés sur ce point. "Les politiques migratoires, fragmentées, sont entre les mains des Etats-membres et considérées à l'aune de préoccupations intérieures", regrette Michele Cercone, le porte-parole de la commissaire en charge de ce dossier, Cecilia Malmström.
De fait, des compétences cruciales ne sont pas du ressort de l'Union européenne. "On ne peut pas accuser l'UE d'être responsable de ces tragédies parce qu'elle n'a pas de compétence pour le secours en mer", observe pour francetv info Corinne Balleix, chercheuse à Sciences-Po et auteure de La politique migratoire de l'Union européenne (La documentation française).
Le seul volet où des progrès concrets ont été enregistrés concerne le contrôle des frontières, avec l'agence Frontex, créée en 2004, et Eurosur, qui entrera en vigueur fin 2013. "Là, il y a des applications concrètes et des systèmes opérationnels, c'est là que cela fonctionne le mieux. Quand il s'agit d'accueillir et d'être solidaire, c'est plus difficile", ajoute la chercheuse, qui mentionne tout de même le "paquet asile", adopté en juin.
En finir avec le tout sécuritaire
Cet accent mis sur le contrôle plutôt que sur d'autres points comme l'accueil et le développement est vivement critiqué, notamment par le rapporteur spécial sur les droits de l'Homme des migrants de l'ONU. "Les politiques qui dissuadent les gens de venir ne fonctionnent pas", résume à francetv info Camille Schmoll, chercheuse au sein du programme Myriade, qui observe les migrations irrégulières sur les îles méditerranéennes.
L'exemple des îles des Canaries (Espagne), qui ont drastiquement réduit l'afflux de migrants sur leurs côtes en signant notamment des accords de reconduite immédiate avec les pays de départ, comme l'explique Le Monde, ne lui paraît pas pertinent. "Les migrants passent ailleurs. Il y a d'abord eu Gibraltar, puis les Canaries. Nous les retrouvons maintenant à Lampedusa, à Malte ou à l'Est de la Méditerranée", observe-t-elle. Ces accords de réadmission "sont très fragiles", poursuit-elle, en citant l'exemple de l'accord entre la Libye et l'Italie, balayé par la chute du régime du colonel Kadhafi.
Que faire à la place ? Certains chercheurs, comme le géographe Serge Weber, estiment que "la seule solution, c'est d'ouvrir les frontières". Difficile à défendre dans le contexte politique actuel, cette piste est cependant étudiée de près. Camille Schmoll participera à une simulation de scénarios d'ouverture de frontière dans un mois.
En attendant, le président de France Terre d'Asile, Pierre Henry, demande d'abord que les responsables politiques européens fassent le bilan des politiques actuelles. Il souhaite ensuite qu'ils étoffent la boite à outils, principalement sécuritaire, avec des programmes de développement et d'accueil. "Il n'y a pas de solution miracle, il y a une palette de solutions sur laquelle il faut travailler", résume-t-il.
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