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Naufrage en Méditerranée : pourquoi l'Europe est sur le banc des accusés

Après le naufrage ce week-end d'un chalutier transportant des migrants au large de la Libye, qui fait craindre la mort d'au moins 700 personnes, ONG et dirigeants pointent les insuffisances européennes.

Article rédigé par franceinfo
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Le navire des garde-côtes italiens "Bruno Gregoretti" mouille dans le port de La Vallette (Malte), le 20 avril 2015. (DARRIN ZAMMIT LUPI / REUTERS)

"Maintenant, il nous faut une réponse forte et sérieuse de l'Europe. Assez de cette hécatombe en mer." La maire de Lampedusa (Italie), Giusi Nicolini, lance un appel (en italien) à l'Union européenne, après le naufrage d'un chalutier en Méditerranée qui fait craindre la mort d'au moins 700 migrants. Face à l'horreur, les ministres européens des Affaires étrangères ont décidé de se réunir, lundi 20 avril à Luxembourg, pour évoquer la question.

Plus de 900 migrants ont perdu la vie depuis le début de l'année en mer en effectuant la traversée entre la Libye et l'Italie, contre moins de 50 sur la même période l'année dernière, assurent les organisations humanitaires. Elles pointent du doigt le manque de solidarité européenne dans le dossier. Explications.

Les moyens de l'opération Triton sont limités

"Nous devons renforcer le nombre de bateaux qui sont dans le cadre de l'opération Triton", a reconnu François Hollande, dimanche sur Canal +. Cette opération de surveillance des frontières est beaucoup plus modeste que Mare Nostrum, l'opération italienne de sauvetage interrompue en décembre 2014. Cette dernière avait permis de sauver 150 000 vies en seulement une année, selon Rome, pour un coût estimé de 114 millions d'euros. Trop cher pour l'Italie, qui a décidé de passer le relais à l'UE.

Mais l'opération Triton – anciennement nommée Frontex plus – est bien moins dotée que Mare Nostrum, puisqu'elle ne dispose que de trois avions et neuf navires, comme le rappelait Le Monde. Reconduite en février jusqu'à la fin de l'année, l'opération Triton a été dotée de 18 millions d'euros sur la période. Face à ces moyens jugés dérisoires, les dirigeants italiens ne cachent plus leur agacement, à commencer par Paolo Gentiloni, le ministre des Affaires étrangères italiens. Avant même le dernier naufrage, il accusait déjà l'Union européenne d'ignorer totalement le problème et d'abandonner Rome.

L'UE est la plus grande superpuissance économique de notre époque et il n'est pas possible qu'elle ne consacre que trois millions d'euros par mois à l'aide aux migrants.

Paolo Gentiloni, ministre des Affaires étrangères italien

"Corriere della sera"

Certains observateurs insistent donc sur le nécessaire effort financier à apporter. "Il faut une opération Mare Nostrum européenne", réclame l'Agence des Nations unies pour les réfugiés. Celle-ci réclame, entre autres, une opération européenne robuste pour la recherche et le sauvetage, et un dispositif de l'UE pour compenser les compagnies maritimes engagées dans le sauvetage de personnes en mer. Bernard Kouchner, ancien ministre des Affaires étrangères, propose une "flotille européenne de secours", dans Le Parisien. "Pour chaque pays, un bateau de secours. Et s'il en faut deux, et bien, on en envoie deux !"

L'opération Triton a pour but de contrôler, pas de sauver

"[L'opération Triton] n'a pas de patrouille en eaux profondes et les équipements sont insuffisants (...). Ils n'ont pas de mandat, ils sont une agence de protection des frontières", a dénoncé lundi le directeur de l'Organisation internationale pour les migrations, William Lacy Swing. La mission première de Triton est, en effet, de surveiller les frontières. Les navires restent dans une zone de 30 miles (environ 50 km) des côtes italiennes, sans aller plus bas vers les côtes libyennes, contrairement à Mare Nostrum.

"Selon le mandat de l'agence Frontex, l'objectif principal de l'opération Triton sera le contrôle des frontières, mais je dois souligner que, comme dans toutes nos opérations maritimes, nous considérons que sauver des vies est une priorité absolue pour notre agence", avait résumé le directeur exécutif de Frontex, Arias Fernandez. Mais ces deux missions ne sont pas toujours remplies. Début février, deux navires chargés de contrôler la zone stationnent, au même moment, à Malte et en Sicile pour être ravitaillés. Après un appel de détresse, les vedettes des garde-côtes mettent six heures à venir secourir une embarcation qui contenait 105 personnes dans une mer déchaînée. Elles mettront tout autant de temps à se rendre à Lampedusa. Un délai qui coûtera la vie à 29 migrants qui finiront par mourir de froid.

Dès la mise en œuvre de l'opération Triton, certaines ONG avaient fait part de leurs inquiétudes. "En cas de situation de détresse constatée pendant l’opération Triton, les embarcations concernées seront transférées sous la responsabilité du Centre de coordination et de recherche en mer compétente (le centre italien ou le centre maltais), expliquait alors Amnesty International. A ce moment-là, l’opération de contrôle des migrations cessera au profit du sauvetage en mer."

Certains acteurs font preuve de désintérêt voire d'hostilité face à cette question

Lors de la mise en place de l'opération Triton, en octobre dernier, seuls huit pays ont mis à disposition des moyens : la France, l'Espagne, la Finlande, le Portugal, l'Islande, les Pays-Bas, la Lituanie et Malte. C'est peu. D'ailleurs, certains Etats n'ont aucune envie de s'impliquer. Le Royaume-Uni estime, par exemple, que cette opération est "un facteur d'attraction involontaire" des migrants. Dans le même temps, le Premier ministre grec Alexis Tsipras plaide pour l'organisation d'une conférence des dirigeants des pays méditerranéens de l'Europe pour aborder cette question.

En Italie, Matteo Salvini est très remonté sur la question. Le médiatique secrétaire de la Ligue du Nord a récemment dénoncé une "'invasion de clandestins", affirmant qu'il s'agit d'une "énième démonstration que l'Europe ne nous sert à rien", selon des propos cités par l'Ansa (en italien). Selon lui, "plus nous invitons de clandestins à venir, plus il en meurt."

"Dans beaucoup de pays d'Europe, en ce moment, le débat public et la rhétorique sont assez extrémistes et irresponsables", estime pour sa part Laurens Jolles, haut-commissaire des Nations unies aux Réfugiés, citée par le Guardian (en anglais). Selon elle, ces discours freinent la mise en œuvre d'un plan d'action. "En raison des élections et de la crise, il est de plus en plus difficile pour les partis qui ne suivent pas cette ligne de contrer cette rhétorique avec toute la force nécessaire".

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