Pourquoi la Turquie bloque (à nouveau) l'entrée de la Suède dans l'Otan
"La Suède ne doit pas s'attendre à un soutien de notre part pour l'Otan." En une phrase, le président turc Recep Tayyip Erdogan a douché, lundi 23 janvier, les espoirs suédois d'entrer dans l'Otan. Suédois, Finlandais et Turcs négocient depuis des mois pour parvenir à une solution permettant aux deux pays scandinaves d'intégrer l'Organisation du traité de l'Atlantique nord. La Turquie bloque depuis mai leur entrée, leur reprochant d'héberger des militants et des sympathisants kurdes qu'elle considère comme des terroristes, notamment ceux du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Les trois pays avaient trouvé un terrain d'entente puisqu'un mémorandum d'accord avait été signé en juin, mais les récentes manifestations anti-islam en Suède ont à nouveau stoppé les discussions.
Des relations qui se dégradent
La situation entre Stockholm et Ankara s'envenime le 12 janvier. Ce jour-là, un montage vidéo est diffusé sur Twitter par des militants prokurdes. Il montre l'exécution du dictateur italien Benito Mussolini en 1945, puis un mannequin de Recep Tayyip Erdogan pendu au bout d'une corde devant l'hôtel de ville de Stockholm. "L'histoire a montré que c'est ainsi que finissent les dictateurs", est-il écrit. L'un des militants à l'origine de cette action revendique auprès de l'AFP une "provocation" au nom de la liberté d'expression. Car les négociations poussives avec Ankara sur l'adhésion de la Suède à l'Otan ont installé la crainte que le pays nordique ne soit prêt à trop de sacrifices, notamment vis-à-vis de la Turquie.
Si le Premier ministre suédois Ulf Kristersson dénonce un acte "extrêmement grave", Ankara ne tarde pas non plus à réagir. L'ambassadeur de Suède est d'abord convoqué par le ministère des Affaires étrangères turc. Puis un conseiller de Recep Tayyip Erdogan menace à propos des négociations en cours : "Nous voulons avancer et progresser mais si ce genre d'incidents continue, cela ralentira le processus."
Dans un contexte déjà tendu, les mots du chef de l'extrême droite suédoise, Jimmie Akesson, n'aident pas. Le leader de la première formation de la majorité parlementaire et première force de soutien du Premier ministre Ukf Kristersson appelle ensuite dans une interview à ne pas trop céder à la Turquie sur l'Otan. "On ne peut pas aller trop loin. Parce que c'est avant tout un système antidémocratique et un dictateur avec lesquels nous devons composer", déclare-t-il. "Je suis chef d'un parti du parti anti-islamiste SD, et j'ai de fortes opinions concernant un dictateur islamiste comme Erdogan. Il est élu par le peuple, oui. Mais c'est aussi le cas de Poutine", attaque-t-il encore.
Un autodafé qui ravive les tensions
Un nouvel épisode fait encore grimper la tension d'un cran le samedi 21 janvier quand le militant d'extrême droite suédo-danois Rasmus Paludan manifeste devant l'ambassade de Turquie à Stockholm, sous importante protection policière et à l'abri de barrières métalliques, et brûle un exemplaire du Coran, comme il l'avait annoncé. Une action d'ailleurs autorisée par la police, selon laquelle rien ne justifiait de l'interdire, décision qui provoque la colère d'Ankara.
La tenue de cette manifestation pousse la Turquie une nouvelle fois à convoquer l'ambassadeur de Suède à Ankara. Et à annuler une visite prévue du ministre suédois de la Défense, qui avait justement pour objectif de tenter de lever les objections d'Ankara à l'entrée de la Suède dans l'Otan.
"La Suède ne doit pas s'attendre à un soutien de notre part pour l'Otan. Si vous ne respectez pas les croyances religieuses de la République de Turquie ou des musulmans, vous ne recevrez aucun soutien de notre part."
Recep Tayyip Erdoganà la télévision turque
La Suède condamne évidemment les actes de Rasmus Paludan, habitué aux autodafés du Coran, dans la foulée. "Les provocations islamophobes sont épouvantables. La Suède a une liberté d'expression très étendue, mais cela n'implique pas que le gouvernement suédois, ou moi-même, soutiennent les opinions exprimées", réagit ainsi Tobias Billström, le ministre suédois des Affaires étrangères, sur Twitter.
Des négociations qui patinent
Ces récents événements n'aident pas la poursuite des négociations qui avaient abouti au mémorandum d'accord signé en juin. Depuis des mois les deux pays cherchent à s'entendre sur l'extradition de militants et sympathisants kurdes que la Turquie qualifie de "terroristes", notamment ceux du PKK. Pour Ankara, tout progrès éventuel dépend des initiatives suédoises pour extrader des personnes qu'elle accuse de terrorisme ou d'avoir pris part à la tentative de coup d'Etat de 2016 contre le président Erdogan. Ce dernier exige actuellement l'extradition de 130 personnes.
Le Premier ministre Ulf Kristersson estimait début janvier que la Turquie voulait "des choses que nous ne pouvons et ne voulons pas lui donner". Selon le gouvernement, la justice suédoise, qui est indépendante, a le dernier mot dans les dossiers d'extradition. Fin décembre, Ankara avait relevé des "mesures positives" prises par Stockholm, mais réclamait "d'autres pas importants" pour lever ses objections. Malgré les récents épisodes, Stockholm affiche encore sa confiance : "La Suède respectera l'accord existant entre la Suède, la Finlande et la Turquie", a affirmé Tobias Billström lundi soir.
Mais preuve que la situation se complique, la Finlande a envisagé pour la première fois mardi l'option d'une adhésion à l'Otan sans la Suède. Une adhésion conjointe des deux pays nordiques reste "la première option" mais "nous devons évidemment évaluer la situation, si quelque chose s'est produit qui fait qu'à long terme la Suède ne peut plus avancer", a estimé le chef de la diplomatie finlandaise Pekka Haavisto.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.