Pourquoi vous devriez vous intéresser de près à ce qui se passe en Pologne
Bruxelles a ouvert une enquête préliminaire sur les récentes réformes décidées par Varsovie, qui menaceraient l'Etat de droit dans le pays.
Bruxelles a mis sa menace a exécution. La Commission européenne a annoncé, mercredi 13 janvier, l’ouverture d’une enquête préliminaire sur les réformes récemment entreprises par le gouvernement polonais. Comme les dizaines de milliers de Polonais descendus dans les rues ces dernières semaines, l'UE craint des atteintes à l'Etat de droit. Francetv info vous explique pourquoi vous devriez vous intéresser à la crise politique en Pologne.
Parce que le gouvernement est en pleine dérive autoritaire
"Ce gouvernement agit contre la Pologne, contre nos accomplissements, notre liberté, notre démocratie, sans compter qu’il nous ridiculise aux yeux du monde." Lech Walesa, ancien président polonais et prix Nobel de la paix, s’est inquiété, à la fin décembre, des récentes mesures adoptées par le gouvernement du parti conservateur et eurosceptique Droit et Justice (PiS).
Le fondateur de Solidarnosc, le mouvement syndical qui a entraîné la chute de la dictature communiste en Pologne, fait écho aux craintes de nombreux opposants au gouvernement. En cause, deux lois adoptées par le gouvernement conservateur en l'espace de deux semaines, précise le Guardian (en anglais).
La première, votée mardi 22 décembre, modifie les règles du vote au sein du Tribunal constitutionnel Polonais. Alors que les 15 juges n'avaient, jusqu'ici, besoin que de la majorité simple pour déclarer une loi inconstitutionnelle, ils devront désormais obtenir la majorité des deux tiers.
La réforme, décidée par le gouvernement, rallonge aussi considérablement le temps d'attente avant l'étude d'une loi et oblige le Tribunal constitutionnel à traiter les dossiers dans l'ordre d'arrivée. Même les textes les plus importants pourraient ainsi attendre jusqu'à trois ans avant d'être étudiés, selon RFI. Conséquence : cette nouvelle loi réduit à néant la capacité du Tribunal à contrôler les lois adoptées en Pologne.
Les parlementaires polonais ont, en outre, adopté, jeudi 31 décembre, une loi controversée sur les médias publics. Elle met un terme aux mandats des actuels dirigeants de la télévision et de la radio, jusqu'ici désignés à travers un concours organisé par le Conseil national de l'audiovisuel, rapporte Arte.
Le ministre polonais du Trésor est désormais chargé de nommer les nouveaux dirigeants, ce qui assure au PiS le contrôle total des médias publics. La loi inquiète d'autant plus les opposants au gouvernement que Jaroslaw Kaczynski, le leader du PiS, a plusieurs fois accusé la presse de faire de la propagande contre son mouvement politique, rappelle Libération.
Parce que le mouvement de contestation gagne en ampleur
Tout est parti d’une page Facebook (en polonais). Mateusz Kijowski, un informaticien de 47 ans, a décidé à la fin novembre de créer le Comité de défense de la démocratie (KOD), après l'annonce du projet de réforme du Tribunal constitutionnel. "J’ai pensé qu’on ne pouvait pas rester impuissant. J’ai créé le groupe sur Facebook, j’ai commandé la création d’un logo auprès d’un ami et nous avons commencé à travailler sur le manifeste, a expliqué ce Polonais, qui ne s’était, jusqu’ici, jamais engagé en politique, selon Euronews. Les amis en ont parlé à leurs amis, et c’est ainsi que tout a commencé."
Ce mouvement civique spontané, dont le nom fait référence à un texte écrit par un ancien membre de Solidarnosc, a très vite gagné en ampleur. Près de 50 000 personnes ont défilé dans les rues de Varsovie, samedi 12 décembre, pour réclamer la démission du président Andrzej Duda, lui aussi issu du PiS. Certains sont même allés jusqu'à accuser les conservateurs de prendre le même chemin qu'Adolf Hitler, qui "a commencé de la même manière [à abattre] la démocratie", comme le rapporte Le Monde.
Ils sont à nouveau descendus dans les rues, samedi 9 janvier, pour réclamer des "médias démocratiques". Les militants ont défilé dans une vingtaine de villes, dont Varsovie, où des participants ont chanté l'hymne de l'Union européenne en agitant des drapeaux polonais et européens.
Et le mouvement de contestation ne semble pas près de s'essouffler : le KOD comptait, jeudi 14 janvier, plus de 120 000 soutiens sur Facebook. Le nombre de Polonais souhaitant rejoindre le Comité est tel que les dirigeants ont décidé de créer des antennes locales pour mieux organiser les actions, selon leur site (en polonais). Face à la demande des médias, le KOD s'est aussi doté d'un service de presse.
En deux mois, l'initiative de Mateusz Kijowski s'est donc transformée en un véritable mouvement d'opposition politique. "Les actions des autorités, leur mépris envers la loi et envers la tradition démocratique, nous contraignent à exprimer notre opposition, explique l'informaticien dans le manifeste du KOD. Nous ne voulons pas d’une Pologne totalitaire, fermée à ceux qui pensent différemment du pouvoir." Prochaine étape : obtenir le soutien d'hommes politiques polonais face au gouvernement du PiS.
Parce que même l'Union européenne est inquiète
Les mesures adoptées par le gouvernement polonais ne sont pas non plus passées inaperçues dans le reste de l’Europe. Après plusieurs mises en garde, la Commission européenne a finalement décidé d'ouvrir une enquête préliminaire sur la réforme du Tribunal constitutionnel polonais. "Il y a des mesures qui ont été prises par le législateur nouvellement élu qui affectent le fonctionnement [de l’institution], a expliqué le vice-président de la Commission, Frans Timmermans, mercredi 13 janvier. C’est, je crois, une question grave dans un pays régi par l’Etat de droit."
L’Union européenne a la possibilité, depuis 2014, d’activer une procédure de surveillance d’un Etat membre lorsqu’il y a un risque d’atteinte à l’Etat de droit, rappelle Europe 1. C’est toutefois la première fois que la Commission a recours à ce mécanisme, dont le but est "d’empêcher toute escalade dans les menaces systémiques envers l’Etat de droit" dans un pays membre de l'Union.
Cette enquête préliminaire n’est que la première étape de la procédure de mise sous surveillance de la Pologne, rappelle Le Point. Si la Commission conclut que les menaces sont avérées, un "avertissement" sera lancé à Varsovie.
"Il ne faut pas surdramatiser. Notre approche est très constructive. Nous ne sommes pas en train de taper sur la Pologne, a toutefois tempéré le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, cité par Europe 1. Nous sommes au début de la procédure. (...) Je ne veux pas spéculer sur ce qui arrivera ensuite."
Varsovie ne voit toutefois pas cette "approche constructive" d’un bon œil. Le ministre polonais de la Justice, Zbigniew Ziobro, a dénoncé une "tentative de faire pression sur un Parlement démocratiquement élu et le gouvernement d’un Etat souverain", dans une lettre au vice-président de la Commission, publiée mercredi 13 janvier sur Twitter (en anglais).
Beata Szydlo, la Première ministre, viendra, en outre, "défendre la réputation de la Pologne" devant le Parlement européen, mardi 19 janvier. Si Varsovie refuse de rentrer dans le rang, Bruxelles pourrait envisager des sanctions. En dernier recours, l’Union européenne a, en effet, la possibilité de retirer à la Pologne son droit de vote lors des sommets et réunions interministérielles.
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