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Roumanie: des législatives à l'ombre de la corruption
Les électeurs roumains votent le 11 décembre 2016 pour renouveler leur Parlement. Un an après une grave crise politique qui a conduit à la mise en place d’un gouvernement de technocrates dirigé par un ancien commissaire européen, Dacian Ciolos. Lequel est candidat à sa succession. Et ce alors que la classe politique reste gangrénée par la corruption.
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Le 30 octobre 2015, un incendie au Colectiv Club, une discothèque de la capitale roumaine, entraînait la mort de 32 personnes et faisait quelque 180 blessés graves. L’établissement avait été ouvert sans autorisation légale.
Le drame a suscité une vague de colère rarement vue dans le pays. Plusieurs dizaines de personnes ont manifesté à Bucarest et dans d’autres villes, en scandant «A bas les assassins!» pour dénoncer la corruption. Les manifestants réclamaient aussi le départ du Premier ministre social-démocrate Victor Ponta et de son gouvernement, au pouvoir depuis 2012.
Celui-ci a alors dû laisser la place à une équipe de technocrates conduite par le francophile Dacian Ciolos (il est marié à une Française), ancien commissaire européen à l’Agriculture, sans étiquette. Un changement politique qui s’est fait sans élection. La majorité sortante est donc restée en place.
En prison, mais réélu
Quelques mois après son éviction, le Parti social-démocrate est sorti vainqueur des élections municipales du 5 juin 2016, avec un score de plus de 40%. Plusieurs maires membres de cette formation, condamnés pour corruption, ont ainsi pu retrouver leur siège. C’est notamment le cas de Catalin Chereches, maire de Baia Mare (nord-ouest), réélu avec pas moins de 70% des suffrages. Problème: l’homme est embastillé pour une affaire de pots-de-vin!
Le PSD détient le record en la matière. Mais le Parquet anticorruption s’intéresse à toute la classe politique. Résultat: depuis 2010, «plus de 3000 ministres, députés, sénateurs, maires et hauts fonctionnaires, qui se pensaient intouchables, se sont retrouvés en prison», observe Le Monde… Pour autant, l’action de la justice n’a pas suffi à enrayer le fléau. Tandis que la majorité parlementaire tentait de bloquer son action.
Ambiguïté de l’opinion publique… Les résultats des municipales «n’ont rien de surprenant», estime le politologue Cristian Pirvulescu cité par La Libre Belgique. Car «la logique qui est à l’œuvre au niveau local est: "Oui, il a volé, mais il a aussi fait des choses pour la communauté". Les citoyens ne font pas de lien entre les scandales de corruption et les élections…» Et l’esprit de l’automne 2015 a vite été balayé par les problèmes du quotidien.
Certains éléments de la société civile ont bien tenté de réagir. Après la crise de 2015, un jeune mathématicien, Nicusor Dan, a ainsi fondé un nouveau parti, l’Union Sauvez Bucarest (USB). Il est arrivé second lors des municipales de 2016 dans la capitale avec 29% des voix. Les partisans de l’USB, qui s’est tranformé en Union Sauvez la Roumanie (USR), vont tenter de transformer l’essai au niveau national le 11 décembre. «Le problème est qu’ils (forment) un parti urbain dépourvu de structure locale», commente Cristian Pirvulescu.
L’ancien commissaire contre la gauche
De son côté, Dacian Ciolos a dû exercer le pouvoir avec une majorité parlementaire qui lui était hostile. Les élus de gauche ont ainsi voté, dans les semaines précédant le scrutin législatif, des mesures «populistes», selon le Premier ministre. Lesquelles menaceraient la stabilité économique du pays, affirme-t-il.
Les députés de la majorité ont notamment adopté des hausses de 15% des salaires dans la santé et l'éducation. Les libéraux (centre droit) ont boycotté le vote. Le ministre du Travail avait souligné que ces hausses coûteraient au budget public environ 1,1 milliard d'euros par an. Soit près de 0,7% du Produit intérieur brut de ce pays, le deuxième le plus pauvre de l'UE.
L'agence de notation Standard and Poor's a récemment mis en garde contre la tendance du Parlement à prendre, «à l'approche du scrutin de décembre, des initiatives (...) qui risquent d'entraîner un creusement du déficit public plus rapide que prévu». Le gouvernement de Dacian Ciolos s'est engagé à limiter ce déficit à 2,95% en 2016.
Depuis sa prise de fonction, ce dernier n’a pas forcément démérité au niveau économique, alors que le pays était sorti d’une sévère récession en 2011. Et ce, grâce à un prêt de 20 milliards d’euros octroyé deux ans plus tôt par le FMI et l’UE en échange d’un programme d’austérité. Sur un an, la croissance du PIB s'est élevée à 4,6% après avoir atteint 5,9% au deuxième trimestre 2016, son plus haut en huit ans. Mais le ralentissement de 0,6% constaté au troisième trimestre inquiète les économistes. Il marque un essoufflement de l'effet de la baisse de quatre points de la TVA intervenu en début d'année, selon l'économiste Ionut Dumitru cité par l’AFP.
Vers une «profonde réforme de l’Etat»?
A l’issue des élections, Dacian Ciolos, qui jouit d’un fort taux de confiance dans l’opinion, a pris goût au pouvoir. «Fort de l'expérience acquise cette année, je pense que les changements lancés doivent continuer», a-t-il écrit sur son compte Facebook le 17 octobre, mettant fin au suspense entourant ses intentions.
Il a invité les partis politiques, la société civile et les hommes d'affaires à soutenir son programme qui propose une «profonde réforme de l'Etat». Son appel a recueilli plus de 20.000 signatures en quelques heures. Il ne sera pas candidat aux législatives du 11 décembre, comme il l'avait promis lors de sa désignation, en novembre 2015. Les libéraux et l'Union Sauvez la Roumanie ont déjà annoncé qu'ils proposeraient Dacian Ciolos au poste de Premier ministre en cas de victoire aux législatives.
Selon plusieurs sondages, ces deux formations recueilleraient ensemble environ 40% des voix, derrière les sociaux-démocrates et leur allié ALDE, crédités d'environ 45% des suffrages. Problème: ces derniers temps, les sondeurs ont émis, un peu partout dans le monde, des prévisions totalement fausses…
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