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Tomislav Nikolic, un ancien allié de Milosevic aux commandes de la Serbie

A la surprise générale, le nationaliste Tomislav Nikolic, 60 ans, a été élu le 20 mai président de la Serbie (49,8 % des voix) face au sortant pro-européen, Boris Tadic (47 %). Il a assuré que la Serbie, candidate à l’UE, «ne se détournerait pas de la voie européenne». Mais peut-on faire confiance à un homme qui a soutenu l'ancien dirigeant Slobodan Milosevic, alias le «boucher des Balkans»?
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Tomislav Nikolic, aux côtés de ses partisans, après l'annonce de sa victoire à la présidentielle le 20 mai 2012 à Belgrade (AFP - ANDREJ ISAKOVIC)

Campagne populiste
«Ce scrutin n’a pas tranché pour savoir qui conduira la Serbie vers l’UE mais qui réglera (ses) problèmes économiques», a précisé Tomislav Nikolic dès son élection. La clef de sa victoire est sans doute là. Le pays est en effet l’un des plus pauvres d’Europe, avec un chômage passé en trois ans de 14 à 24 % de la population. Au cours de la campagne, le nouveau dirigeant a adopté un ton résolument populiste, dénonçant la corruption supposée des élites et promettant de revenir sur les privatisations douteuses des années 2000.

Ses manières simples tranchent avec celles de son prédécesseur, Boris Tadic, qui sort des milieux intellectuels de la capitale. Battu en 2004 et 2008 par le même Boris Tadic, l’homme est peu charismatique et piètre orateur. Et ses «communicants» israéliens n’ont pas réussi à donner une image souriante à son visage dur et fermé.

Allié du «boucher des Balkans»
Tomislav Nikolic est né le le 15 février 1952 à Kragujevac (centre le la Serbie). Un temps responsable d’un cimetière, d’où son surnom de «fossoyeur», il a une formation de technicien du génie civil, ce qui l’a amené à diriger des chantiers ferroviaires.

Il entre en politique comme député au début des années 90, à l’époque des très meurtrières guerres de Yougoslavie et de l'"épuration ethnique", dans les rangs du Parti radical serbe (SRS), des ultra-nationalistes opposés au président d’alors, Slobodan Milosevic. Il soutiendra le «boucher des Balkans» pendant les dernières années de son mandat. Certaines méchantes langues ont noté qu'il avait repris la coiffure en brosse de ce dernier... Le SRS dispose de sa propre milice, les Aigles Blancs.

La traque de Ratko Mladic


Vidéo (en allemand) de la chaîne 3sat, 3-8-2011

En 1998-99, il est vice président du gouvernement de Serbie. Slobodan Milosevic est alors président de la Fédération yougoslave regroupant la Serbie et Monténégro.

En 2003, il est appelé à diriger le SRS, succédant à Vojislav Seselj, en prison à La Haye dans l’attente de son procès devant le Tribunal pénal internation (TPI) pour crimes contre l’humanité (Seselj a été condamné par le TPI à 28 ans de prison le 7 mars 2012). Il multiplie alors les déclarations de soutien aux dirigeants accusés par le Tribunal pénal international, notamment Radovan Karadzic et Ratko Mladic. Il lui est parfois reproché d'avoir appartenu aux Aigles Blancs au sein desquels il aurait participé à des massacres dans le village croate d'Antin. «J'y étais mais personne n'y est mort à cette époque», rétorque-t-il.

Adepte des formules à l’emporte-pièce, le dirigeant ultra-nationaliste n’hésite pas à déclarer en 2007 devant le Parlement que plutôt que d’adhérer à l’UE, son pays ferait mieux d’être «une province russe». Mais pragmatique, il sait évoluer…

L’image d’un pro-européen compétent
«Sentant le vent tourner et ne souhaitant pas finir en prison, Tomislav Nikolic organise alors une scission au sein du SRS le 24 septembre 2008». Il fonde une nouvelle formation, le Parti serbe du progrès (SNS), troquant ainsi le terme de "radical" pour "progrès". Il va alors s’efforcer d’en faire une organisation… pro-européenne. Il suit ainsi l’évolution d’une Serbie qui entend sortir de l’isolement économique et politique dans lequel l’avaient plongée les conflits dans les Balkans. Le pays s’est en effet progressivement détaché du nationalisme radical qui a nourri ces conflits. «Les gens sont épuisés. Ils ont connu beaucoup de guerres», estime un spécialiste des Balkans, Jacques Rupnik, enseignant à Sciences Po.

Dès lors, Tomislav Nikolic s’efforce de donner de lui l’image d’un démocrate pro-européen, responsable et compétent. Il se dit ainsi titulaire d’un diplôme universitaire (en sciences économiques), passé en 2007, dont beaucoup doutent de l’existence… Pour autant, il n’a rien perdu de son sens populiste. En 2011, il a ainsi mené une théâtrale grève de la faim pour demander des élections anticipées, renforçant sa popularité.

Tomislav Nikolic avec le président russe Vladimir Poutine le 26 mai à Moscou (AFP - Alexsey Druginyn - RIA Novosti )

A-t-il vraiment changé ?
Pour ses adversaires, Tomislav Nikolic est resté un démagogue. Ils rappellent que son grand projet présidentiel est de construire «un canal reliant le Danube à la mer Egée».  Mais il n’a pas expliqué comment serait réalisée la voie d’eau… Sa déclaration après sa victoire peut aussi inquiéter. Comme on l'a dit plus haut, il y rappelle l'engagement européen de son pays mais il y affirme aussi: «Le résultat de ces élections montre (...) que la Serbie veut protéger ses peuples du Kosovo». Alors que son prédecesseur s'était efforcé de calmer les tensions sur ce dernier dossier.

La déclaration post-électorale du nouveau président serbe


BFMTV, 21-5-2012

Le fait que Tomislav Nikolic ait effectué en Russie, le 26 mai, son premier déplacement à l’étranger (prévu avant l’élection) a également éveillé quelques soupçons. Pour ménager la chèvre et le chou, le nouveau dirigeant a tenu à préciser qu’il se rendrait à Bruxelles auprès de l’Union européenne pour sa première visite officielle après son investiture, prévue au plus tard le 1er juin.

Au final, Tomislav Nikolic pourrait voir son pouvoir contrebalancé par celui de son ancien adversaire, Boris Tadic, qui pourrait devenir… premier ministre. Lequel, aux termes de la Constitution, détient plus de pouvoirs que le chef de l’Etat. Le Parti démocratique de l’ex-président, deuxième force politique du pays à l’issue des législatives du 6 mai, discute avec le Parti socialiste pour reconduire leur coalition gouvernementale. En clair, c'est une cohabitation à la mode serbe qui va peut-être se mettre en place…

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