Adhésion de la Turquie à l’UE : pourquoi les négociations prennent-elles autant de temps ?
Un quatorzième volet des discussions doit s'ouvrir le 5 novembre. Officiellement reconnue en 1999, la candidature de la Turquie prend plus de temps que celle des autres pays. Francetv info vous explique pourquoi.
Trente-cinq chapitres de négociations, treize ouverts, un seul refermé. Officiellement candidate depuis 1999, la Turquie peine à faire avancer les discussions concernant son adhésion à l’Union européenne, au point mort depuis 2010. L’annonce de l’ouverture, le 5 novembre, du chapitre 22 portant sur la politique régionale a été saluée par le ministre turc des Affaires européennes, Egemen Bagis, qui l’a néanmoins jugée "tardive". Avec le patinage des négociations, les Turcs ont l’impression d’avoir été baladés et l’enthousiasme pro-européen est en net déclin.
En comparaison, la Croatie, qui avait obtenu le statut de candidat officiel en 2004, a intégré l’Union européenne le 1er juillet 2013. Francetv info vous explique pourquoi le cas Turc stagne.
Parce que le pouvoir a violemment réprimé les manifestations place Taksim
L’ouverture du chapitre 22, programmée pour juin, a été repoussée au mois d'octobre, sous l'impulsion de l’Allemagne. Officiellement pour montrer au Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan, la désapprobation des pays membres vis-à-vis de la violente répression des manifestations qui ont eu lieu à Istanbul en juin. Les négociations sur l'adhésion de la Turquie, ainsi reportées après les législatives allemandes de septembre, n'ont donc pas empoisonné la campagne électorale d'Angela Merkel.
Pour Didier Billion, directeur adjoint de l’Iris et spécialiste de la Turquie, il s'agit surtout d'un prétexte. Les débordements du mois de juin ne constituent pas une raison pour expliquer les relations difficiles entre la Turquie et l’UE, puisque les négociations ont effectivement repris. "Il est incontestable que la Turquie a des progrès a faire en matière de démocratie. Mais on peut également se montrer critique envers d’autres pays de l’Union comme la Hongrie, la Bulgarie ou encore la Roumanie."
Parce que le différend avec Chypre n'est pas résolu
Depuis 1974, la Turquie occupe militairement le nord de la République de Chypre, qui se retrouve coupée en deux. Le pays est membre de l’Union européenne depuis 2004, mais la Turquie ne reconnaît toujours pas sa souveraineté. Pour cette raison, Chypre a bloqué en 2006 huit chapitres de négociations. La résolution du conflit par la Turquie conditionne donc son entrée dans l’Union européenne.
"A ce sujet, il n’a jamais été question de concessions de la part de la Turquie", signale Bastien Alex, chercheur à l’Iris et spécialiste de la politique d’élargissement de l’Union européenne. D’autant plus depuis la découverte, en 2012, de gisements de gaz naturel dans les eaux territoriales chypriotes, qui a ravivé les tensions.
Parce que c'est un pays musulman
La question de l’identité européenne n’a jamais été clairement définie, notamment parce que l’une des particularités de l’UE est d’intégrer des pays de cultures variées. "L’idée d’une culture chrétienne propre aux pays européens reste présente dans les esprits", reconnaît Didier Billion. Organisation politique et économique, l’Union européenne n’a pas vocation à se soucier des questions culturelles ou religieuses. Or, "c’est pour ces raisons, souvent non avouées, qu’une partie des dirigeants européens se montrent très réservés quant à la perspective d’intégrer un pays à majorité musulmane", note Bastien Alex.
En mai 2009, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, avait déclaré à Nîmes que "la Turquie n’a pas vocation à devenir membre de l’Union européenne", précisément en invoquant l'argument culturel. Farouchement opposé à son adhésion, il avait opposé le veto de la France sur cinq chapitres des négociations. Mais l'Hexagone s’est un peu déridé depuis l’arrivée de François Hollande. Ce dernier a levé l'un de ces vetos en février 2013, celui portant sur le chapitre 22. Pour Bastien Alex, "la candidature de la Turquie doit être traitée comme les autres, sans considérations culturalistes".
Parce que certaines adhésions ont été délicates
L'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie en 2007, pourtant préparée et négociée pendant quatorze années, a été la plus controversée. Les deux pays, plus pauvres et plus fragiles, sont aussi touchés par la corruption et le crime organisé. Ils soulèvent également des questions sur le plan démocratique. Trois ans plus tôt, l'entrée de dix nouveaux membres (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Chypre, Malte) était, elle, apparue mal préparée politiquement.
Ce qui a poussé l'Union européenne à s'interroger sur les conséquences économiques, institutionnelles et stratégiques de son élargissement. Vingt-huit Etats peuvent-ils gouverner ensemble malgré des intérêts différents et une grande diversité des situations économique, sociale et politique ? Le débat s'ouvre autour d'une "Europe à plusieurs vitesses" pour désigner des degrés d'intégration variables selon les pays. L'idée serait de mettre en place des actions communes, tout en tenant compte des intérêts nationaux des Etats membres de l'UE.
L'impression s'est développée, dans les pays traditionnellement pro-européens, qu'il n'était pas possible d'associer élargissement et approfondissement de l'UE. L'euroscepticisme a lui aussi gagné du terrain au sein même de l'Union. "Tout le monde doute et considère qu'il est plus urgent de régler les problèmes internes avant de continuer à accueillir de nouveaux membres", admet un diplomate de haut rang cité par Le Monde (article payant). La question de la poursuite de l’élargissement se pose davantage aujourd’hui. "Le projet européen est en panne, estime Didier Billion. L'UE n’a pas de perspectives politiques pour le moment. Elle a besoin de se régénérer et cela pourrait passer par l'intégration de la Turquie."
Oui, mais pas tout de suite. Stefan Füle, le commissaire européen à l'Elargissement, qui a rendu le 16 octobre un rapport annuel de suivi sur les pays candidats à l’adhésion, estime qu’il faut avancer petit à petit et "tirer les leçons du passé". Bruxelles a exprimé aux vingt-huit Etats le souhait d’ouvrir rapidement les chapitres portant sur la justice, les libertés et les droits fondamentaux, afin de favoriser la poursuite des réformes de démocratisation en Turquie et dans les pays des Balkans. La Commission européenne souhaiterait également renforcer la gouvernance économique des candidats, afin de maintenir à l'avenir la stabilité de l'Union européenne.
Dans le cas de la Turquie, le processus d’intégration pourrait donc s’étendre encore sur cinq, dix voire quinze ans, estiment les experts.
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