Ukraine: le président Ianoukovitch a-t-il encore la main?
S’il a une qualité, Viktor Ianoukovitch, 64 ans, a au moins celle-là : il a montré qu’il savait rebondir dans un jeu politique ukrainien passablement compliqué. Où, pourtant, peu d’acteurs ont accès…
Le 21 novembre 2004, alors Premier ministre (depuis 2002), soutenu (déjà !) par Vladimir Poutine, il triche pour l’emporter au second tour de la présidentielle face à Viktor Iouktchenko. Un mois avant le scrutin, ce dernier avait été victime d’un empoisonnement à la dioxine et en était restait défiguré. Par la suite, le chef du gouvernement a nié toute implication dans cette rocambolesque tentative d’assassinat, digne d’un scénario de John Le Carré…
Deux jours après l’élection de Ianoukovitch, un demi-million de personnes, soutenues par la blonde et charismatique passionaria Ioulia Timochenko, descendent sur la place de l’Indépendance à Kiev pour soutenir Viktor Iouktchenko. Et demander l’annulation de la présidentielle. C’est le début de ce qu’on appellera la « révolution orange». Un nouveau scrutin a lieu le 26 décembre 2004: le battu d’hier l’emporte avec 51,90 % des suffrages. «Hanté, traumatisé», Ianoukovitch doit quitter le pouvoir.
Après la révolution orange, il semble discrédité à jamais dans ce pays de 46 millions d’habitants aux portes de l’UE. Pourtant, la roue de l’histoire tourne vite. Dès 2006, Iouktchenko rappelle Ianoukovitch comme… chef du gouvernement. Mais l’année suivante, il le remplace par… Iouilia Timochenko.
«Capable d’apprendre»
Apparemment plus que persévérant, Viktor Ianoukovitch a su se réinventer. Aidé par des conseillers en communication américains: il a amélioré sa maîtrise de l'ukrainien, la langue officielle du pays éclipsée par le russe à l'époque soviétique.
En 2010, il remporte la présidentielle de 2010 face à sa rivale Ioulia Timochenko. «C'est un homme capable d'apprendre, de faire des progrès, en ukrainien ou dans la gestion du pays», estime Taras Tchornovil, fils d'un leader nationaliste qui avait été chef de son état-major électoral puis député de son parti.
Cette persévérance hors pair a-t-elle un lien avec une enfance et une jeunesse difficiles ? Orphelin dès l'âge de deux ans, Viktor Ianoukovitch, originaire du bassin ouvrier du Donbass (est de l’Ukraine) est né le 9 juillet 1950. Elevé par sa grand-mère dans une extrême pauvreté, il a purgé trois ans de prison dans sa jeunesse pour vol, coups et blessures, des condamnations annulées ultérieurement par la justice. Par la suite, il devient mécanicien, puis patron d'une entreprise de transport. Avant d’être nommé gouverneur de Donetsk en 1997. A une époque où les luttes de clans ponctuées de règlements de compte faisaient rage pour le contrôle des usines métallurgiques de la région.
Un pragmatique élevé à l’école soviétique
Il se dit qu’Ianoukovitch, formé pendant l’ère soviétique, reste «imprégné» de la culture de cette période. Et donc fermement opposé à l’Occident. D’où son surnom d’«homme de Moscou».
Revenu aux commandes, il se comporte d’ailleurs en digne «homo sovieticus». Il centralise les commandes du pouvoir, il restaure la Constitution de 1996, plus présidentielle. Et met «la main sur les postes clés de l’Etat et des régions, que ce soit la justice, le fisc ou encore les services de sécurité et l’armée», observe Le Figaro. Dans le même temps, en octobre 2011, sa rivale Ioulia Timochenko est condamnée à 7 ans de prison pour abus de pouvoir. Un an et demi plus tard, son arrestation et sa condamnation seront jugées illégales par la Cour européenne des droits de l’homme. Pour l’opposition, cette affaire est un acte de vengeance du président ukrainien.
Viktor Ianoukovitch s’affiche aussi en pragmatique. Revenu au pouvoir en 2010, il affiche sa volonté de se rapprocher de l'UE. L'effort a payé : il y a encore quelques semaines, il apparaissait comme l'artisan inattendu de l'avenir européen de l'Ukraine, dans l'attente de la signature fin novembre 2013 d'un accord d'association historique avec l'Union européenne.
Mais à quelques jours de la signature prévue, après des visites entourées de mystère chez son homologue russe, Vladimir Poutine, Viktor Ianoukovitch a renoncé à cette signature, sous la pression manifeste de la Russie. Dès lors, l'apparemnt pragmatisme du président ukrainien se met à dérailler : il joue un jeu qui devient plus que difficile à déchiffrer…
Affaires en Famille
En fait, explique un ancien ministre de Ioulia Timotchenko cité par Le Figaro, un rapprochement avec l’UE ne représentait qu’«un moyen de continuer à s’enrichir sur le dos de l’Ukraine sans être gêné par la concurrence russe». Car tout en centralisant le pouvoir, la présidence de Ianoukovitch a favorisé la montée en puissance de la «Famille», un puissant clan politico-financier réunissant plusieurs de ses proches, dont son propre fils Alexandre. Lesquels sont accusés de s’enrichir grâce à son influence et par la corruption.
Alexandre, dentiste reconverti dans le business et dont la fortune est estimé à 500 millions de dollars, poursuivrait ainsi, avec plusieurs industriels ukrainiens, de discrètes mais fructueuses affaires à Genève. Le second fils, prénommé Viktor lui aussi, s’est fait élire député. De leur côté, les industriels oligarques, qui tiennent l’économie, et surtout le secteur de l’énergie (gaz, électricité et charbon), n’ont pas été oubliés.
Apparemment, Viktor Ianoukovitch père, ne dédaigne pas croquer au gâteau. Il a apparemment des goûts de luxe et possède une luxueuse résidence de 140 ha près de Kiev. Et la famille possèderait une autre sympathique propriété sur les bords de la mer Noire. Des douceurs qui pourraient s’avérer difficiles à abandonner si l’actuel dirigeant devait quitter le pouvoir… Aujourd’hui, il «se comporte comme une bête blessée. Il ne cèdera pas», prédit d’ailleurs un observateur de l’institut Gorshenin, Dmytro Ostrouchko, cité par Le Figaro.
Viktor Ianoukovitch, autoritaire président
BFMTV, 20 février 2014
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