Cet article date de plus d'onze ans.

Russie-Etats-Unis : "Le monde de la guerre froide était très différent d'aujourd'hui"

La tension est à son comble entre Moscou et Washington, alors que le G20 s'ouvre à Saint-Pétersbourg. Est-ce une raison pour parler de "guerre froide" ? Analyse.

Article rédigé par Pauline Hofmann - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le président américain, Barack Obama (G), et le président russe, Vladimir Poutine, lors d'une réunion du G8 en Irlande du Nord, le 17 juin 2013. (KEVIN LAMARQUE / REUTERS)

"Ouverture du G20 dans un climat de guerre froide", "Le G20 s'ouvre sur fond de guerre froide". Les titres du Monde et du Figaro montrent bien que l’expression revient à la mode pour évoquer les tensions entre la Russie et les Etats-Unis. Des frictions bien réelles, puisque le protocole du G20 a été bouleversé pour éviter que les deux dirigeants ne se retrouvent à la même table.

Francetv info a demandé à Pierre Melandri, historien spécialiste des Etats-Unis, si l'on pouvait réellement comparer la situation actuelle à la période d'hostilité qui a opposé Soviétiques et Américains jusqu'en 1989.

Francetv info : A-t-on raison de parler de guerre froide entre les Etats-Unis et la Russie ?

Pierre Melandri : A cette époque, les Etats-Unis et la Russie s'affrontaient dans le cadre d’un système bipolaire et la crainte était toujours latente de voir une crise déboucher sur un conflit nucléaire. Le monde dans lequel on vit aujourd'hui est très différent. Mais il ne fait aucun doute que la période actuelle est une période de tensions, alimentées par des oppositions sur divers dossiers et, évidemment, exacerbée par les répercussions médiatiques de l'affaire Snowden.

Les Russes ont toujours considéré qu’ils avaient eux-mêmes décidé de mettre un terme à la guerre froide. Et ils ont éprouvé un certain ressentiment quand, après une sorte de "lune de miel" qui a duré jusqu’à l’automne 1993, ils ont découvert que Washington estimait l’avoir gagnée – et qu’ils avaient perdu leur statut d’interlocuteur privilégié des Etats-Unis. Ils se sont rendus compte qu'ils allaient devoir lutter pour continuer à être traités par les Etats-Unis comme une grande puissance. Ils ont été particulièrement sensibles au fait que les Américains ont géré seuls le premier élargissement de l’Otan, ainsi que la guerre du Kosovo, déclarée sans mandat de l’ONU. Aujourd'hui, Vladimir Poutine entend avant tout restaurer l’image de grande puissance de son pays. Il sait qu’il ne peut pas imposer sa vision du monde, mais il lui semble difficile d’accepter que d’autres puissent le faire.

Pendant la guerre froide, le monde était divisé en deux, entre alliés des Etats-Unis et alliés de la Russie. Est-ce encore le cas aujourd’hui ?

Jusqu’aux années 2000, voire jusqu’à la crise financière de 2008, on a vécu dans un monde qui paraissait dominé par les seuls Etats-Unis. Ils ont longtemps donné cette impression, ce qui les a parfois conduits à des erreurs de jugement, comme la deuxième guerre en Irak. Quant à Moscou, durant la même période, son objectif premier était de contribuer à l’émergence d’un monde multipolaire, où la Russie aurait son mot à dire et où, surtout, la position hégémonique des Etats-Unis serait ébranlée. 

C'est la réalité du monde dans lequel nous vivons aujourd'hui. On ne peut plus dire que telle ou telle puissance domine totalement. Et le vrai "problème", aussi bien pour la Russie que pour les Etats-Unis, c’est la Chine. Le Kremlin entretient une relation ambiguë avec son voisin. Il est partagé entre une coopération réelle pour contrer ce qu’il considère comme la volonté de domination américaine et une inquiétude face à la montée en puissance chinoise, qu’il essaie de maîtriser en gardant Pékin au plus près. Du côté américain aussi, la Chine fait partie des préoccupations premières. Barack Obama a affiché, dès 2011, l'intérêt prioritaire des Etats-Unis pour l'Asie. Beaucoup plus que Bush qui, empêtré dans les guerres d’Irak et d’Afghanistan, avait laissé Pékin étendre son influence en Extrême-Orient.

Peut-on dire que les tensions entre les Etats-Unis et la Russie sont constantes depuis la fin de la guerre froide ?

Depuis la chute du régime soviétique, il y a eu des hauts et des bas. Dans les toutes premières années de l’après-guerre froide, il y a même eu une période quasi-romantique entre les deux pays – qui n'a duré que quelques années. Bien plus tard, après le 11 septembre 2001, Poutine a subitement décidé de se poser à nouveau en "meilleur allié" de Washington.

Mais l’invasion de l’Irak, puis le soutien informel des Etats-Unis aux révolutions dans les pays d'ex-URSS l'ont convaincu de revenir à sa première stratégie. Du coup, Obama a fait de l'amélioration des relations américano-russes une absolue priorité. Sa politique a paru un temps couronnée de succès : pendant la présidence de Dmitri Medvedev, les relations étaient plutôt bonnes. Mais tout a changé après l'intervention américaine en Libye. Le Kremlin, qui avait renoncé à poser son veto à l'ONU, a été plus qu’irrité de voir que l’objectif réel de l'action militaire était la chute de Mouammar Kadhafi. Et le retour de Poutine au pouvoir n’a rien arrangé ; les sujets de contentieux se sont multipliés, notamment sur l'Iran et la Syrie.

Aujourd'hui, la tension est à son comble à cause du dossier syrienPour Moscou, les Occidentaux veulent imposer leur solution sans s’inquiéter des conséquences et sans prendre en compte la vision régionale du conflit. Les Etats-Unis, eux, se retrouvent obligés d’intervenir après qu'Obama a évoqué une "ligne rouge" à propos de l’utilisation d’armes chimiques. Sous cet aspect, on ne peut que regretter que le projet d'une conférence internationale sur la Syrie, qu’Américains et Russes avaient acceptée, ne semble plus, pour le moment, d’actualité.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.