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Absence de cadastre, Eglise et armateurs privilégiés… Les lacunes de l'Etat grec pour renflouer ses caisses

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Les drapeaux grec et européen flottent devant le Parthénon, sur l'Acropole d'Athènes (Grèce), le 7 juillet 2015.  (ARIS MESSINIS / AFP)

La Grèce se heurte à des défauts structurels importants, qui limitent les rentrées d'argent via la collecte d'impôts et handicapent le pays, en quête d'une meilleure santé économique.

Le temps presse, mais les réformes à mener sont longues. Malgré deux plans d'aide internationaux de 240 milliards d'euros, la situation de la Grèce ne s'est guère améliorée depuis 2010. Le pays est cette fois-ci au bord de la sortie de la zone euro, avec un sommet crucial prévu dimanche 12 juillet. Si la crise – conjoncturelle – et la récession provoquée par les exigences des créanciers y sont pour beaucoup, les défauts structurels de l'Etat grec expliquent aussi en grande partie l'impasse dans laquelle il se trouve actuellement.

Francetv info passe en revue ces failles et les mesures amorcées pour y remédier.

L'absence de cadastre dans un pays de propriétaires 

Le constat. La Grèce est le seul pays de l'Union européenne à ne pas disposer de cadastre, ce document qui dresse l'état de la propriété d’un territoire. Et qui permet de prélever des impôts fonciers. Comme le rappelle L'Express, cette spécificité a une origine historique, due notamment à la multiplicité des statuts fonciers qui coexistent en Grèce depuis les empires byzantin et ottoman puis le rapatriement des Grecs de Turquie. En outre, "certains terrains n'ont jamais eu de titres de propriété, explique Alekos Velissarios, ingénieur géomètre, à l'hebdomadaire. Traditionnellement, ils se transmettaient par accord oral." 

De quoi rendre la tâche titanesque. Des ébauches de cadastre réalisées lors du règne d'Otton Ier (1832-1862) ont ainsi été abandonnées. Seuls 20% des titres de propriété seraient actuellement référencés, selon L'Express. Selon des chiffres du ministère de l'Environnement cités par L'Obs, un million de logements manqueraient à l'appel dans les registres de l'Etat, ayant été construits sans permis. Un manque à gagner énorme, la Grèce étant l'un des pays d'Europe ayant le plus fort taux de propriétaires (70%).

Les mesures. La mise en place d'un cadastre complet est l'une des exigences de la Troïka (Banque centrale européenne, Fonds monétaire international et Commission européenne). Objectif : récolter plusieurs milliards d'euros.

Le gouvernement socialiste de Georges Papandréou avait introduit fin 2011 une taxe sur l'électricité, à défaut d'un impôt foncier généralisé. "Les coupures pour défaut de paiement ont été fréquentes", relève L'Obs. Ce prélèvement très impopulaire a été remplacé fin 2013 par une nouvelle taxe foncière. Mais sa mise en place a entraîné des ratés, avec un surprélèvement. Et la colère des agriculteurs, désormais taxés – en plus de leurs revenus – sur leurs terrains, cultivés ou non. 

Les propositions du gouvernement. Athènes n'a fait aucune proposition concernant la mise en place d'un cadastre, dans le nouveau document présenté à ses créanciers, jeudi 9 juillet.

L'Eglise et les armateurs, insuffisamment taxés

Le constat. Si la fiscalité foncière tend à évoluer malgré l'absence de cadastre, l'Eglise orthodoxe, toujours rattachée à l’Etat, reste épargnée. Deuxième propriétaire foncier du pays, le clergé jouit d'un patrimoine estimé à 3 milliards d’euros, selon Le Point, qui liste ses 130 000 hectares de terrains agricoles, ses églises, ses hôpitaux, ses restaurants, ses hôtels de luxe et ses actions à la Banque nationale de Grèce. Pour François Lenglet, l'éditorialiste de France 2, l'Eglise bénéficie du "poids des traditions", de "l'inertie politique" et de "la puissance des intérêts acquis".

Au rang des privilégiés fortunés figurent aussi les armateurs. Ils représentent 7% du PIB grec et ont réalisé 154 milliards d'euros de recettes ces dix dernières années. Mais ils sont protégés par la Constitution grecque. Au lieu d'être taxés sur leurs revenus ou leurs bénéfices, ils ne sont prélevés que sur le tonnage, c'est-à-dire la capacité totale de leurs bateaux battant pavillon grec. Face à la perspective d'être davantage imposés pour participer à l'effort collectif, certains brandissent la menace de l'exil fiscal.

Les mesures. L'Eglise orthodoxe a cédé une partie de ses biens à l'Etat en 1987. Quant aux popes, payés par l'Etat, ils ont subi une perte de 30% de leur salaire, comme tous les fonctionnaires du pays.

Pour ce qui est des armateurs, ils ont consenti à un effort en 2013. Comme l'explique La Tribune, la taxe forfaitaire sur le tonnage a été étendue "aux propriétaires étrangers ou aux sociétés de navigation pour les bateaux sous pavillon étranger qui sont gérés par des sociétés grecques ou étrangères installées en Grèce".

Les propositions du gouvernement. Aucune mesure n'est pour l'instant évoquée pour l'Eglise orthodoxe. Alexis Tsipras prévoit en revanche d'augmenter les impôts pour les armateurs.

Une TVA élevée, inégalitaire et objet de fraude

Le constat. Un certain nombre de biens et services en Grèce sont taxés par une TVA à 23%. Face à cet impôt élevé et jugé inégalitaire puisqu'il touche toutes les catégories de population, de nombreux commerçants rechignent à l'appliquer. Une loi récente les oblige à délivrer des tickets à leurs clients et à présenter ces factures aux impôts pour contrôler leurs revenus et les taxes qui vont avec.

Selon un reportage de France 2 réalisé en janvier 2015, les deals entre clients et commerçants pour acheter au noir sans payer la TVA sont moins fréquents. Mais cette pratique se serait ravivée ces dernières semaines, avec l'intensification de la crise. Andreas Andreadis, président de la Sete, confédération du tourisme grec, indiquait dans le Guardian, en mai, qu'environ "40% des tickets de caisse n'[étaient] pas comptabilisés par les petits commerces" dans leur déclaration de revenus. 

A l'inverse, les îles grecques, très prisées des touristes, bénéficient d'un taux de TVA réduit (5% pour les hôtels, contre 6,5% dans le reste du pays, et 9% au lieu de 13% pour les restaurants).

Les mesures. Pour éviter la fraude, un secrétariat général indépendant des recettes fiscales a été créé en novembre 2012, indique Le Monde. Il devait réussir à "imposer le règlement par carte bancaire chez les commerçants, à relier les caisses enregistreuses des magasins aux ministères des Finances et à organiser le recoupement des données bancaires et fiscales pour contrôler l’adéquation entre patrimoine et déclaration fiscale". Selon le quotidien, seul le troisième objectif est atteint. Les créanciers de la Grèce souhaitent par ailleurs une augmentation de la TVA dans les îles.

Les propositions du gouvernement. La Grèce compte unifier la TVA, avec un taux standard à 23%. Les aliments de base, l'énergie, les hôtels et l'eau seraient taxés à hauteur de 13%, alors qu'un taux réduit de 6% serait accordé pour les produits pharmaceutiques, les livres et le théâtre. La TVA allégée dans les îles serait enfin graduellement supprimée, à partir d'octobre.

Une évasion fiscale massive des élites

Le constat. Au-delà de la TVA, la fraude fiscale reste trop pratiquée en Grèce, de l'avis du directeur de la brigade grecque des contrôles fiscaux. En 2012, Nikos Lekkas avait donné raison à la patronne du FMI, Christine Lagarde, qui avait provoqué un tollé en affirmant que "les Grecs devraient commencer par s'entraider collectivement" en "payant tous leurs impôts". "L'évasion fiscale en Grèce atteint 12% à 15% du PIB, ce sont 40 à 45 milliards d'euros par an", avait confirmé Nikos Lekkas. "Si nous pouvions en récupérer ne serait-ce que la moitié, le problème de la Grèce serait résolu", ajoutait-il.

Dans le viseur, entre autres, l'argent placé à l'étranger. Selon Slate, on estimait à 280 milliards d’euros les fonds grecs présents dans les banques suisses en 2012, soit 120% du PIB de la Grèce. "Les services de lutte antifraude ont compté 18 300 entreprises ou indépendants grecs qui possèdent des sociétés offshore", écrit le site d'information. Au total, plus de 76 milliards d'euros d'impôts et de cotisations sociales impayés se sont accumulés en Grèce au fil des années.

Les mesures. Début 2015, une première vague d'arriérés d'impôts d'un montant de 147 millions d'euros a été versée par plus de 150 000 contribuables, qui ont participé au programme de "règlement express" proposé par le gouvernement. Ils se sont acquittés d'impayés remontant parfois aux années 1970. Le gouvernement Syriza estime ne pouvoir récupérer que 9 milliards d'euros, au mieux, sur les 76 milliards d'euros dus au fisc... 

Les propositions du gouvernement. Une série de mesures pour lutter contre l'évasion fiscale a été proposée, jeudi, à Bruxelles. Le gouvernement grec propose par exemple de définir plus précisément le statut d'agriculteur et d'introduire une loi pénale sur l'évasion fiscale et la fraude. Le système de collecte des impôts doit être réorganisé.

Des retraites trop généreuses, selon les créanciers

Le constat. La Grèce est un des pays de l'Union européenne qui compte le plus de retraités : 20,5% de sa population a plus de 65 ans. Selon les données de l'OCDE de 2013, le pays leur consacrait 13% de ses dépenses publiques. Un taux qui atteindrait aujourd'hui 17%, selon les experts du FMI cités par Les Echos. Le niveau le plus élevé de l'UE après l’Italie. En cause, selon le journal économique, l’explosion des préretraites, liée à la faillite des entreprises et aux suppressions de postes de fonctionnaires.

Selon le FMI, le taux de remplacement du salaire reste par ailleurs trop élevé. Toujours selon les données de l'OCDE, de 2012 cette fois-ci, un retraité grec touche une pension égale à 70% de son salaire, contre 57% en Allemagne. Un écart sans doute réduit depuis les coupes successives dans les pensions grecques, relèvent Les Echos.  

Les mesures. Depuis 2010, les retraites ont diminué d'environ 10% à 15% pour les plus faibles (moins de 500 euros par mois) et de plus de 45% pour celles dépassant 3 000 euros. Les 13e et 14e mois ont été supprimés. Le départ à la retraite a été repoussé à 67 ans pour partir sans décote si les 40 ans de cotisations ne sont pas atteints, et le nombre de métiers ouvrant droit à une préretraite a été considérablement réduit. Insuffisant, selon la Troïka, qui réclame une nouvelle baisse du niveau des pensions et la fin des préretraites. Un point d'achoppement important dans les négociations entre la Grèce et ses créanciers.

Les propositions du gouvernement. Athènes propose d'achever la réforme des retraites de 2010 et d'aller encore plus loin avec une nouvelle série de mesures. Le but serait notamment de réduire au maximum les départs anticipés, grâce à un système de pénalités.

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