Grèce : la grande et la petite histoire d'une journée d'élection
Ce dimanche, les Grecs votent pour décider si oui ou non ils acceptent les réformes proposées par les créanciers du pays. Récit d'une journée hors du commun.
"Oxi" (non) ou "Nai" (oui) ? Après neuf jours de longues tractations et de mobilisation, 10 millions de Grecs sont appelés aux urnes ce dimanche pour décider de l'avenir de leur pays. Dès 7h ce matin (6h, heure française) et jusqu'à 19h, 19 159 bureaux de vote logés dans les écoles primaires accueillent les électeurs.
En raison du délai entre l'annonce du référendum et sa tenue, " de nombreux électeurs grecs habitant dans les îles ou travaillant à Athènes n'ont pas eu le temps s'inscrire correctement sur les listes ou n'ont pas les moyens de payer pour faire transmettre leur dossier ", indique Elena, avocate chargée de surveiller un bureau de vote à Athènes. Pour assurer une abstention minimale, les compagnies aériennes reliant les îles grecques au continent, ainsi que les trains et bus proposent des tarifs réduits ou gratuits toute la journée.
Francetvinfo s'est rendu dans plusieurs écoles du centre-ville Athènes à l'heure de l'ouverture des bureaux de vote.
4 800 représentants judiciaires pour assurer les élections
Présente dès 6h du matin dans la petite école rue Ipitou, près de la place Syntagma, Despina est avocate au barreau d'Athènes, elle est inscrite dans le registre de la Cour suprême du pays qui choisit au hasard les représentants judiciaires (juristes, avocats...) chargés de veiller à la bonne tenue des élections. Despina attend 1012 électeurs dans son bureau ce dimanche.
En Grèce, c'est le système judiciaire qui assure le bon déroulement des élections. Les municipalités n'ont qu'un rôle organisationnel, comme l'explique l'agence d'informations grecque AM-MPA. Les municipalités ne doivent prendre en charge que l'aspect logistique des élections, s'assurer que les écoles sont disponibles le jour du scrutin et prévoir le matériel.
" Pour l'instant, nous n'avons eu qu'un seul votant", dit Despina en désignant l'unique enveloppe de l'urne transparente. Accompagnée par Maria, son "amie secrétaire" - une étudiante en droit qui l'aide pour la journée - Despina doit attendre 19h pour comptabiliser les bulletins et les inscrire sur une document officiel, " si on fait des erreurs de calcul, on peut avoir des sanctions ", précise-t-elle, " c'est pour ça qu'on préfère être au moins deux ! "
Alexis Tsipras, accueilli en héros par les nonistes
Au croisement de la rue Kastalias et Kerkivas, dans le quartier du Kypséli au nord d'Athènes, l'école primaire 27-30 a connu l'effervescence vers 10h30. Attendu depuis plusieurs heures par une centaine de journalistes, Alexis Tsipras est venu déposer son bulletin sous les cris, les applaudissements et les chants des partisans du non. "Personne ne peut vivre avec 400 euros ", " Le 'non' appartient au peuple ! ", ont-ils scandé en tentant de suivre leur Premier ministre entre les caméras et micros.
Noyé dans une foule de caméras et de flashs, le Premier ministre s'est rapidement adressé au peuple grec : « Personne ne peut ignorer la détermination d’un peuple à prendre son destin entre ses mains. (...) il faut dépasser la propagande de la peur." avant de quitter l'école et de laisser place aux électeurs, un brin effrayés et fatigués par l'ambiance. Dans la matinée, le président de la République héllènique, Prokopis Pavlopoulos, a voté dans le quartier de Filothei et a appelé les Grecs à rester unis "qu'importe le résultat du référendum".
Un premier vote pour 108 371 jeunes Grecs
Conséquence inattendue de l'annonce du référendum le 28 juin, 108 371 jeunes Grecs tout juste âgés de 18 ans - et inscrits automatiquement sur les listes électorales - peuvent voter lors de ce référendum. C'est le cas de Dimitrios, assis au soleil dans la cour de la 25e école d'Athènes. A la sortie des urnes, le jeune lycéen confie s'être senti "un peu ému", au dépôt de son bulletin. " C'est très important pour moi de voter aujourd'hui car on vote pour l'avenir de notre génération et de nos enfants ", confie-t-il avec sagesse. " Nous les jeunes, on a rien pour vivre, on a l'impression d'étudier pour rien et de ne pas avoir de futur. Voter pour moi est un signe de responsabilité pour mon pays."
Assis à sa droite, son amie Maria roule une cigarette. Le débardeur bardée d'autocollants "OXI", elle n'ose même pas penser à un passage du "oui". "Voter est une incroyable chance. C'est rare que les politiques demandent l'avis du peuple. Si le "oui" passe, je respecterai. C'est la démocratie." Adonis hoche la tête et rajoute : "J'espère quand même qu'il y aura un rassemblement de protestation place Syntagma..."
1000 journalistes accrédités de 40 pays
Selon le Secrétariat général de l'information et de la communication, près de 1000 journalistes de 40 pays différents ont été accrédités depuis le début de la semaine pour suivre le référendum de dimanche. Japon, Albanie, Espagne, Grande-Bretagne, République Tchèque... les rues d'Athènes, toujours aussi frémissantes, vivent depuis une dizaine de jours sous le regard des caméras, micros, appareils photos et calepins.
A la première heure ce dimanche, la plupart d'entre eux attendent à l'ouverture des bureaux de vote l'arrivée des premiers électeurs, souvent surpris par ce remue-ménage. " Les Grecs n'aiment pas trop parler de leur vote à la sortie des urnes ", prévient Theodor, un jeune Grec. " On n'a pas envie que tout le monde sache si l'on a voté juste ou non ! "
Des bulletins de vote distribués... et cochés à l'avance
Ils savent que leur démarche n'est pas complètement légale mais qu'importe, Maria et son équipe sont installés depuis une semaine devant l'école 39 d'Athènes. Ce dimanche, autour d'une table en plastique, ils distribuent des bulletins déjà cochés pour le "non" aux passants : " On le fait surtout pour les personnes âgées ", justifie la jeune femme en français, " Beaucoup d'entre elles n'arrivent pas à lire ou ne savent pas comment répondre." Quand on lui demande si tout cela est bien réglementaire elle répond : " On ne le donne qu'à ceux qui le souhaitent ! ", assure-t-elle.
En effet, la réglementation impose que les électeurs dessinent une croix bien précise dans la case de leur choix : pas de virgule, de fluo, mais une croix bien droite et au stylo à bille bleu de préférence. " Ce que les personnes âgées n'arrivent pas toujours à bien faire ", réplique Maria.
Un chien dans les urnes... pour porter chance
A priori, les chiens ne sont pas les bienvenus dans l'isoloir, mais Effie (à droite sur la photo) a décidé de braver la loi. Venue avec deux amies, Lapini et Elektra elle est accompagnée de "Rocky Balboa", son chien de race carlin, " la race préférée d'Alexis Tsipras " devant l'école où il doit voter. " J'espère vraiment qu'il va venir et voir Rocky, je suis sure que ça portera chance au non ", dit-elle en souriant.
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