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Grèce : l’Europe s’invite dans la politique intérieure

Après Jean-Claude Juncker, c’est Pierre Moscovici qui s’est invité dans la politique intérieure grecque alors qu’Athènes connaît une nouvelle période de tension politique. Une tension qui pourrait déboucher sur des élections législatives et la victoire du parti de gauche Syriza. Un parti épouvantail pour Bruxelles en raison de son refus de la politique d'austérité.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le premier ministre grec Antonis Samaras et Pierre Moscovici, commissaire européen, le 15 décembre 2014 à Athènes (Yiannis Liakos / IN TIME NEWS / AFP)

Le coup de poker du premier ministre grec d’avancer l’élection présidentielle a montré que la souveraineté nationale grecque ne semblait pas tellement plus respectée que sa souverainteté économique au sein de l’UE. 

En effet, par sa décision d'avancer la date de l'élection présidentielle, le premier ministre conservateur, Antonis Samaras, joue l'avenir de sa majorité (union conservateurs-PS, ND-Pasok) et celle de la politique d'austérité imposée par la troïka et Bruxelles au grand dam des marchés qui voient avec horreur le retour d'une éventuelle crise de l'euro. 

Jean-Claude Juncker préfère voir des «visages familiers»
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, s'est invité dans la campagne électorale grecque en lançant le 11 décembre à la télévision autrichienne qu'il «n'aimerait pas que des forces extrêmes arrivent au pouvoir» en Grèce et qu'il «préfère revoir des visages familiers en janvier». En clair, il préfère retrouver comme interlocuteur l'actuel Premier ministre Samaras plutôt que le leader du parti de gauche Syriza, Alexis Tsipras, donné vainqueur par de nombreux sondages en cas de législatives anticipées.
 
Panos Skourletis, porte-parole du Syriza a immédiatement qualifié ces propos «de provocation pour le pays». Il a jugé que Jean-Claude Junker s'était «ingéré de façon grossière» dans le débat politique grec.
 
«Juncker  vote pour Samaras», titrait d'ailleurs samedi, le quotidien Avghi, proche du Syriza.
Sur son compte twitter vendredi, l'eurodéputé Syriza George Katrougalos avait demandé la «démission» de Jean-Claude Juncker en raison de ses propos,  l'accusant de «faire le préfet en Grèce».
 
La commission de Bruxelles a surenchéri en affirmant que «quoi qu'il advienne, le seul scénario viable pour la Commission est de maintenir très fermement» le pays ancré à l'euro, a insisté sa porte-parole.
 
A Strasbourg, l’eurodéputée Syriza, Sofia Sakorafa, a de son côté dénoncé «des maîtres chanteurs impitoyables», en rappelant le passé de patron de paradis fiscal du président de la Commission européenne. «Je m’adresse à M. Juncker, l’hôte de voleurs d’impôts, qui ose indiquer au peuple grec ce qu’il faut voter, a-t-elle lancé. Le peuple grec n’acceptera ni instructions, ni menaces. L’avenir de vos partenaires d’affaires qui l’ont mis à genoux pour vous être agréables est fixé : leur renversement sera bientôt une réalité».
Alexis Tsipras,  l'homme qui fait peur à Bruxelles ? Ici, le leader de l'opposition de gauche à la tribune du parlement grec. (wassilis Aswestopoulos / NurPhoto/AFP)


Moscovici : pas d’ingérence mais…
Le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, venu le 15 décembre à Athènes, a nié «se mêler de la politique» grecque, tout en estimant qu'il serait «dommage» de remettre en cause «tant d'efforts» accomplis par le pays.

«Nous préférerions que l'actuel Parlement élise un président», a indiqué M. Moscovici à Kathimerini. Sans ciller, il a même qualifié d'«homme bien» le candidat officiel à la succession de l'actuel président Carolos Papoulias, l'ancien Commissaire européen Stavros Dimas. Il a malgré tout indiqué que Bruxelles dialogue avec «tous les gouvernements».
 
Interrogé sur le retour d'un risque de «Grexit» - sortie de la Grèce de la  zone euro -, M. Moscovici a déclaré «qu'un tel travail avait été fait par les autorités grecques, tant d'efforts, tant de choses accomplies, que ce serait  dommage de ne pas continuer. L'idée d'envisager de ne pas rembourser une dette énorme est suicidaire», a-t-il encore averti.

Les bons points accordés par Pierre Moscovici à la politique d'austérité grecque a fait bondir un député socialiste français. 
L’eurodéputé Balas a en effet tweeté «Moscovici est en Grèce pour soutenir le gouvernement actuel #avoirjustehonte».

Moscovici est en Grèce pour soutenir le gouvernement actuel#AvoirJusteHonte
Un tweet relayé quelques heures plus tard par son courant, «Un monde d’avance» de Benoît Hamon, qui ajoute même que l’«indignation» de Balas est «légitime».

Quant au journal l'Humanité, il réagissait sur le «bilan flatteur» de la situation grec décrit par Pierre Moscovici. 
«Les discours sur l’introuvable «embellie économique» grecque masquent mal les ravages d’un chômage toujours massif. En septembre, selon les chiffres officiels, 25,7 % de la population active était toujours privée d’emploi. Ce taux grimpe à 49,8 % chez les moins de 25 ans. La Grèce détient le record européen du taux de pauvreté (23,1 %)», écrit le journal. Sans compter que la dette grecque n’a cessé d’augmenter malgré la politique d’austérité. Elle est passée de 120 à 177% du PIB…et pourtant une partie a (déjà) été annulée.

Un problème politique
Cette intrusion de Bruxelles dans la vie politique d'un Etat membre ne va pas sans susciter des interrogations. 
«Cela pose un problème de crédibilité quand la Commission demande quoique ce soit au pays, mais le soutien, par un commissaire étiqueté à gauche d'un gouvernement largement dominé par la droite, renforce encore l'indistinction grandissante entre ce qu'on appelle la gauche et la droite de gouvernement en Europe. Dans un sens, cela clarifie sans doute le débat politique, mais malheureusement, cela profite aussi assez souvent, mais pas toujours heureusement, à des partis extrémistes », notait dans Le Figaro Laurent Herblay qui tient le blog «gaulliste libre».

Ce n'est certes pas la première fois que ce genre d'interventionnisme est observé, à propos de la Grèce. 
On se souvient que quand le Premier ministre Papandréou avait annoncé vouloir faire un référendum, en 2011, sur le plan de sauvetage européen, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel étaient intervenus pour l’en empêcher. 

C'est sans doute sur cette dramatisation du débat que joue le premier ministre grec. Antonis Samaras réussira-t-il son pari grâce à cela ? Réponse avant la fin de l'année. 

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