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Les élections américaines vues de... New Delhi

Entre un candidat démocrate, qui vient à leur rencontre et promet un «partenariat stratégique», et un challenger républicain qui ne mentionne pas une fois leur pays dans ses discours de politique étrangère, les Indiens ont vite fait leur choix.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le président américain Barack Obama et le Premier ministre indien Manmohan Singh à Bali, le 17 janvier 2011. (AFP - Saul LOEB )

Bombay, novembre 2010. La police déploie en urgence une dizaine d’hommes aux abords d’un hôtel 5 étoiles et dans plusieurs rues de la capitale économique indienne. Leur mission : décrocher en vitesse toutes les noix de coco des arbres environnants. La raison ? Barack Obama est en visite en Inde, et les chutes de noix de coco tuent chaque année des dizaines de personnes dans le sous-continent.

L’épisode fait sourire. Il illustre surtout la volonté des Indiens d’aller au-delà du protocole et de la simple politesse lorsqu’un étranger témoigne un véritable intérêt pour leur pays. C’est clairement le cas de Barack Obama.

Un Obama entre Gandhi et Martin Luther King
Sa visite, il y a tout juste deux ans, a marqué les esprits. Et pas simplement car il a une nouvelle fois rappelé son attachement à Gandhi, qu’il compare sans cesse à son autre modèle Martin Luther King. En visite au mémorial du Mahatma, le président américain s’est d’ailleurs vu offrir une charkha (le rouet qui sert à filer le coton, symbole gandhien par excellence) et a remis en échange à ses hôtes une pierre du monument érigé en hommage au Dr King à Washington.

Mais aussi parce qu’à Bombay, Barack Obama s’est placé aux côtés des Indiens. «Shoulder to shoulder» dans la lutte contre le terrorisme. Il a rendu hommage aux victimes des attentats qui avaient fait 166 morts en décembre 2008. La frange nationaliste indienne aurait souhaité qu’il cible le Pakistan (d’où étaient originaires les terroristes) à cette occasion, mais il s’y est refusé. Ce n’est qu’en revenant à Delhi, devant le Parlement, qu’il a abordé la question pakistanaise... et pas tout à fait dans le sens espéré par les Indiens.

Soldats indiens devant l'hôtel Taj Mahal à Bombay après l'attaque de bâtiments de la ville par un commando islamiste le 29-11-2011 (AFP - PEDRO UGARTE)
 

Son engagement : un siège au Conseil de sécurité de l’Onu
Devant un parterre de députés qui lui faisaient un honneur refusé à son prédécesseur (George W. Bush, boycotté par l’extrême gauche indienne, n’avait pas été autorisé à prononcer de discours devant l’Assemblée), Obama a prononcé le «K-word» : le Cachemire, Kashmir en anglais, un quasi tabou en Inde. Et d’appeler à davantage de dialogue avec le frère ennemi pakistanais pour résoudre cette question ultra-sensible. Cela aurait dû fâcher ses hôtes, mais quelques minutes plus tard, Obama embrayait sur une annonce qui devait éclipser tout le reste : le président américain appuyait officiellement l’accession de l’Inde au Conseil de sécurité des Nations-Unies.

Un soutien clair et net qui remettait les points de désaccord diplomatiques (Cachemire, Birmanie, Iran) sous le tapis. Et depuis cette visite et cette annonce historiques, la politique d’attaques ciblées à l’aide de drones encouragée par l’administration Obama au Pakistan et, bien sûr, l’opération qui a tué Ben Laden à Abbottabad suffisent, amplement à rassurer les Indiens qui craignent plus que tout un gendarme américain «tendre» avec leur turbulent voisin.

Pour Obama, l’ingénieur indien n’est pas le plombier polonais
En traitant les Indiens en «partenaires», Barack Obama a également encouragé les relations commerciales. D’abord en mettant en veilleuse les attaques électoralistes classiques portées par les Américains envers les «voleurs d’emplois» indiens. Oubliées, les condamnations virulentes des délocalisations qui avaient fait, en 2004 et 2008, du petit ingénieur indien bon marché l’équivalent du plombier polonais faisant trembler la France en 2005. Alors que l’Amérique est en crise, l’Indien n’est plus la bête noire. Les Américains savent qu’ils perdent davantage d’emplois dans l’industrie que dans les services et l’ennemi, du coup, c’est donc l’usine chinoise, pas le call center indien.

Certes, les Etats-Unis n’ont pas apprécié d’avoir été écartés, très tôt, de la course pour le «contrat du siècle» : l’achat de nouveaux avions de combat par l’armée indienne ─ finalement remporté par le Rafale du Français Dassaut. Il se murmure à Delhi que c’est ce camouflet, ainsi que la «complexité» (pour prendre des mots de diplomates) des règles régissant les appels d’offres indiens qui auraient motivé le départ précipité de l’ex-ambassadeur américain Timothy Roemer. Or, non seulement les Américains se consolent en vendant de nombreux Boeing Dreamliner à la très gourmande aviation civile indienne, mais surtout ils placent leurs jetons ailleurs.

Les Etats-Unis, entre autres, attendent surtout l’ouverture de l’immense marché domestique indien aux champions de la grande distribution, Walmart en tête. Et par la voix et l’attitude de Barack Obama, ils semblent l’avoir obtenu. Le gouvernement de Manmohan Singh a enfin lancé il y a deux mois une réforme très controversée en Inde, attendue depuis des lustres par tous les investisseurs du monde : l’ouverture du pays aux détaillants étrangers. A terme, 500 millions de consommateurs pourraient faire leur shopping chez Walmart.

Mitt Romney à Portsmouth (Ohio) le 13 octobre 2012 (AFP - Getty Images - Ty Wright)
 

Mitt Romney, entre gaffes et désintérêt
Mitt Romney s’inscrit dans une attitude diamétralement opposée, et sa popularité en Inde s’en ressent, aussi bien auprès des dirigeants que des anonymes. Le candidat républicain n’a pas mentionné une seule fois l’Inde dans ses multiples interventions de politique étrangère. Et s’il y a une chose que ce pays d’un milliard deux cents millions d’habitants ne supporte pas, c’est bien d’être ignoré. Les médias indiens lui témoignent, en retour, tout aussi peu d’intérêt.

Il n’y a guère que lorsqu’il commet une gaffe monumentale que Mitt Romney s’attire le regard ─ et les foudres ─ de l’opinion indienne. Au lendemain de la fusillade perpétrée dans le Wisconsin à l’encontre d’une communauté sikh (l’une des grandes religions de l’Inde), en août 2012, le candidat républicain avait à plusieurs reprises présenté ses condoléances... à l’ensemble des «Sheikhs» à travers le monde.

Qu’à cela ne tienne, l’homme d’affaires mormon reste très populaire auprès de certains Indiens : ceux de la diaspora émigrée aux Etats-Unis. Pour la première fois dans l’histoire électorale américaine, une coalition d’Indiens américains a vu le jour, rassemblant de riches businessmen qui auraient récolté près de vingt millions de dollars de dons pour financer la campagne de Mitt Romney. Barack Obama peut se dire que ces Indiens-là sont bien peu nombreux au regard du milliard de personnes qu’il a conquis lors de sa visite en Inde. Mais eux auront le droit de voter.

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