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Israël a-t-il créé ses extrémistes ?

Plusieurs juifs extrémistes ont été arrêtés en Israël après l’incendie d’une maison palestinienne qui avait provoqué la mort d’un bébé. Parmi eux, Meïr Ettinger, petit-fils de l'ancien rabbin Meïr Kahane, tué à New York en 1990, qui prônait l'expulsion des Arabes d'Israël et des territoires palestiniens occupés. Preuve que l’extrémisme israélien n’est pas nouveau.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Meir Ettinger, leader d'un groupe juif extrémiste, après son arrestation, le 4 août 2015. (JACK GUEZ / AFP)

Meïr Ettinger et les autres personnes arrêtées sont soupçonnées d'être à la tête d'un groupuscule responsable notamment de l'incendie le 18 juin 2015 de l'église de la Multiplication de pains sur les bords du lac de Tibériade, au nord d'Israël, un des hauts lieux du christianisme. Le groupe avait justifié des attaques contre églises et  mosquées, qualifiées de «lieux de cultes païens».

Israël vient de connaître une période noire pour son image. Deux affaires sanglantes viennent de mettre en lumière le poids de ses extrémistes juifs ou religieux. Une jeune femme juive a été assassinée par un religieux juif, Yishaï Shlissel, à Jérusalem lors d’un défilé pour la Gay Pride. L’autre affaire a eu lieu le 31 juillet en Cisjordanie où un bébé palestinien a été tué dans l’attaque de sa maison par, selon les Palestiniens, des colons israéliens.  

Juin 2015. Une soeur constate les dégats dans l'église de la multiplication des pains à Tibériade, en Israël, après une attaque contre ce symbole chrétien (MENAHEM KAHANA / AFP)

Le gouvernement, de droite, dirigé par Benjamin Netanyahu, a immédiatement compris que l'image du pays était en cause. Pour tenter de désamorcer les conséquences de ces événements, il a parlé de «terrorisme», mot jusque là réservé aux Arabes et a demandé le placement en détention administrative du suspect. Une mesure extra légale (issue de la législation anglaise du mandat) appliquée massivement aux Palestiniens.

Des extrémismes qui ont toujours existés

Depuis des années, les extrémistes juifs agressent, sous le label du «prix à payer», des Palestiniens et des Arabes israéliens, et vandalisent des lieux de culte musulmans et chrétiens et s'en prennent même à l'armée israélienne.  
 
Dans un article publié en 2014, France 24 décrivait déjà ces manifestations d’extrémisme : « Ainsi peut-on lire "Jésus est une ordure" sur le mur de l'Église roumaine Saint-George, ou encore "Mort aux Arabes" sur une maison de la vieille ville. Ces derniers mois, les lieux de culte chrétiens et musulmans ont été attaqués quasi-quotidiennement. Derrière ces actes, se cache le groupuscule "Prix à payer", composé de colons radicaux et activistes juifs d'extrême droite. Ils ont commis, depuis 2008,  des centaines d'agressions généralement signées du graffiti "Tag Mehir" ("Le prix à payer" en hébreu), en Israël et en Cisjordanie occupée».
 
Les Palestiniens affirment avoir recensé «11.000 attaques en dix ans».  Selon l'ONG israélienne Yesh Din, 85,3% des plaintes de Palestiniens contre des  colons sont classées sans suite.  Pour le président palestinien, Mahmoud Abbas, ces attaques sont selon lui le «résultat direct» de la «politique de colonisation menée par Israël» qui a conduit à l'installation d'environ 400.000  colons en Cisjordanie et 200.000 autres à Jérusalem-Est, occupée et annexée.
 
Comme dans tous les pays, l’extrémisme, religieux ou non, a toujours existé en Israël. Avant même la naissance du pays, des tendances sionnistes se sont affrontées sur les méthodes à employer contre les Anglais puis les Arabes. Et le débat sur la place de la religion dans l’Etat d’Israël a toujours prévalu, au point d’avoir empêché l’existence d’un mariage civil. Plus proche de nous, en 1994, un juif religieux avait massacré des Palestiniens à Hébron (29 morts) et en 1995 le premier ministre Rabin, signataire des accords d’Oslo, avait été tué à Tel Aviv par un extrémiste juif.

«Même l’acte commis contre le jeune Palestinien de Jérusalem-Est, brûlé vif l’année dernière par des Juifs extrémistes, bien que condamné de toutes parts, n’a pas entraîné de répression», note i24.

Des extrémismes différents
L’extrémisme religieux peut être très différent de celui des nationalistes (même si parfois des mouvements ultra-sionnistes peuvent se dire aussi religieux). A propos de certains ultra orthodoxe  ces «hommes en noir» «excessivement religieux, qui ne sont pas sionistes, ne font pas l'armée et ne participent que marginalement à la vie politique et économique du pays. Certains refusent même de parler hébreu et souhaitent la fin de l'Etat d'Israël considéré comme mécréant! Ils vivent parfois dans les implantations (mais du fait des faibles loyers surtout) et, globalement, sont indifférents aux Palestiniens», explique Frédéric Encel dans le Figaro

«L'autre fondamentalisme, celui de ces criminels d'une implantation de Cisjordanie, est bien plus politique que religieux. Certes, ils prétendent s'inspirer de la Bible dans leur détestation des Palestiniens, mais leur combat s'inscrit dans le politique, y compris contre des partis et courants du pouvoir et de la société, et en faveur d'un Grand Israël comprenant l'ensemble des territoires palestiniens », ajoute le spécialiste du pays.

Le blog de Charles Enderlin montre quels dangers peuvent véhiculer les nationalistes religieux à travers un exemple.

Benjamin Netanayahu en août 2015. Premier ministre pour la quatrième fois, il a formé un gouvernement particulièrement orienté à droite. Il doit aujourd'hui gérer les conséquences des actes extrémistes. ( DAN BALILTY / POOL / AFP)

Le gouvernement le plus à droite d’Israël
Pour l’organisation israélienne de défense des droits de l’Homme, B’tselem, la politique accomodante avec les colons est à l’origine du crime en Cisjordanie. «Cette politique crée l'impunité pour les crimes de haine , et encourage les assaillants à poursuivre, conduisant à de ce matin résultat horrible», écrit l’ONG. 

Il est vrai que la politique menée par Netanyahu ne se démarque guère des groupes les plus radicaux. Les événements de ces derniers jours ont eu lieu alors que le gouvernement venait d’annoncer la création de 300 nouveaux logements dans les colonies. Au sein même de ce gouvernement, des propos qui auraient été jugés extrémistes il y a quelques années ont été prononcés, pendant la campagne électorale notamment.

«Il y a quelques mois, lorsque Tzipi Hotovely a été nommée ministre adjointe aux Affaires étrangères, Hotovely a déclaré que les diplomates israéliens n’avaient pas besoin de présenter d’excuses au monde ou de clarifier leurs politiques diplomatiques et sécuritaires. "La Judée et Samarie (Cisjordanie) nous ont été données par Dieu", a-t-elle dit, et "c’est seulement quand les Israéliens comprendront cela que les nations du monde arrêteront de nous condamner"», rappelait sur i24 un diplomate israélien

Pendant la campagne électorale, Benjamin Netanyahu lui même avait affirmé qu'il n'y aurait jamais d'Etat palestinien et sa nouvelle ministre de la justice, Ayelet Shaked, avait fait scandale pour avoir repris des propos controversés sur les Palestiniens. 

«Sous le règne de Netanyahu, Tous les racistes se sentent chez eux. Quelqu'un qui gagne le pouvoir par l'incitation au racisme ne doit pas être surpris de s'y noyer», écrit le l’essayiste israélien Odeh Bisharat, d’origine arabe, dans le journal Haaretz.
 
Au lendemain de la mort médiatisé du bébé, trois Palestiniens ont été tués par l’armée israélienne dans les territoires occupés le 1er août. Sans indignation.
 

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