«Femmes de réconfort» entre Corée et Japon: l’arbre qui cache la forêt en Asie
C’est en fait depuis plus d’un siècle que les deux pays entretiennent des relations conflictuelles. Entre 1910 et 1945, la péninsule coréenne a été colonisée par l’Empire du soleil levant. Une colonisation très dure. C’est dans ce cadre que l’armée nippone a prostitué plusieurs centaines de milliers de jeunes Asiatiques, dont de très nombreuses Coréennes, pour le «réconfort» de ses soldats. Aujourd’hui encore, l’affaire continue à empoisonner les relations entre les deux pays.
«On se situe là dans une dynamique de sortie de guerre. Jusqu’à la fin des années 80 en Corée, on ne voulait pas entendre parler de ce problème», analyse Alain Delissen. Officiellement, «la fin du conflit entre les deux pays est intervenue en 1965 avec la signature d’un traité de paix. Lequel a mis un terme à toutes les poursuites», poursuit-il. Le Japon a alors injecté chez son voisin des milliards de dollars. «A cette époque, la question des ‘‘femmes de réconfort’’ n’intéressait pas les élites mâles coréennes. Elle était présente à l’extérieur du débat public dans les œuvres d’art, cinéma et littérature notamment», observe le chercheur. Dans le même temps, en Europe, il y avait eu un traitement international des crimes nazis, notamment avec la tenue du tribunal de Nuremberg.
La situation a commencé à évoluer avec l’effondrement du mur de Berlin en 1989 et les vagues de démocratisation : on a alors commencé à parler ouvertement des traumatismes et des souffrances individuelles liées à la guerre. Dans le même temps, on a vu arriver au pouvoir, au Japon et en Corée du Sud, des équipes de gauche plus ouvertes à ces thématiques. D’où les déclarations d’excuses des dirigeants japonais de l’époque. Des déclarations tardives, diront certains. «Néanmoins, il ne faut pas oublier qu’en France, il a fallu attendre 1995 pour que l’Etat, par la voix du président Jacques Chirac, reconnaisse officiellement l’implication du pays dans le génocide juif», souligne Alain Delissen.
Au Japon, en la matière, c’est «la cacophonie permanente». «Certains dirigeants ont reconnu le problème. Mais le premier ministre actuel Shinzo Abe, lui, est dans le révisionnisme. Globalement, on peut dire qu’à Tokyo, on manque de cohérence et de courage sur ces questions», constate le représentant de l’EHESS. Et d’ajouter : «Les Coréens ont-ils d’ailleurs intérêt à ce que les Japonais aient une position claire?». En clair, la confusion et la passion entretenues autour de ce dossier cachent bien d’autres choses.
Construction de l’Etat nation
Il faut dire que l’affaire des «femmes de réconfort» dépasse le cadre mémoriel. Elle s’inscrit dans le cadre des relations tumultueuses entre le Japon et la Corée. Celles-ci concernent ainsi également des questions territoriales, comme la souveraineté sur les îles de Tokdo (en coréen) - Takeshima (en japonais) en mer de Chine.
Pour Alain Delissen, «on se situe là dans le contexte de la construction de l’Etat nation en Asie orientale, commencée au XIXe mais toujours pas achevée aujourd’hui : l’idée qu’un Etat correspond à une nation». Aujourd’hui, ces questions nationales ne sont pas réglées. La Chine veut récupérer Taïwan. Après sa capitulation de 1945, le Japon a été entravé dans son développement : il lui était notamment interdit d’avoir une armée. De son côté, la Corée est restée divisée entre le nord et le sud de la péninsule. Conséquence : aujourd’hui, ces trois pays ont un projet national, mais aussi de puissance : ils aspirent à devenir des leaders puissants sur la scène mondiale». Ce qui aiguise les conflits… «En Europe, on a connu une telle situation qui s’est soldée par deux guerres mondiales au XXe siècle. Et en Asie, il y a eu l’expansion japonaise dans les années 30». Avec son cortège de morts, de destructions et de drames.
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