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Les «femmes de réconfort» vues de Corée: conservateurs contre progressistes

Soixante-dix ans après la fin de la guerre, la plaie ouverte par l’affaire des «femmes de réconfort», enrôlées de force par les Japonais pendant la Seconde guerre mondiale, n’est toujours pas refermée côté coréen. L’analyse de Ha Jong-moon, professeur à l’université de Hanshin à Séoul, spécialiste en histoire contemporaine.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Cérémonie en l'honneur des «femmes de réconfort» à Séoul, capitale de la Corée du Sud, le 14 août 2013. (Reuters - Kim Hong-Ji)
Comment voit-on aujourd’hui en Corée l’affaire des «femmes de réconfort»? Pourquoi les plaies sont-elles encore si vives ? 
Le ressenti de la Corée (et des Coréens) sur ce drame des «femmes de réconfort» est plutôt complexe et n’a eu de cesse d’évoluer et de se diversifier depuis le jour où ce sujet est devenu un point de friction entre la Corée et le Japon. Aux sentiments nationalistes du départ se sont peu a peu ajoutées d’une façon parallèle une volonté de trouver une issue à travers des échanges citoyens (entre les deux pays) ainsi qu’une perspective mettant en avant les valeurs des droits des femmes et la «démocratisation sexuelle».
 
La raison pour laquelle les plaies sont encore si vives aujourd’hui s’explique un peu de la même manière. Au départ, on ne pointait du doigt que l’insuffisance des réparations de guerre de la part du Japon ainsi que l'interférence de la politique conservatrice de droite. Mais le fait même que ce problème n’ait refait surface, en tant que sujet de société, pas moins de 45 ans après la libération, a commencé à remuer les consciences sur la culpabilité de la société toute entière pour son mutisme. Des voix se sont levées également pour remettre en question le désintérêt de l’Etat lors de la ratification du traité nippo-sud-coréen du 22 juin 1965. En 2011, le Conseil Constitutionnel prend finalement une décision historique, en reconnaissant la faute de l’Etat (de ne pas avoir fait tout son possible pour obtenir des réparations).

Les organisations qui se sont battues très tôt pour le règlement de ce problème sont des organisations de nature sociale et féministe de base chrétienne, comprenant aussi beaucoup de militants issus des mouvements étudiants des années 70 et 80. En clair, les sujets historiques touchant à la période d’occupation sont venus s’ajouter aux revendications des mouvements de démocratisation.

Anciennes «femmes de réconfort» manifestant devant l'ambassade du Japon à Séoul le 30 mars 2011. Objectif de la manifestation: exiger de la part des autorités japonaises qu'elles fassent des excuses publiques et versent des dédommagements à toutes les femmes asiatiques enrôlées de force dans les bordels nippons avant et pendant la Seconde guerre mondiale.

Les Japonais disent s’être excusés pour le drame des «femmes de réconfort » et avoir versé des dédommagements, notamment à travers un Fonds pour les femmes asiatiques. Ils estiment en avoir assez fait et que l’on «cherche à exploiter (leur) culpabilité». Ils affirment qu’en Corée, les victimes concernées auraient «subi des pressions» pour ne pas toucher ces dédommagements.  En Corée, que répond-on à ces affirmations ?
Ce genre d’argument est une position typique des conservateurs de droite japonais. Des réparations et des excuses présentées de façon unilatérale, sans le consentement et la coopération des victimes, restent une autre forme de violence deguisée en bonne foi. Les organisations telles que le Korean Council for the Women Drafted for Military Sexual Slavery by Japan ainsi que les victimes elles-mêmes ont fait clairement part de leur refus des excuses et réparations proposées par le Japon à travers ce Fonds pour les Femmes Asiatiques, car ne satisfaisant pas leurs revendications.
 
Les affirmations selon lesquelles certaines victimes auraient subi des pressions pour ne pas toucher les dédommagements ne sont que des affirmations unilatérales faites par les officiels japonais et leurs collaborateurs (littéralement, des «courtiers») qui ont abordé des anciennes victimes (en priorité celles ayant des difficultés financières) en essayant de leur faire accepter ces dédommagements.
 
Mon avis personnel est que la création et les activités menées à travers ces Fonds pour les Femmes Asiatiques’ ont évidemment beaucoup d’aspects positifs. Mais toutefois, il sera impossible d’enterrer ce sujet pour de bon, sans avoir le courage de critiquer, et d’aller au-delà de ce Fonds.
 
Comment voit-on en Corée l’état des relations entre les deux pays ? Sont-elles effectivement «passionnelles», comme on le dit au Japon. Y a-t-il effectivement beaucoup de «non-dits» ? Qu’en est-il de l’affaire des îles Dokdo ?
Comme pour la réponse à la première question, on peut dire que les relations entre les deux pays se sont diversifiées et sont devenues plus étroites depuis les années 90. Un partenariat complétement différent de celui existant jusque dans les années 80 dans les domaines politique, économique, social et culturel s’est forgé. Parallèlement, les discordes sur le passé, comprenant le problème des «femmes de réconfort», ont fait également surface à partir des années 90. Les relations nippo-coréennes aujourd'hui, comme cela est le cas pour beaucoup d'autres pays, «roulent sur deux roues que sont la coopération et la discorde».
 
Les îlots Dokdo (en coréen)-Takeshima (en japonais), en mer du Japon (en japonais)-mer de l'Est (en coréen). Séoul maintient sur place un petit détachement de garde-côtes sur ces îlots appelés aussi rochers Liancourt en français. La photo a été prise par un hélicoptère sud-coréen. (Reuters)

On distingue deux points de vue coréens sur les relations entre les deux pays : un «conservateur» et un «progressiste».
 
Le point de vue «conservateur» est très traditionnel, et basé sur un nationalisme aveugle, tandis que le «progressiste» tend d’avantage à idéaliser un rapprochement entre les deux pays, notamment à travers une certaine «solidarité civile» entre eux.
 
Le premier ne perçoit le Japon que «d’une seule couleur», tandis que le second fait la différence entre le Japon «conservateur» et le Japon «progressiste».
 
L’argument avancé par les Japonais, selon lequel les Coréens sont «passionnels», émane le plus souvent du camp «conservateur». Ceux qui avancent cet argument du côté japonais ont de grandes chances d'être eux-mêmes des «conservateurs».
 
On peut assister depuis les années 90, à un basculement du «conservatisme» vers le «progressisme» en ce qui concerne la prise d’initiative des relations entre les deux pays.
 
Le problème de Dokdo permet de distinguer les conservateurs des progressistes. Bien sûr, tous les Coréens seront d’accord pour dire que Dokdo appartient au territoire national, mais la façon d’appréhender le Japon et la façon de réagir à ce problème diffèrent beaucoup entre les deux tendances. Les conservateurs miseront la totalité des relations entre les deux pays sur ce problème territorial, tandis que les progressistes diront que l’annexion de Dokdo appartient à l’histoire de la colonisation de la Corée par le Japon. Mais qu'une polémique trop grande entretenue autour de ce problème ne peut que nuire aux relations entre les deux pays. Bien sûr, il existe des groupes au sein des progressistes pour qui le nationalisme est également primordial.

L’interview, accordée en coréen, a été traduite au Centre de la presse étrangère (KOCIS), émanation du ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme à Séoul.

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