Le dernier hissé à la surface à 21H55 (00H55 GMT) a été Luis Urzua, le "capitaine" du groupe, après 69 jours sous terre
Au même moment, 33 ballons aux couleurs du Chili ont été lancés au-dessus du "camp Espoir", où les proches des mineurs les ont attendus depuis l'éboulement qui les a piégés à plus de 600 m de profondeur.
Avant d'être rendus à leurs familles, les mineurs ont été transférés par hélicoptère à l'hôpital de Copiapo pour y subir 48 h d'examens approfondis
Les secours ont battu tous les pronostics des autorités, remontant les "33" en moins de 22 heures à bord d'une capsule aux couleurs blanc, bleu, rouge du drapeau chilien et baptisée Phénix en référence à la "renaissance" des mineurs.
Les six secouristes qui les ont préparés sont ensuite remontés après avoir brandi un panneau "Mission accomplie", laissant derrière eux la galerie de mine vide mais lumières des projecteurs allumées...
L'opération "San Lorenzo" (d'après le saint-patron des mineurs), pour retrouver et sortir de la mine les "33", a coûté "entre 10 et 20 millions de dollars" (7 à 14 millions d'euros), selon le président Pinera. "L'Etat a pris en charge les deux tiers" et le reste a été financé par des dons privés, a-t-il ajouté.
Les miraculés sous surveillance à l'hôpital
Là, ils sont installés dans une aile de l'hôpital aménagée spécialement pour eux, avec notamment les fenêtres fermées pour protéger leurs yeux de la lumière. Les mineurs n'ont pas quitté leurs lunettes de soleil hyper-protectrices depuis leur extraction de la mine. "Ils se portent bien", selon une source hospitalière.
A leur sortie de la mine, les premiers miraculés de San José ont embrassé leurs familles, le ministre des Mines et le président Sebastian Pinera. Puis ils ont été auscultés par une équipe médicale dans un hôpital de campagne sur place. Ils ont ensuite pu avoir une brève réunion avec quelques proches, dans un "espace de rencontre" privé, également installé sur le site.
Selon le ministre de la Santé, les principaux symptômes présentés par les mineurs à la fin de leurs deux mois et demi de confinement sont des problèmes dentaires d'une "certaine intensité", et des problèmes cutanés. Mais ce ne sont "pas des malades", a-t-il souligné.
Les miraculés devront ensuite passer deux jours en observation dans un hôpital voisin.
Quel avenir pour les mineurs ?
Le cauchemar est terminé pour les familles mais beaucoup angoissent déjà à l'idée d'un retour à la mine.
Pour les "33", l'avenir est incertain. Huit ont plus de 50 ans, le groupe San Esteban gérant la mine San Jose est au bord de la faillite et ils ont pour seule garantie de toucher leurs arriérés de salaire de septembre et un solde de tout compte, après l'intervention de l'Etat, qui avait fait geler les biens du groupe. Ils pourraient toucher des indemnités en justice, puisque leurs familles réclament 12 millions de dollars (8,7 millions d'euros) de compensation aux propriétaires de la mine. Ils vont aussi toucher 2.000 dollars chacun (1.450 euros) d'un entrepreneur anonyme et 10.000 dollars d'un millionnaire excentrique, Leonardo Farkas.
Mais même avec d'éventuels droits d'auteur sur les projets de films ou de livres sur leur épopée, la plupart n'ont pas de quoi prendre leur retraite, surtout les plus jeunes. Et la seule proposition de travail qu'ils ont reçue est celle de travailler dans une des mines de Farkas dans la région de Copiapo (nord), où se trouve le site de San José.
Certains ont déjà dit à leurs proches qu'ils pensaient retourner à la mine, où les salaires relativement élevés (1.000 dollars par mois à San José, soit 3 fois le salaire minimum) compensent en partie les risques encourus. D'autres n'ont pas encore arrêté leur décision, mais leurs familles souhaiteraient qu'ils changent de profession.
"Sans comparaison dans l'histoire de l'humanité"
Il s'agit d'un sauvetage "sans comparaison dans l'histoire de l'humanité", a déclaré le président chilien Sebastian Pinera. "Que la leçon des mineurs reste pour toujours avec nous", a souhaité le chef de l'Etat. "Ils ont démontré, comme l'ont démontré les victimes du tremblement de terre (de février) et ceux qui reconstruisent, que lorsque le Chili s'unit, et il le fait dans l'adversité, il peut réaliser de grandes choses", a-t-il poursuivi.
Le gouvernement chilien a transformé le sauvetage en une vaste opération de communication, devant, notamment, plus de 2000 journalistes venus du monde entier (selon CNN). L'affaire est vécue comme une cause nationale au Chili. Un vaste drapeau chilien a été déployé devant le puits de secours avant que les opérations ne commencent vraiment.
Les 33 hommes, 32 Chiliens et un Bolivien, avaient été pris au piège par un éboulement le 5 août, au fond de la mine de cuivre et d'or San José, dans le désert de l'Atacama (nord du Chili ). Ils ont passé 69 jours dans les couloirs sombres et humides de la mine. Jamais des mineurs n'avaient survécu aussi longtemps après un accident.
Après l'accident, le 5 août, ils étaient passés pour morts pendant 17 jours jusqu'à ce qu'ils soient repérés vivants à travers un conduit très étroit. Ce conduit a ensuite servi de cordon ombilical pour leur faire parvenir de l'eau et des vivres et leur permettre d'établir des contacts avec leurs proches.
"Avec Dieu, et avec le Diable"
"J'ai été avec Dieu, et avec le Diable", a raconté Mario Sepulveda, le deuxième mineur libéré et le premier à s'exprimer lors d'un monologue de quelques minutes devant une caméra, et diffusé sur la télévision publique chilienne. "Je me suis bagarré avec eux", a-t-il dit. "J'ai saisi la main de Dieu, c'était la meilleure main. J'ai toujours su que Dieu allait nous sauver", a-t-il affirmé.
Le mineur de 39 ans, un peu agité, visiblement ému, et qui parlait sans s'interrompre, a aussi demandé qu'on ne traite pas les 33 "comme des artistes ou des journalistes, s'il vous plait". "Je veux qu'on me traite comme un mineur", a-t-il expliqué. "Je veux continuer à être traité comme le Mario Antonio Sepulveda, travailleur, mineur. Je veux continuer de travailler parce que je crois que je suis né pour mourir sous le joug.", a-t-il poursuivi, déclarant qu'il était "fier de son éducation".
Le mineur a lancé un appel "a des changements dans le monde du travail, qui ne peut rester comme il l'est actuellement", a-t-il estimé sans plus de précisions.
Mario Sepulveda a exprimé son immense gratitude envers les secouristes. "Ils nous ont récupérés. On y a mis du nôtre, de la folie, de l'expérience, de notre coeur de mineur, mais les professionnels ont mis tout le reste", a-t-il estimé. "C'est incroyable qu'à 700 mètres ils nous aient récupérés...", a-t-il poursuivi.
Le mineur a fini son monologue par une réflexion: "la vie m'a traité durement, mais j'ai appris..."
L'opération de sauvetage
d'un puits d'évacuation, foré en 33 jours, a permis de commencer à remonter un à un à la surface les 33 hommes bloqués au fond de la mine depuis le 5 août, à l'aide d'une petite cage-nacelle treuillée par une grue.
La nacelle (baptisée Phoenix, du nom de l'oiseau mythique qui renaît de ses cendres)
parcourt les 622 m en une quinzaine de minutes, mais avec la préparation de chaque voyage, il faut une heure environ par mineur pour achever l'opération. Cinq secouristes
sont descendus pour préparer les mineurs. Ceux-ci portent des électrodes suivant en permanence fréquence cardiaque, respiratoire, ventilation, consommation d'oxygène, température. En cas de problème, ils peuvent détacher l'habitacle de la nacelle, et
redescendre en douceur.
Le mineur Mario Sepulveda laisse éclater sa joie après avoir repris pied dans le monde des vivants (AFP - HUGO INFANTE - GOVERNMENT OF CHILE)
Quelles conséquences psychologiques ?
Le troisième mineur à être sorti du ventre de la Terre, dans le nord du Chili (AFP - MARTIN BERNETTI )
Après l'épreuve de 68 jours confinés à près de 700 m sous terre, dont 17 jours livrés à eux-mêmes, les 33 mineurs vont émerger changés à jamais, estiment les psychologues.
Selon Enrique Chia, psychologue de l'Université catholique du Chili, les mineurs seront confrontés à un grand défi de réadaptation dans une période post-traumatique "pleine de risques". "Quand on te change soudainement toutes les conditions de vie, il faut se réadapter et découvrir des aptitudes qui t'aident" à faire face, estime-t-il.
"Une personne qui a été placée face à la mort a réfléchi à sa situation personnelle (...), à ce qu'elle a fait de sa vie et ce qu'elle n'a pas fait, et en cela aussi il faut les accompagner", souligne Margarita Loubat, psychologue de l'Université du Chili .
Les 33 mineurs ont remarquablement géré leur calvaire jusqu'à la délivrance, aux premières heures de mercredi, pour les premiers d'entre eux.
Les risques de lésions oculaires au contact de la lumière de soleil, les problèmes cutanés, les maux de dents, ont déjà identifiés et seront suivis. Les mineurs libérés sont hospitalisés dès leur sortie, pour 48 heures d'examens médicaux approfondis. Ces étapes ont été "convenues avec eux, ce n'est pas un caprice", a assuré le ministre de la Santé, Jaime Manalich. "Certains d'entre eux pourraient dire: je me sens si bien que je veux rentrer dans ma famille", mais ce refus "hypothèquerait tout le dispositif légal de protection, d'invalidité, de pension, auquel ils ont droit", a précisé le ministre.
Le gouvernement n'entend pas abandonner des hommes devenus des héros nationaux. Il leur offrira "un appui psychologique professionnel minimum de six mois, pendant lesquels ils pourraient avoir des moments de tristesse, de dépression", a précisé le ministre. Le stress post-traumatique "peut durer plusieurs semaines ou plusieurs mois", rappelle-t-il.
La "partie la plus compliquée" à gérer sera sans doute l'extérieur, estime Enrique Chia. "La famille, leur routine, la réalité nationale, tout aura changé", estime-t-il.
Des experts de la NASA, venus en septembre conseiller les sauveteurs, ont mis en garde contre les effets "de leur forte notoriété dans le pays, de la pression des médias et de la société". "Les médias vont les oppresser. Nombre d'entre eux se verront bombardés d'offres de télévision, pourraient même y faire carrière. Mais cela va durer quelques mois. D'ici mars, ce ne sera plus qu'un souvenir", estime René Rios, sociologue de l'Université catholique.
"S'il vous plait, ne nous traitez pas comme des artistes", demandait mercredi à sa sortie Mario Sepulveda, le second mineur secouru, mais le premier à s'exprimer dans un bref monologue diffusé par la télévision publique.
Pour Enrique Chia, "ils vont réaliser que la célébrité est limitée, qu'il faut capitaliser, puis commencer un nouveau projet de vie". Or une expérience comme la leur "peut te renforcer ou t'affaiblir, mais ne te laisse jamais le même". D'où un risque de refuge dans les médicaments ou l'alcool.
Comme s'ils sentaient les périls au dehors, les 33 exprimaient dans leurs derniers jours de confinement une "grande préoccupation: rester unis, alors qu'ils viennent de zones différentes du Chili", explique Alejandro Pino, membre de l'équipe de suivi. L'un d'eux est Bolivien. "Ils veulent rester unis après le sauvetage", poursuit M.Pino.
Graphique animé
Chronologie d'un sauvetage
-5 août: 33 mineurs sont bloqués dans la mine d'or et de cuivre de San José (800 km au nord de Santiago, la capitale du pays), après un éboulement.- 6 août: le président chilien, Sebastian Pinera, assure que son gouvernement fera "tout ce qui est humainement possible" pour les ramener vivants à la surface.
- 7 août: de nouveaux éboulements entravent les opérations des sauveteurs
- 12 août : le ministère des Mines estime que les probabilités de retrouver les mineurs en vie sont "faibles".
- 22 août: les mineurs sont découverts vivants par une sonde souterraine. Ils font remonter un message sur un bout de papier: "Nous allons bien, [nous] les 33, dans le refuge". Ils paraissent en bonne santé au cours d'un premier contact visuel à l'aide d'une caméra.
- 23 août: ils reçoivent un premier ravitaillement via un conduit.
Proche de la faillite, la compagnie San Esteban, propriétaire de la mine, doute de pouvoir verser les salaires.
- 25 août: les autorités annoncent que les "33" savent désormais que leur sauvetage sera long (trois à quatre mois). Premier échange de courrier entre les mineurs et leurs proches.
- 26 août: la télévision diffuse les premières images des 33 hommes, montrant comment s'organise leur vie sous terre.
La justice bloque 1,8 million de dollars de revenus de la mine pour garantir de futures indemnités. Une famille porte plainte contre la mine et l'administration des Mines.
- 29 août: premiers dialogues par radio-téléphone avec les proches et message du pape.
Les mineurs déplacent leur campement de survie vers une partie plus sèche de la galerie. Plus de 60 sondes de ravitaillement ont été acheminées en une semaine.
- 30 août: début du percement d'un puits de secours de 30 cm de large par une excavatrice, "Strata 950".
- 4 septembre : les mineurs et leurs proches se voient pour la première fois en simultané via un système de visioconférence.
- 5 septembre: commencement d'un deuxième forage (Plan B) par une foreuse "T-130".
- 17 septembre : la T-130 atteint les mineurs pour les ravitailler, mais doit encore élargir le conduit pour les extraire.
- 19 septembre: une foreuse pétrolière commence à creuser un troisième puits, directement au diamètre requis de 66 cm (Plan C).
- 25 septembre: arrivée d'une première nacelle qui doit servir à remonter les hommes.
- 30 septembre: les familles de 29 des 33 mineurs déposent une demande d'indemnisation de 12 millions de dollars contre les propriétaires de la mine.
- 9 octobre: jonction, à 622 mètres de profondeur, entre le puits de secours "Plan B" et les mineurs.
- 10 octobre: gainage d'environ 50 premiers mètres du puits, avec des tubes d'acier, pour faciliter le passage de la nacelle.
- 11 octobre: réussite des essais de va-et-vient de la nacelle.
- 13 octobre : un premier mineur, Florencio Avalos, 31 ans, est remonté à la surface, suivi une heure plus tard d'un second, Mario Sepulveda, 39 ans. Ils sont hissés un à un à l'intérieur d'une nacelle métallique treuillée par une grue, à travers un puits de 622 m de long.
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