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Les Congolais de Johannesburg : "On va nous chasser à la mort de Mandela"

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL | A Yeoville, quartier d'immigrés africains de la capitale culturelle d'Afrique du Sud, la communauté congolaise suit de près l'état de santé de Nelson Mandela, par respect mais aussi par peur. La rumeur évoque des risques d'émeutes xénophobes à la mort du "père de la nation arc-en-ciel". Certains ont fait leur stock de nourriture, "au cas où".
Article rédigé par Antoine Krempf
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Franceinfo (Franceinfo)

Le "village Kin-Malebo", en plein cœur du quartier
de Yeoville, ne s'appelle pas pour rien "ambiance de Kinshasa ". Il
est encore tôt mais les enceintes du restaurant crachent déjà de la soukouss
pendant que le pundu se prépare en cuisine.

"Vous avez des nouvelles de
Nelson Mandela ?
", demande d'entrée le disc-jockey du lieu. "J'ai
regardé la télévision ce matin. Aux informations, ils disent qu'il va mieux. Je
suis content. Il est encore trop tôt pour nous qu'il meurt maintenant
",
poursuit Doudou.

"La radio trottoir est en marche "

"On prie pour lui parce qu'il est un grand homme, mais
on prie aussi pour nous
", ajoute Jean-Paul, installé depuis 16 ans à
Johannesburg. Car la rumeur court, "la radio trottoir est en marche "
: à la mort de Nelson Mandela, les étrangers seront attaqués par les habitants
du quartier. 

Le "village Kin-Malebo" sera en tout cas fermé
"dans les jours qui suivent l'annonce de la mort ". Ceux qui sont
installés depuis longtemps dans le pays gardent en mémoire les émeutes de 2008
contre les étrangers : 62 morts et 670 blessés à travers le pays, d'après un
bilan officiel. Nelson Mandela avait alors appelé au calme :

"Rappelez-vous l'horreur de laquelle nous venons ;
n'oubliez jamais la grandeur d'une nation qui a réussi à vaincre ses divisions
et à arriver où elle est ; et ne vous laissez jamais à nouveau entraîner
dans cette division destructrice, quels qu'en soient les enjeux." (Nelson Mandela)

Une déclaration gravée dans l'esprit de Willy : "Il a
réussi à ramener la paix, voilà pourquoi nous craignons ce qu'il va passer
après sa mort
".

"C'est la survie ici "

Mais d'autres ne veulent pas croire à un regain de violence.
Didier, venu se faire couper les cheveux à "Kin-Malebo", est persuadé
qu'il "ne va rien se passer parce que nous sommes dans un Etat de droit,
avec des règles et de la protection. Les temps ont changé
". C'est d'ailleurs pour cette stabilité politique et pour le développement économique qu'il est venu s'installer en Afrique du Sud comme près de deux millions d'immigrés venus s'installer depuis la fin de l'apartheid, soit 4% de la population, d'après une étude de l'Université Wits de Johannesburg.

John ne croit pas non plus à de nouvelles émeutes xénophobes après la disparition du prix Nobel de la paix : "J e serai tranquille
parce que je connais beaucoup de gens du quartier. Ils ne me feront rien"
. Mais le jeune homme de 27 ans reconnaît que " ce n'est pas facile d'être un
étranger ici. C'est la survie ici
."

"La xenophobia est partout "

S'il n'y a pas eu de nouvelles émeutes, les immigrés
d'Afrique du Sud dénoncent "la xénophobia " quotidienne à leur
encontre. "Les policiers nous disent : 'vous êtes chez nous, vous allez
partir'. Et dans ce cas-là, il ne faut pas répondre. Sinon, ils vont vous
calomnier. On ne peut pas dire qu'ils sont racistes parce qu'on est tous noirs,
mais c'est la xenophobia. Mais nous, on a investi beaucoup d'argent dans ce
pays
", explique un des gérants du restaurant.

La plupart des Congolais du "Kin-Maleba" dénoncent
surtout l'absence de reconnaissance de la part de leur pays d'accueil et
regrettent d'être perçus comme des concurrents des Sud-africains sur le marché
du travail alors que le taux de chômage du pays dépasse les 25%.

Pourtant, "c'est le développement économique et la paix de Nelson Mandela qui nous ont amenés ici ", assure Doudou. "La division et la haîne de l'autre, c'est pour ça qu'on a fui le Congo ", conclut le jeune homme.

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