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Cinq questions pour comprendre le chaos en Libye

Entre menace jihadiste, milices autonomes et guerre civile, la Libye s'enfonce dans la crise depuis la révolution de 2011. Francetv info fait le point sur la situation.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un homme sur un toit de Benghazi après la reprise de la ville par les forces du gouvernement reconnu par la communauté internationale, le 25 février 2016. (ABDULLAH DOMA / AFP)

La Libye est-elle au bord du gouffre ? Cinq ans après le début de la révolution, le pays s'enfonce chaque jour un peu plus dans le chaos. Deux gouvernements, des milices tribales autonomes et des groupes jihadistes se disputent le terrain. Depuis plusieurs semaines, les Occidentaux tentent, par des frappes ciblées, d'éviter la formation d'un sanctuaire jihadiste aux portes de l'Europe ; mais le groupe Etat islamique (EI) est malgré tout parvenu à s'implanter dans le pays.

1Qui gouverne actuellement la Libye ?

Il serait tentant de répondre : personne. Depuis bientôt deux ans, deux autorités et deux Parlements se partagent le pouvoir. La première assemblée, basée à Tripoli, est dominée par les islamistes et par les nouvelles élites issues de la révolution. La seconde, basée à Tobrouk, se révèle plus libérale, modérée et dominée par l'ancienne élite. Elle est reconnue par la majeure partie de la communauté internationale. 

Au milieu de ces deux camps, il faut ajouter la présence de milices tribales parfois autonomes, et celle des populations du Sud du pays (Touaregs, Toubous). Bref, le chaos règne depuis de nombreux mois, et l'EI en a profité pour s'implanter dans le pays. Un cartographe amateur, en s'appuyant sur des contacts sur place, a réalisé une carte des forces en présence (en vert, les forces du Parlement de Tobrouk ; en jaune celles de Tripoli ; en gris, les jihadistes).

2Comment l'Etat islamique est-il parvenu à s'installer ?

A partir de l'été 2014, les observateurs signalent une implantation et une convergence vers la Libye de membres de l'EI, notamment en provenance de Tunisie. A l'automne de la même année, les jihadistes s'installent dans la ville de Derna, à l'est. Puis ils décident de se lancer à la conquête de la ville de Syrte, pour en faire un bastion. "Ils adoptent la stratégie de l'escargot : ils commencent par faire de grands cercles, ils prennent les faubourgs de la ville avant de s'attaquer au centre", indique à francetv info Kader Abderrahim, chercheur à l'Iris (Institut de relations internationales et stratégiques) et maître de conférences à Sciences-Po Paris.

Selon mes informations, 25% du territoire libyen est aux mains de Daech. Ce n'est pas un territoire continu, mais ils sont présents un peu partout au sud et à l'est, aux frontières du Niger, du Tchad, de l'Egypte.

Kader Abderrahim, chercheur à l'Iris

à francetv info

Ils contrôlent notamment une bande côtière d'environ 250 kilomètres autour de Syrte. L'Etat islamique est aujourd'hui en mesure de mener des actions sur une grande partie du territoire, comme le montre la carte ci-dessous.

(NICOLAS ENAULT / FRANCETV INFO)

3L'Etat islamique continue-t-il de progresser ?

En un an, la présence de l'Etat islamique s'est considérablement accentuée. "Ils ont une capacité de mobilisation importante, ils sont entre 4 000 et 5 500 membres", estime Kader Abderrahim. Leur nombre pourrait continuer à augmenter, car depuis décembre, Abou Bakr Al-Baghdadi, le chef du groupe terroriste, demande à ses recrues d'arrêter de venir au Moyen-Orient pour se diriger vers la Libye, indique le chercheur. Résultat, des contingents de Yéménites et de Soudanais ont rejoint les nombreux Tunisiens déjà installés.

Plus inquiétant encore selon le chercheur, les jihadistes pourraient contrôler désormais des champs pétroliers dans la région de Syrte et de Benghazi, ce qui leur permettraient de financer l'achat d'armes au marché noir. Une information démentie par la journaliste Maryline Dumas, spécialiste de la région : "Aucun champ pétrolier n'est contrôlé par l'EI. (...) Quelques champs ont été totalement détruits par l'EI début 2015, mais personne ne détient aujourd'hui ces lieux."

En réaction, les Occidentaux ont accéléré ces dernières semaines leurs frappes contre les jihadistes en Libye. Les Etats-Unis ont notamment détruit mi-février un camp du groupe jihadiste dans la ville de Sabrata, à 70 kilomètres de Tripoli. Mais il faut se méfier des cris de victoire un peu hâtifs. "Il y a beaucoup d'intox, les informations sont données uniquement par les militaires qui cherchent à valider une stratégie, celle des frappes ciblées", prévient Kader Abderrahim.

Je n'ai pas le sentiment que Daech soit affaibli en Libye, ni militairement, ni idéologiquement

Kader Abderrahim, chercheur à l'Iris

à francetv info

4Faut-il s'attendre à ce que la France participe à une nouvelle guerre ?

Pour l'instant, la France et les Etats-Unis mèneraient des frappes ciblées grâce à des forces spéciales envoyées sur le terrain, indique Le Monde. Une stratégie qui n'a pas encore démontré son efficacité, relève Kader Abderrahim. Pour autant, une intervention sur le terrain semble inenvisageable. "Les Etats-Unis ont clairement indiqué que cette solution était exclue, et la France n'en a pas les moyens", estime le chercheur, qui rappelle les nombreux théâtres d'opérations déjà en cours pour l'armée française, du Mali à la Syrie.

Il est toujours possible d'imaginer une coalition sous le pavillon de l'Otan ; mais une intervention au sol risquerait également de renforcer l'hostilité des Libyens envers les Occidentaux. "Un certain nombre de milices pourraient nous prendre pour cible", avertit le spécialiste de la région, "ils ne supportent plus l'ingérence, ça passe de plus en plus mal, on pourrait se retrouver avec une union sacrée contre les étrangers."

5Il n'existe donc pas de solution pour une sortie de crise ?

La solution passe d'abord par un règlement politique. En janvier, une lueur d'espoir est apparue avec l'annonce d'un accord entre les deux Parlements pour la formation d'un gouvernement d'union nationale. Mais la ratification de l'accord s'annonce extrêmement difficile. "Depuis l'annonce, ça n'avance pas, il est difficile d'envisager un déblocage avant le printemps, explique Kader Abderrahim. Entre les équilibres régionaux et les 145 tribus aux objectifs différents... sans compter que de nombreux députés ne siègent plus à Tobrouk mais sont réfugiés à l'étranger !"

En attendant, il serait possible d'agir au moyen d'une résolution de l'ONU.

Je ne comprends pas pourquoi la France n'a toujours pas présenté de résolution sur un blocus des côtes libyennes afin de freiner le financement et l'achat d'armes de Daech.

Kader Abderrahim, chercheur à l'Iris

à francetv info

Une telle proposition nécessiterait cependant de convaincre la Russie et la Chine, réticentes à l'ingérence. Moscou a toujours reproché à l'ONU d'être sortie de ses fonctions, en adoptant des résolutions ayant conduit à la chute de Mouammar Kadhafi...

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