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Moyen-Orient: le discours du Caire, un appel d’Obama écouté, mais pas entendu

A l’inverse de ceux qui jugent catastrophique le bilan de Barack Obama au Proche-Orient et au vu de la situation qui y prévaut, il est possible de dire qu’il est le seul à avoir fait preuve d’imagination. Jamais avant son discours du Caire aux Etats arabes et musulmans, un président américain n’avait créé une telle opportunité aux pays de la région pour sortir de l’impasse.
Article rédigé par Alain Chémali
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Le président américain, Barack Obama, face au Sphinx lors d'un tour sur le site des pyramides de Gizeh, après son discours à l'adresse du monde musulman à l'université du Caire, le 4 juin 2009. (AFP PHOTO/Mandel NGAN)

Le 4 juin 2009, six mois après sa prise de fonction, le premier président noir des Etats-Unis effectue son premier grand geste diplomatique. Depuis l’université du Caire, il prononce un discours à l’adresse du monde arabe et musulman comme jamais aucun autre président américain ne l’avait osé.
 
En pleine «tension entre les Etats-Unis et les musulmans partout dans le monde», comme il le souligne lui-même, Barack Obama déclare être venu chercher «un nouveau commencement qui se fonde sur un intérêt et un respect mutuels.»

Un ton rappelant autant Luther King que Gandhi 
Sur un ton empruntant autant à Martin Luther King qu’au Mahatma Gandhi, il s’était présenté comme «afro-américain du nom de Barack Hussein Obama», «chrétien, d’une famille kenyane qui comprend plusieurs générations de musulmans», pour affirmer que «l’Amérique n’est pas et ne sera jamais en guerre avec l’Islam» et que «l’islam est une partie de l’Amérique».
 
Rappelant les principes communs de «justice et progrès, tolérance et dignité de tous les êtres humains» que l’Amérique et l’islam ont en partage, il avait toutefois prévenu que «pour avancer, nous devons dire ouvertement ce que nous avons sur le cœur et que, trop souvent, nous ne disons que derrière des portes fermées.»
 
Barack Obama proposait aux pays et dirigeants musulmans et arabes une rupture avec la stratégie du «chaos constructif» semé dans la région par l’administration néoconservatrice de George W.Bush et un contrat de transparence pour mettre fin aux tensions et aux violences.
 
Il a annoncé sa volonté de retirer les troupes américaines d’Afghanistan et d’Irak où «nous ne cherchons pas à établir des bases militaires», son intention de fermer la prison de Guantanamo et son souhait «d’empêcher une course à l’arme nucléaire au Moyen-Orient qui pourrait mener cette région sur une voie extrêmement dangereuse.»

Pour Obama, «la violence est une impasse» 
Concernant l’interminable conflit entre Israéliens et Palestiniens, il avait annoncé son intention de rechercher «personnellement» la solution de deux Etats, «avec toute la patience que la tâche requiert.» A charge pour Israël de cesser la colonisation et aux Palestiniens de cesser «la résistance par la violence et le meurtre.» «La violence est une impasse», avait-il insisté, prenant pour exemple les Noirs américains, qui «ont subi le fouet pour les esclaves et l’humiliation de la ségrégation», mais qui ont acquis l’égalité par «une insistance pacifique et déterminée sur les principes au centre de la fondation de l’Amérique.»
 
«L’Amérique accordera sa politique avec ceux qui recherchent la paix, et dira en public ce qu’elle dit en privé, aux Israéliens, aux Palestiniens et aux Arabes», avait-il énoncé comme méthode, déplorant que «trop de larmes et de sang ont été versés.»
 
Durant ses deux mandats, Barack Obama va s'efforcer d’atteindre ces objectifs tout en restant cohérent avec son refus des violences et de tout nouvel engagement de ses troupes sur un théâtre de guerre.
 
A son arrivée à la Maison Blanche en janvier 2009, les Etats-Unis avait 180.000 soldats déployés en Afghanistan et en Irak. A son départ en janvier 2017, l’Amérique n’a plus dans le grand Moyen-Orient que 15.000 hommes.
 
Il n’est pas parvenu à fermer la prison de Guantanamo, mais il a quand même interdit les tortures et réussi à en «exfiltrer» les détenus. Avec l’arrivée de dix nouveaux prisonniers au Sultanat d’Oman à la mi-janvier, il ne reste plus dans cette prison de la base américaine à Cuba qu’une quarantaine de détenus sur les 242 qui s’y trouvaient en janvier 2009.

Des trésors de patience et de doigté 
Déployant des trésors de patience et de doigté durant plusieurs années, il s’est lui-même réjoui, dans un discours retransmis exceptionnellement par la télévision iranienne, de la signature, le 14 juillet 2015, d’un accord sur le nucléaire entre l’Iran et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne. Un accord qui démontre selon lui «l’efficacité de la diplomatie» et qu’il «est possible de changer.»
 
Mais c’est surtout sur les Printemps arabes que la nouvelle diplomatie américaine se cassera les dents. Si les dirigeants de ces pays ont fait la sourde oreille au discours du Caire en maintenant le cap d’une gouvernance d’un autre âge, les populations, elles, ont bien reçu le message.
 
Parti de Sidi Bouzid en Tunisie, le 17 décembre 2010, le soulèvement populaire pacifique pour le changement, aussitôt baptisé Printemps arabe, s’est répandu comme une traînée de poudre le long de la rive sud de la méditerranée. Après avoir fait tomber le président Ben Ali à Tunis, puis le président Moubarak au Caire, les mouvements de contestation ont démarré en Libye.
 
La rébellion libyenne, qui a bénéficié du soutien d’une coalition occidentale placée sous mandat de l’ONU, a réussi à son tour à mettre à bas la dictature de Kadhafi, vieille de quarante ans, sans toutefois pouvoir relancer les institutions dans le pays.
 
Même s’il s’était laissé entraîner à l'époque par l’urgence qu’il y avait à défendre la ville de Benghazi, Barack Obama n’était fondamentalement pas favorable à une intervention. Un dilemme qui se posera à lui à nouveau lorsque le soulèvement atteindra la Syrie.

Pour nombre d’observateurs, c’est la non intervention contre le régime de Bachar al-Assad, lorsqu’il a franchi «la ligne rouge» en août 2013 en faisant plus de 1500 morts à l’arme chimique dans la banlieue de Damas, qui restera comme la grosse erreur de la diplomatie d’Obama.
 
Le chef sortant de la Maison Blanche s’en est expliqué dans sa dernière interview comme président à la chaîne CBS. Il a dit ne pas regretter «du tout» d’avoir fixé cette ligne rouge. «Je pense qu’il était important pour moi en tant que président des Etats-Unis d’envoyer le message qu’il y a bien quelque chose de différent  sur les armes chimiques», a-t-il expliqué.

Obama réoriente sa diplomatie
Résistant aux pressions de ses secrétaires d’Etat successifs Hillary Clinton puis John Kerry en faveur d’une intervention, Obama fera également faux bond à son allié français, François Hollande, prêt lui à intervenir. Il préfère rester cohérent avec ses choix pacifistes en expliquant dans un entretien au mensuel The Atlantic que «lancer des bombes contre quelqu’un pour le seul motif de prouver que vous avez la volonté de le faire est la pire raison d’utiliser la force».
 
Echaudé par les messages du royaume saoudien, révélés par WikiLeaks, lui demandant de «de couper la tête du serpent iranien», paralysé par la détermination du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, à poursuivre sa politique de colonisation au détriment de la solution à deux Etats, horrifié par les massacres en Syrie pour le maintien du clan Assad au pouvoir, le premier président noir des Etats-Unis en tire la leçon.«Homme paradoxal, mélange de convictions humanistes et de froid pragmatisme», comme le décrit Sylvain Cypel dans Orient XXI, il va réorienter sa politique extérieure.
 
Selon Jeffrey Goldberg, qui a recueilli ses propos pour The Atlantic, la priorité d’Obama, c’est de «mettre les bouchées doubles dans les parties du monde où le succès est possible, et limiter l’exposition ailleurs.»
 
Pour un éditorialiste du journal Le Monde, «Obama pense que les Etats-Unis n’ont plus d’intérêts stratégiques évidents au Moyen-Orient.» «Il faut s’en retirer au plus vite. Bonne chance aux Russes s’ils veulent jouer les administrateurs! Ce natif d’Hawaï, en partie élevé en Indonésie, estime que le leadership américain se joue en Asie, où l’on compte trois des plus puissantes économies du monde  Chine, Japon, Inde», écrit encore Alain Frachon.
 
A dresser le bilan de l’action du premier président noir des Etats-Unis au Moyen-Orient, il ressort que l’échec claironné un peu partout par ses détracteurs est moins de son côté, que du côté de ceux qui avaient écouté le discours du Caire mais sans l’entendre.

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