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Le dossier de la Palestine et de la CPI vu par la juriste Muriel Ubéda-Saillard

Les Palestiniens ont déposé un dossier à La CPI dans lequel ils accusent Israël de crimes de guerre. Le changement de statut de la Palestine devant l'ONU a relancé l'idée d'une plainte devant la CPI dont ils sont membres depuis avril 2015. Muriel Ubéda-Saillard, spécialiste en droit public sur la coopération des Etats avec les juridictions pénales internationales, répond aux questions de Géopolis.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Muriel Ubeda-Saillard, enseignante en droit public à Nanterre. (DR)

Article initialement publié le 30 mai 2015.

La question d'une plainte de la Palestine devant la CPI (Cour pénale internationale) avait été relancée par le changement de statut de l'Autorité palestinienne en novembre 2012. A cette époque, des Etats avaient fait pression sur le leader palestinien pour qu'il renonce à présenter son projet devant l'ONU, notamment en raison du risque, pour eux, de voir la nouvelle entité palestinienne saisir la justice internationale. Pour l'instant, le président Abbas a indiqué qu'il suspend toute demande d'adhésion à des organisations internationales, y compris à des instances judiciaires susceptibles de poursuivre Israël. Un moratoire de deux mois (jusqu'au début juin) destiné à faciliter la mission de John Kerry dans la région.

Muriel Ubéda-SaillardMaître de Conférences en droit public à l'Université Paris Ouest Nanterre-La Défense, répond à nos questions

On a beaucoup évoqué la possibilité juridique pour l’Autorité palestinienne de saisir la CPI pour juger l’occupation israélienne. Qu’en pensez vous ?
La CPI juge quatre catégories de crimes : crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide et, depuis peu, agression. Pour qu’elle puisse les juger, ils doivent avoir été commis postérieurement au 1er juillet 2002 (date d'entrée en vigueur du Statut, adopté le 17 juillet 1998). C’est ainsi que par exemple des crimes comme Sabra et Chatila (1982) ne peuvent être jugés par la CPI.
 
Pour saisir la Cour Pénale Internationale, la Palestine doit soit signer le Statut de Rome, soit accepter la compétence de la Cour de façon ponctuelle.
 
Concrètement, la Palestine pourrait déférer la situation au Procureur de la CPI et si celui-ci détermine qu'il y a une base raisonnable pour ouvrir une enquête, il le notifiera aux Etats parties qui devront coopérer. L’Etat d’Israël n’est pas partie au Statut de Rome, toutefois ce dernier prévoit que la Cour peut exercer sa compétence si l’Etat sur le territoire duquel l’infraction a été commise ou l’Etat dont la personne accusée du crime est un ressortissant est partie au Statut ou a accepté la compétence de la Cour (ici, le territoire palestinien ou la Palestine). Dès lors, le fait qu’Israël ne soit pas partie au Statut ne ferait pas obstacle techniquement à des poursuites, cet Etat pouvant toutefois contester la compétence de la Cour ou la recevabilité de l'affaire devant la Cour.
 
L'Autorité palestinienne avait déjà saisi la CPI le 22 janvier 2009, et le Procureur avait déclaré sa demande irrecevable au regard notamment de la nature étatique contestée de la Palestine (puisque seuls les Etats peuvent être parties au Statut de la Cour). Il avait alors renvoyé la question de cette détermination aux organes des Nations-Unies, en concluant qu’il n’excluait pas «la possibilité d’examiner à l’avenir les allégations de crimes commis en Palestine si les organes compétents de l’ONU voire l’Assemblée des Etats parties (à la Cour), élucident le point de droit en cause (…) ou si le Conseil de sécurité lui attribue compétence en déférant cette situation » à la Cour.
 
En novembre 2012, l’Assemblée générale a octroyé à la Palestine le statut d’Etat observateur, mais il n’est pas sûr que cela change véritablement la donne, dans la mesure où même si elle a été reconnue comme Etat par plus de 130 gouvernements dans le cadre de relations bilatérales, sa nature juridique reste controversée, notamment au regard de la capacité de l’Autorité à exercer de manière effective un contrôle sur son territoire (en évitant par exemple que celui-ci ne soit utilisé pour tirer des roquettes vers le territoire d’Israël). L’existence d’un gouvernement effectif est un des éléments constitutifs de l’Etat en droit international.
 
Une fois ces obstacles juridiques franchis, quels dossiers pourraient être mis en avant dans une éventuelle plainte palestinienne devant la CPI ?
La CPI peut connaître de tous les comportements individuels constitutifs d’infractions qui entrent dans le champ de sa compétence. Elle est ainsi appelée à se prononcer sur l’existence d’infractions graves aux Conventions de Genève de 1949 ou aux autres lois et coutumes de la guerre, telles que  le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile, ou le fait de détruire ou de saisir les biens de l’ennemi en l’absence de nécessité militaire.

Elle n’est amenée toutefois qu’à juger les individus et non les Etats, dont la responsabilité internationale (qui n’est pas une responsabilité pénale) peut être engagée devant d’autres cours, telles que la Cour internationale de Justice
 
Les difficultés de la Palestine devant la justice internationale ne montrent-elles pas les limites de cette justice ? 
Je ne pense pas. L’ordre international est composé d’Etats souverains. Il n’a pas vocation à être régi par des mécanismes juridiques calqués sur le droit interne. La Cour est complémentaire des justices nationales, elle n’a pas vocation à connaître tous les crimes dans le monde. Elle n’est au demeurant qu’une juridiction, son rôle est par essence limité au jugement des responsabilités individuelles. Il ne lui revient pas de résoudre tous les problèmes existant dans les relations internationales, même si elle joue un rôle évident en matière de maintien de la paix.
 
Les violations du droit commises dans le cadre israélo-palestinien sont condamnables, mais la réponse qui doit leur être apportée n’est pas simple. La justice peut être un élément de réponse du fait de son rôle pacificateur des relations internationales ; elle peut favoriser la réconciliation et la reconstruction, mais elle ne constitue pas l’unique facteur décisif de ce point de vue, comme en témoigne l’expérience yougoslave. Le premier élément est à mon avis politique (véritable volonté bilatérale de résoudre le conflit, action claire des instances onusiennes, responsabilisation des Etats de la région et pédagogie auprès des populations concernées en vue d’apprendre à vivre ensemble).

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