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ENTRETIEN. Frédéric Encel, politologue : "Je ne crois pas à une nouvelle intifada après la décision de Trump sur Jérusalem"

Article rédigé par Ilan Caro - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le Dôme du Rocher vu depuis le mont des Oliviers, à Jérusalem, le 17 avril 2015. (MAXPPP)

Le politologue Frédéric Encel, auteur de "Mon dictionnaire géopolitique" en 2017, "ne croit pas à des conséquences graves" sur le terrain après la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d'Israël.

Les réactions négatives se multiplient, jeudi 7 décembre, après la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël par Donald Trump. Alors qu'Emmanuel Macron a jugé cette décision "regrettable", la Russie l'a qualifiée d'"injustifiée et irresponsable". Le Hamas a de son côté appelé à une "nouvelle Intifada", estimant que la décision de Donald Trump ouvrait "les portes de l'enfer pour les intérêts américains dans la région". Mais sur le terrain, quelles peuvent être les conséquences de cette décision ? Franceinfo a interrogé Frédéric Encel, géopolitologue et auteur de Mon dictionnaire géopolitique (Presses universitaires de France, 2017).

Franceinfo : La reconnaissance par Donald Trump de Jérusalem comme capitale d'Israël peut-elle avoir des conséquences graves au Proche-Orient ?

Frédéric Encel : Je ne crois pas à des conséquences graves. D'abord, cette décision est avant tout symbolique. Trump n'a pas reconnu Jérusalem réunifiée dans ses limites administratives annexée par Israël en 1967. Cela laisse la porte ouverte à une éventuelle reconnaissance de Jérusalem-Est comme capitale d'un Etat palestinien par un futur président des Etats-Unis. J'ajoute qu'il ne s'agit pas d'une initiative israélienne, il n'y a donc pas de changements sur le terrain.

Par ailleurs, au Proche-Orient, on n'attend pas des initiatives américaines pour se faire la guerre ! Depuis le début des printemps arabes en 2011, on en est pratiquement à un demi-million de morts, en Syrie, au Yémen, en Libye et dans d'autres parties du monde arabo-musulman. Cela n'a aucun rapport avec Jérusalem ! Aujourd'hui, ce qui inquiète les chancelleries arabes, c'est la montée en puissance de l'axe chiite et de l'Iran, bien plus que les rodomontades de Trump sur Jérusalem.

Le Hamas a tout de même appelé à une troisième intifada...

Ce que dit le Hamas ne correspond presque jamais à la réalité. La fameuse expression des "portes de l'enfer qui viennent de s'ouvrir", le Hamas l'emploie de façon permanente et surannée, une quinzaine de fois depuis cinq ans ! Et il ne jouit pas d'un rapport de force favorable face à l'Autorité palestinienne.

Sur le terrain, on assiste depuis plusieurs années à des violences éparses, mais pas à un mouvement organisé comme a pu l'être la deuxième Intifada. Il est difficile de dire si un nouveau soulèvement peut se produire, mais je ne crois pas à une nouvelle intifada car les conditions de vie sociales et économiques des Palestiniens ont considérablement évolué en bien ces dernières années.

Je ne dis pas que l'exaspération suscitée par l'annonce de Trump sera moindre, mais l'expression de cette exaspération sera vraisemblablement non violente.

Frédéric Encel, politologue

à franceinfo

Quel était le but recherché par Trump avec cette annonce ?

Depuis son élection, Trump fait et dit à peu près n'importe quoi. Il n'en fait qu'à sa tête, néglige les tendances lourdes de la diplomatie américainte et de ses alliés. il opère des virages à 180 degrés, et c'est donc quelqu'un de profondément imprévisible.

Avec cette décision, Trump veut sans doute montrer qu'il fera absolument l'inverse de Barack Obama. Or, l'ancien président américain avait exercé, au début de son premier mandat, quelques pressions sur Israël. Enfin, on ne peut pas exclure que cette annonce ne soit qu'une opération de diversion pour détourner l'attention de l'opinion.

Au final, qu'a-t-il à y gagner ?

Pas grand-chose. Si 30 ou 40 Etats décidaient dans la foulée de reconnaître Jérusalem comme capitale, cela pourrait peser, mais il n'y en aura qu'une poignée. Ce sera l'illustration d'une faiblesse diplomatique ou au moins d'un manque de crédibilité de Trump. 

Pour les Etats-Unis, ça ne sert à rien. Cette décision ne rendra pas les Israéliens plus fidèles aux Etats-Unis qu'ils ne le sont déjà.

Frédéric Encel, politologue

à franceinfo

Les Etats-Unis ne risquent-ils pas de se mettre à dos les pays arabes comme l'Arabie saoudite ?

Depuis six mois, on assiste à un renforcement de l'axe entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite, qui s'était assez gravement détendu sous Barack Obama. Alliée des Etats-Unis depuis 1945, elle reste un pivot essentiel des alliances américaines dans le monde. Même si les Saoudiens craignent comme la peste la montée de l'axe chiite, ils ne peuvent pas se satisfaire de ce genre d'initiatives américaines sur Jérusalem, qui abrite le troisième lieu saint de l'islam.

Mais ce que souhaitent par-dessus tout les Saoudiens, c'est une implication politique et militaire des Etats-Unis à leurs côtés. En échange de cette initiative symbolique sur Jérusalem, il n'est pas impossible que les Saoudiens obtiennent davantage. Concrètement, cela peut passer par plus de pièces détachées pour leurs chasseurs bombardiers, du soutien face au Qatar, ou alors – et ce serait une victoire formidable pour l'Arabie saoudite – la dénonciation par Trump de l'accord nucléaire du 14 juillet 2015.

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