Guerre entre Israël et le Hamas : comment le conflit plombe l'économie de l'Etat hébreu
Volume d'affaires réduit, conscription de réservistes, risque d'embrasement dans la région... Dix-huit jours après le début du conflit qui oppose Israël au Hamas, l'agence de notation Standard & Poor's a abaissé, mardi 24 octobre, la perspective de crédit de l'Etat hébreu, passée de "stable" à "négative". Si elle maintient la note du pays à AA-, elle "présume actuellement que le conflit restera concentré sur Gaza et ne durera pas plus de trois à six mois", écrit-elle dans son communiqué, ce qui est loin d'être certain. Pour ces mêmes raisons, ses concurrentes Moody's et Fitch ont également "soumis à examen", la semaine précédente, la note de la dette à long terme du pays, actuellement à A1.
Or, derrière ces annonces qui anticipent la crispation des marchés financiers, la population israélienne constate déjà, sur le marché du travail notamment, le poids économique de la guerre.
Le puissant secteur de la tech fragilisé
Depuis le 7 octobre et l'attaque terroriste du Hamas, quelque 360 000 réservistes ont été mobilisés. Si les autorités ne savent pas estimer quels secteurs de l'économie sont les plus pénalisés par cette soudaine absence de mains d'œuvre, la plupart de ses appelés ont moins de 40 ans, relevait dès le 13 octobre la chaîne américaine CNBC. Cette tranche d'âge compte pour l'essentiel du très puissant secteur des nouvelles technologies, responsable de 18% du PIB annuel du pays. Le PDG d'une banque en ligne confiait alors au média américain que 10% de ses presque 450 employés avaient été appelés à servir dans l'armée.
"Les décisions [que prennent ces entreprises] face à cette pénurie de main-d’œuvre sans précédent n'agiront pas seulement sur leur survie économique immédiate, mais peuvent aussi avoir des conséquences durables sur leur stabilité à long terme et leur résilience face à un conflit qui s'installe", analyse le quotidien israélien Jerusalem Post , pointant le besoin, dans ce secteur, d'importantes levées de fonds, ici mises entre parenthèses.
Une pénurie de main-d'œuvre étrangère
A l'inquiétude pour l'économie s'ajoute la crainte de nombreux habitants d'Israël pour leur sécurité. Une question existentielle qui ne concerne pas que les salariés israéliens : depuis le début de la guerre, deux mille Thaïlandais ont préféré quitter le pays, rapporte un autre quotidien local, The Times of Israel , après que 30 de leurs compatriotes ont été tués dans les attentats du Hamas, et 19 autres enlevés par les terroristes. Cette communauté, qui comptait 30 000 personnes avant la guerre, travaille essentiellement dans le secteur agricole. Les kibboutz les plus vulnérables – car proches de la bande de Gaza – sont à la peine pour combler leurs départs. A tel point que, toujours selon le quotidien, le ministère de l'Agriculture israélien réfléchit à autoriser 8 000 Palestiniens de Cisjordanie à effectuer ces tâches – uniquement des femmes et des hommes de plus de 60 ans, selon une note présentée vendredi en Conseil national de sécurité. En attendant, les fermiers voient affluer des volontaires israéliens pour tenter de sauver les récoltes.
Car le conflit a aussi privé l'économie israélienne de la main-d’œuvre palestinienne, et en particulier celle venue de Gaza. Avant la guerre, 17 500 permis quotidiens étaient délivrés à des habitants de l'enclave, soumis à de stricts contrôles et employés dans le secteur de la construction et de l'agriculture. Selon l'Organisation internationale du travail, citée mardi par le quotidien britannique The Independent , entre 4 000 et 5 000 de ces travailleurs sont portés disparus depuis le début du conflit, tandis que nombre d'entre eux ont rejoint à la hâte la Cisjordanie, après que tout accès au territoire dirigé par le Hamas a été bloqué, empêchant leur retour.
Sans donner de chiffre, les autorités israéliennes ont confirmé au média britannique avoir arrêté une partie de ces travailleurs et les détenir dans un camp en Cisjordanie. Les ONG locales peinent à faire face à l'arrivée de ces hommes, désormais coupés de leurs proches et sans ressources.
Le poids de l'incertitude sur la consommation
La guerre "pourrait être le coup ultime porté à [son] entreprise", a confié au Financial Times le patron d'une brasserie et chaîne de restaurants. "Et puis, est-ce vraiment le moment de maintenir son restaurant ouvert ?", s'interroge-t-il auprès du quotidien économique américain. "Les gens réduisent leurs dépenses de consommation, en raison de l'incertitude et de leur moral", abonde Leo Leiderman, économiste conseil en chef d'une des plus importantes banques du pays, Bank Hapoalim. Interrogé par Reuters, il parle de "crise émotionnelle". Et son coût, alors que la consommation compte pour plus de la moitié de l'activité économique, sera d'autant plus élevé que le conflit durera, relève l'agence de presse.
Même coup dur pour le secteur du tourisme. Le Financial Times donne la parole à Ganit Peleg, directrice de l'Association des guides touristiques israéliens : "Nous venions de remonter la pente du Covid, et voilà ce qui arrive, a-t-elle déploré . Nous recevons des annulations tous les jours".
Dans le secteur également florissant du bâtiment, les chantiers ont pu reprendre, deux semaines après le début du conflit. Mais "l'inactivité dans ce secteur seul coûte à l'économie 150 millions de shekels [près de 35 millions d'euros] par jour", selon les estimations d'un rapport cité mercredi par Reuters. "Cela ne touche pas que les entreprises du bâtiment et les industriels, cela touche tous les foyers israéliens", a réagi le président de l'Association israélienne du bâtiment.
Se basant sur l'hypothèse que la guerre reste cantonnée au front sud, le long de la bande de Gaza, la Banque centrale d'Israël a d'ores et déjà revu à la baisse, lundi, ses prévisions de croissance pour 2023, de 3% à 2,3%, rapporte le Times of Israël. L'établissement a déclaré, dans un communiqué, veiller à "la stabilisation des marchés et la réduction de l’incertitude". Pour financer l'aide aux entreprises et aux foyers mis en difficulté par la guerre, le déficit budgétaire du gouvernement devrait augmenter, pour atteindre 2,3% du PIB en 2023, et 3,5% en 2024.
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