Les trois dossiers épineux que François Hollande doit évoquer en Turquie
Le chef de l'Etat entame une visite de deux jours, à Ankara, puis à Istanbul. Objectif : réchauffer les relations politiques et commerciales entre la France et la Turquie.
Tourner la page. François Hollande s'est envolé pour Ankara, lundi 27 janvier, afin de réchauffer les relations entre la France et la Turquie, sévèrement refroidies sous l'ère de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy. Ce dernier s'était contenté d'un séjour de cinq heures, en février 2011. François Hollande opte pour une visite d'Etat de deux jours, la première depuis François Mitterrand en 1992. Et il arrive accompagné de sept ministres et de nombreux hommes d’affaires.
Reste que ce déplacement s'inscrit dans un contexte très délicat, sur le plan de la politique intérieure turque comme sur celui des relations extérieures du pays, avec l'Union européenne notamment. François Hollande va devoir marcher sur des œufs. Francetv info liste les trois (principaux) dossiers épineux qu'il lui faudra aborder.
La crise politique qui secoue le régime d'Erdogan
Le contexte. La visite de François Hollande intervient un peu plus de six mois après une fronde antigouvernementale, marquée par la répression de manifestations hostiles au pouvoir islamo-conservateur du Parti pour la justice et le développement (AKP), et en plein scandale de corruption. Fin décembre, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a dû procéder en urgence à un vaste remaniement ministériel après des révélations liées à une enquête judiciaire portant sur des ventes illégales d'or à l'Iran.
Par mesure de rétorsion, Recep Tayyip Erdogan a limogé des centaines de policiers et de magistrats qu'il accuse d'être à l'origine de cette enquête, visant, selon lui, à le faire chuter. Comme le signale Libération, il les soupçonne d'être manipulés par ses anciens alliés de la toute puissante confrérie islamiste de Fetullah Gülen.
Ces tentatives du Premier ministre, au pouvoir depuis 2002, de museler le pouvoir judiciaire, en réformant le Conseil supérieur de la magistrature, inquiète l'opposition mais aussi les Européens. Entre la répression de la contestation et cette dérive autoritatiste, "la crédibilité d'un 'modèle turc' combinant islam, démocratie et croissance économique est sérieusement mise à mal", analyse Libération.
La méthode Hollande. Le chef d'Etat français devrait veiller scrupuleusement à ne pas cautionner le régime par sa visite. Il doit rencontrer brièvement Recep Tayyip Erdogan, privilégiant le dialogue avec son homologue turc, le président Abdullah Gül, plus modéré. François Hollande inscrira sans doute ses pas dans ceux du président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Il a appelé le Premier ministre turc à "poursuivre les réformes nécessaires" en vue de garantir le respect de l'Etat de droit en Turquie.
Le processus d'adhésion à l'UE plus que jamais compromis
Le contexte. Les agissements du pouvoir islamo-conservateur ont refroidi les relations entre Ankara et Bruxelles, alors que le très lent processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, engagé en 2005, semblait regagner un peu d'élan, avec l'ouverture d'un nouveau chapitre de négociations, consacré aux politiques régionales, en novembre. Bruxelles fait du respect de l'Etat de droit en Turquie une condition sine qua non d'une éventuelle adhésion.
"On peut aujourd'hui se demander si la Turquie passerait encore positivement le test des critères de Copenhague, fixés dans les années 1990", s'interroge Dorothée Schmid, une chercheuse spécialiste de la Turquie dans Le Figaro.
Du côté de la France, l'hostilité affichée de Nicolas Sarkozy à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne avait été vécue comme un affront par le pays. Et le vote d'une loi reconnaissant le génocide arménien, retoquée depuis par le Conseil constitutionnel, n'avait rien arrangé. Lors d'une conférence de presse commune avec François Hollande, Abdullah Gül a clairement affirmé, lundi, qu'il attendait de la France qu'elle ne bloque pas le processus d'adhésion.
La méthode Hollande. Le président français a répondu à l'appel du pied de son homologue, assurant que les Français seraient consultés par référendum sur l'adhésion de la Turquie. Actuellement, ils y sont toujours très opposés (à 83%, selon un sondage Ifop pour Valeurs Actuelles). Jusqu'à présent, François Hollande s'était borné à renvoyer cette question au-delà de son quinquennat, puisque les Européens ont exclu une adhésion avant 2020. Le ministre délégué aux Affaires européennes, Thierry Repentin, ne fait d'ailleurs pas partie de la délégation.
S'agissant du génocide arménien, dont le centenaire sera célébré en 2015, François Hollande a exhorté la Turquie à faire son "travail de mémoire" sur les massacres de centaines de milliers d'Arméniens par l'empire ottoman en 1915. Il rencontrera aussi la veuve du journaliste Hrant Dink qui a été assassiné par un ultra nationaliste turc le 19 janvier 2007 alors qu'il œuvrait à la réconciliation entre Turcs et Arméniens.
Les relations économiques avec la France, refroidies sous Sarkozy
Le contexte. La politique de Nicolas Sarkozy à l'égard de la Turquie a plombé les échanges commerciaux entre les deux pays. Conséquence du refroidissement des relations : la part de marché française en Turquie a chuté de 6 à 3% entre 2009 et 2012 alors que cette puissance émergente a vu son PIB par habitant tripler entre 2002 et 2012. Les entreprises françaises doivent désormais batailler pour répondre aux nouveaux besoins de la classe moyenne turque. Leurs efforts ont été payants puisqu'elles ont conclu, en 2013, 15 milliards d'euros de contrats en Turquie.
La méthode Hollande. Malgré cette amélioration, le président entend se livrer à un travail de rattrapage et les échanges commerciaux seront au cœur de la deuxième journée du déplacement présidentiel, marquée par une série de rencontres avec les milieux d'affaires turcs à Istanbul. Au total, une quarantaine d'entreprises et de responsables économiques français seront au rendez-vous.
Les investissements ferroviaires d'ici à 2035 sont évalués à 45 milliards de dollars (33 milliards d'euros environ) et les besoins du secteur aéronautique à 50 milliards de dollars (36 milliards d'euros environ) d'ici 2020. Dans ce contexte porteur, la France aimerait multiplier les accords comme celui signé l'an dernier avec un consortium franco-japonais pour la construction d'une deuxième centrale nucléaire en Turquie.
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